Tribune
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Publié le 21 Mars 2005

Au sein de la communauté afro antillaise, Dieudonné est très critiqué Par Marc Knobel

Plus personne ne doute aujourd’hui de l’antisémitisme de Dieudonné dont les propos détestables ne visent qu’à stigmatiser la communauté juive. Malheureusement, il semblerait que les frasques minables de Dieudonné rencontrent un certain écho, notamment auprès des jeunes. Reste que, les intellectuels de premier plan et de nombreux militants antiracistes (notamment ceux de la communauté afro antillaise) ne sont absolument pas dupes. Dieudonné est également critiqué sur de nombreux sites de l’Internet. Comme le souligne très justement Patrick Girard, dans un article publié par Marianne, « Non, Dieudonné ne nous représente pas » (19 au 25 mars 2005), « En tentant de s’abriter derrière (le poète) Aimé Césaire, Dieudonné entend surtout dissimuler une réalité moins intéressante pour lui : sa marginalisation auprès de ceux en particulier africains, dont il prétend abusivement être le porte parole. Ecrivains, intellectuels et responsables d’association, y compris ceux qui l’avaient initialement soutenu lors de l’annulation de son spectacle à l’Olympia, excédés par ses déplorables déclarations, ont rompu avec lui et l’ont fait savoir publiquement. »



Dans ce document de travail, nous citons quelques extraits, publiés ici ou là, sans pour autant être exhaustif. Par là même, nous voulons rendre hommage à la clairvoyance de ceux et celles que nous citons.


L’écrivain Camerounais Calixte Beyala condamne les propos de Dieudonné :

L’écrivain Calixte Beyala préside le Collectif Egalité et combat notamment l'insuffisante représentation à la télévision de la diversité ethnique de la population française. Le 21 février 2004, au nom de la liberté d’expression, elle avait apporté son soutien à Dieudonné, lorsqu’il avait tenu un spectacle sur un trottoir, en face de la salle de l’Olympia parce qu’il avait été privé de cette salle la veille.

Un an plus tard, dans un point de vue qu’elle publie dans Le Monde (« Les convoyeurs de la haine », édition du 21 février 2005), sans jamais citer Dieudonné, Calixyte Beyala s'insurge contre l'idée qui voudrait que Juifs et Noirs soient opposés par un contentieux vieux de plusieurs siècles. Elle note au passage que les médias n'ont rien arrangé en faisant de Dieudonné le porte-parole des Noirs de France.

Extraits :

« Oui, il faut parler de la Shoah. Oui, il faut se battre afin que l'histoire de l'esclavage soit connue du grand public. Non, une tragédie n'exclut pas l'autre et il n'existe aucune hiérarchie dans la souffrance. »

Pendant plusieurs mois, j'ai eu l'impression d'assister à la projection en boucle d'un navet. Le scénario me semblait si grotesque que, me disais-je, seul un imbécile pourrait y croire.Un Noir joue le rôle du méchant sioniste et achève son sketch par un « Heil Israël l’inacceptable » Des Juifs apeurés crient à l'antisémitisme. Et moi, spectatrice, croyant avoir compris le script, je hurle devant l'écran : « Ne vous inquiétez pas. Ce n'est qu'un bouffon ! »

Je reste quelque peu abasourdie lorsque la lumière se fait mais que le Noir oublie d'ôter son costume de scène et continue à interpréter son personnage. Je dois bien me rendre à l'évidence, je me suis trompée. Il ne s'agit nullement d'un gag. Comment expliquer autrement que, plus d'un an après, l'affaire Dieudonné soit encore au cœur des débats ? Comment en sommes-nous arrivés à de telles extrémités ?

Noir sur blanc, on verbalise sur des rancœurs qui existeraient entre les Noirs et les Juifs. On nous fait comprendre qu'un contentieux vieux de plusieurs siècles opposerait ces peuples.

On dit à nos enfants que les Juifs ne les aiment pas ; qu'ils ont esclavagisé les Africains ; qu'ils les ont spoliés ; qu'ils ont diffusé le sida en Afrique ; qu'il existerait chez les Juifs des lobbies qui empêcheraient la télévision, la presse écrite et la classe politique de prendre en compte la traite négrière et le racisme dont ils sont victimes ; on laisse entendre d'ailleurs que l'Etat israélien aurait organisé avec l'Afrique du Sud, pays de l'apartheid à l'époque, un plan d'extermination des peuples noirs ; on stigmatise les personnalités juives et, comble des abominations, on clame à tout va qu'on s'en fout de la Shoah et qu'il existe d'autres souffrances dont on devrait parler, notamment de l'esclavage. Je veux sortir de ce cauchemar.

Comment un homme digne de ce nom est-il capable de proférer de telles horreurs ? On parle trop de la Shoah, trouvez-vous ? Comment se fait-il que j'ai l'impression du contraire ? Qu'il faudrait sans cesse rappeler aux jeunes générations ce qui a été, afin que cela ne se reproduise plus ? Moi, voyez-vous, je suis obsédée par le visage de ces milliers d'innocents massacrés par les nazis. Et quand j'apprends par ailleurs que des mères juives ont tué leurs enfants avant de se donner la mort, l'image des mamans noires jetant leurs progénitures par-dessus bord pour les empêcher de devenir des esclaves se fige sous mes yeux.

Que de différences dans l'histoire de ces deux peuples, mais que de similitudes dans leurs souffrances. Oui, il faut parler de la Shoah. Oui, il faut se battre afin que l'histoire de l'esclavage soit connue du grand public. Non, une tragédie n'exclut pas l'autre et il n'existe aucune hiérarchie dans la souffrance. Mais peut-être allez-vous décréter que je suis une mauvaise Noire ?

Aucun Noir ne saurait conforter des antisémites dans leurs phantasmes du Juif grand possesseur des richesses et grand confiscateur du bien-être mondial. Un antisémite est forcément un raciste. Noirs et Juifs sont ainsi des alliés naturels, ayant des ennemis communs et l'ont démontré à travers l'histoire.

Des Juifs ont lutté aux côtés de Martin Luther King. Des Juifs ont aidé des Noirs américains à acquérir leurs droits civiques et on ne saurait gommer des faits aussi palpables que la présence de certaines personnalités juives auprès des peuples noirs lorsqu'ils souffraient. On ne saurait effacer des archives ces images émouvantes des GI noirs libérant les Juifs des camps de concentration. On ne saurait ne pas rendre hommage aux hommes venus d'Afrique, des Antilles ou de la Guyane bataillant en Allemagne pour que cesse l'abjection. Beaucoup y ont laissé leur vie… »


L’opinion de Dominique Sopo, président de SOS Racisme :

Dans une tribune de Libération, (Contre le corporatisme racial, 23 février 2005) Dominique Sopo, président de SOS-Racisme, s’adresse à Dieudonné et dénonce les propos tenus par l’humoriste lors d'une conférence de presse à Alger le vendredi 18 février. Dieudonné a notamment parlé de « pornographie mémorielle » à propos de la mémoire de la Shoah et a qualifié le sionisme de « sida du judaïsme » :

« Monsieur Dieudonné, en multipliant les déclarations antisémites, vous choisissez, comme tout bon communautariste, d'enjoindre des gens à se reconnaître d'autant plus rapidement dans une communauté particulière qu'ils seraient assaillis par des ennemis sournois.

Ainsi, à vous entendre, la situation des Noirs se trouverait améliorée si les Juifs se trouvaient dénoncés pour leurs prétendus crimes. N'avez-vous pas laissé sous-entendre récemment qu'il faudrait étudier si l'Etat d'Israël n'était pas responsable de l'introduction du virus du sida en Afrique ? Vous avez poussé l'ignominie antisémite jusqu'à affirmer dernièrement que les cérémonies entourant les commémorations de la libération des camps de concentration et d'extermination nazis relevaient de la «pornographie mémorielle». En contrepoint, vous affirmez qu'on ne parle pas suffisamment de l'esclavage subi par les Noirs pendant plusieurs siècles. Comme si finalement l'espace médiatique occupé par la dénonciation de la Shoah se faisait au détriment des drames subis par les populations noires à travers l'Histoire. Cette analyse nous révulse profondément car elle renvoie chez vous à deux volontés funestes. Tout d'abord, celle visant à faire croire qu'il existerait une concurrence entre les drames. Contrairement à vous, nous n'estimons pas que la Shoah serait la chose des Juifs et la traite négrière la chose des Noirs. Les crimes contre l'Humanité sont pour nous des leçons universelles et non pas des trésors à conserver jalousement par-devers soi à des fins de construction identitaire.

Ensuite, celle poussant les populations noires à se construire uniquement à travers un statut de victime. Il est vrai qu'il est toujours plus simple de s'engager dans cette voie que de s'efforcer de mobiliser sur une identité positive. En voulant enfermer les Noirs dans le rôle de «fils d'esclaves», vous ne concevez finalement les Noirs que comme des populations passives, incapables d'écrire leur vie et leur Histoire, ce en quoi vous rejoignez par ailleurs, bizarrement, le prisme livré par l'imagerie coloniale.

Mais le plus grave, dans votre cas, c'est que vous tentez de brouiller les pistes en prétendant parler au nom de l'antiracisme. Nous vous nions ce droit. Car pour nous, l'antiracisme, ça n'est pas du corporatisme racial. C'est un projet de société qui s'efforce de voir reconnue l'égale dignité des gens indépendamment de leurs origines, religions ou cultures. Et votre couleur de peau n'est d'aucune utilité dans votre tentative de dévoiement du discours antiraciste. Il ne suffit pas d'être Noir pour exhiber un brevet d'antiracisme. La récurrence de votre antisémitisme et votre communautarisme à la Farrakhan en attestent suffisamment ! Quel aplomb d'ailleurs de se présenter comme un antiraciste quand on se construit comme la version black de Jean-Marie Le Pen.

Car nous sommes amenés à constater que, tout comme le leader frontiste, vous n'avez que la haine à proposer. Comme si les Noirs en France iraient mieux s'ils se mettaient à jalouser et à détester les Juifs ! Pour notre part, nous pensons que les populations noires, tout comme celles issues de l'immigration maghrébine, trouveront leur juste place dans la société en luttant contre les ghettos et les discriminations raciales. Cette exigence nécessite de s'engager dans une citoyenneté active, une perspective qui se trouverait irrémédiablement bouchée si votre approche victimaire venait à prévaloir. Mais n'est pas Mandela ou Luther King qui veut, Monsieur Dieudonné ! Vous apparaissez même, par votre haine et votre narcissisme médiatique, comme l'exact contrepoint à ces deux grands leaders noirs dont l'humanisme et la qualité continue d'en faire des références. »


La réaction d’Harlem Désir, député européen, ancien président de SOS Racisme :

Dans un communiqué publié le Samedi 19 février, le député européen
Harlem Désir (PS) réagit également aux propos tenus par Dieudonné lors d'une conférence de presse à Alger, le vendredi 18 février:

Il « faut boycotter Dieudonné et ses spectacles comme on a boycotté, hier, l'apartheid et demander à la justice de le condamner sans ménagement ». « En déclarant à la presse algérienne que « le sionisme est le sida du judaïsme » après avoir parlé de la Shoah comme d'une « pornographie mémorielle », Dieudonné ajoute l'ignoble à l'indécence » et « il est aujourd'hui l'un des plus grands antisémites de France ». Il appelle « ceux qui ont fait preuve de trop d'indulgence à son égard jusqu'ici d'ouvrir les yeux et à cesser de lui trouver des excuses », faisant référence à « une partie des communautés africaines et antillaises en France ».
« On ne peut accepter qu'il se drape dans la cause de la défense des peuples noirs pour avancer son antisémitisme nauséeux ».


L’opinion de Serge Bilé, journaliste et écrivain franco-ivoirien :

Lors d’une conférence de presse qu’il a donné à Alger, Dieudonné a montré un livre de Serge Bilé, journaliste et écrivain franco-ivoirien, auteur d'un ouvrage intitulé « Noirs dans les camps nazis » pour souligner que les noirs avaient eux aussi été des victimes du nazisme.

Le 21 février, Serge Billé réagit par voie de communiqué et dit refuser d'être utilisé par Dieudonné pour « étayer (ses) propos, scandaleux » sur la Shoah :

« Je ne crois pas, contrairement à Dieudonné, à « la concurrence des victimes » Toutes les douleurs sont à respecter et je n'ai pas besoin, pour dénoncer ou commémorer la traite négrière, d'agresser qui que ce soit, ni de minimiser la souffrance de qui que ce soit ». « Ma démarche, avec ce livre, consiste, uniquement, à rappeler qu'il est temps de prendre en compte la douleur des nôtres dans la grande histoire de la seconde guerre mondiale ». « Je précise, enfin, que Dieudonné n'est, pas plus que moi, le porte-parole de la communauté noire de France. Il ne représente que lui-même et ceux qui veulent bien le soutenir dans son jusqu'au-boutisme. Je m'attacherai, quant à moi, toute ma vie, à combattre le racisme sans faire de racisme à rebours, et à me battre, avec constance, pour la dignité des miens, encore trop souvent bafouée, sans attenter à la dignité de l'autre ».


La réaction de Mme Taubira ( députée PRG):

Le 22 février, la députée de Guyane Christiane Taubira (PRG), ancienne candidate des radicaux de gauche à l’élection présidentielle de 2002, a regretté sur RCI les récents propos de l'humoriste Dieudonné. Christiane Taubira a fait valoir qu'il ne fallait pas « confondre les tragédies humaines » :

« On ne doit pas confondre les tragédies humaines, il n'y a pas de hiérarchie à mettre entre ces tragédies humaines » et il faut « éviter la concurrence des victimes », précisant citer le philosophe et sociologue Jean-Michel Chaumont.

« La concurrence des victimes » ne sert aucune cause », a-t-elle ajouté, « il y a un travail de fond à accomplir pour que la souffrance qui émane de quatre siècles et demi de traite négrière et d'esclavage soit prise en compte ». « Les autorités françaises se sont déjà inclinées devant cette souffrance, en reconnaissant que c'est un crime contre l'humanité », mais elles « doivent s'incliner de façon plus continue, plus résolue ».

« C'est un travail que nous devons accomplir de la même façon qu'au sortir de la deuxième guerre mondiale, les juifs ont accompli un travail de fond de sensibilisation, de valorisation, de réhabilitation », a ajouté Mme Taubira. « Nous avons à poursuivre notre propre travail et ça ne peut pas se faire au détriment d'une autre souffrance », a-t-elle précisé.

La députée de Guyane a estimé que Dieudonné était « depuis quelques temps dans une spirale de la démesure ». « Je pense probablement qu'il y a un entourage qu'il lui est très défavorable, je le regrette profondément et je ne peux pas m'associer à des propos qui tournent en dérision une souffrance qui a concerné des hommes ».


L’opinion du portail d'information de l'Afrique centrale, afriquecentrale.info :

Dans un article publié le 6 mars 2005, « Dieudonné M'Bala M'Bala, la honte de l’Afrique », sur afriquecentrale.info, on peut lire le propos suivant :

« L’humoriste franco-camerounais Dieudonné M’Bala M’Bala ne fait plus rire personne. Ses outrances verbales à l’encontre de la communauté juive française lui valent l’hostilité d’une grande majorité de ses ex-fans et quelques ennuis du côté de la justice française. L’homme cherche les problèmes et il les trouve. M’Bala M’Bala se veut le porte-parole de la communauté noire ; il ne l’est pas. »


Sur le site Amadoo.com (connecting black people) :

Sur ce site très fréquenté par la communauté noire, le point de vue suivant est publié le 18 février 2005 :

« Ne comptez pas sur Amadoo pour s'indigner suite aux propos de Dieudonné sur la Shoah. Dans cette histoire, seul Dieudonné nous intéresse et sûrement pas la polémique. Dieudonné essaye de mettre une noble cause sur le devant de la scène. La cause qu'il défend est la raison d'être d'Amadoo. Nous ne pouvons donc que le soutenir dans sa démarche. Mais (oui il y a un mais), le bouffon Camerounais défend mal la cause tout en croyant bien faire. Mballa pense en effet que nous vivons dans un monde dominé par les juifs et que c'est la raison pour laquelle on nous prend les oreilles avec la Shoah et autre holocauste. Si Mballa veut que les choses changent, il faut qu'il tape sur les gouvernants africains et sur tout le reste.

Les juifs ne sont en rien responsables du fait que l'Esclavage du peuple noir n'intéresse par grand monde même pas les Noirs eux-mêmes. (…)

Dieudonné mercredi à Alger a tenu des propos assez crus sur la Shoah, qu'il a comparée à une « pornographie mémorielle.» ont suscité des réactions indignées en France, où François Hollande a estimé qu'elles tombaient sous le coup de la loi. « Les propos de Dieudonné sur la Shoah tombent sous le coup de la loi. Je considère qu'ils sont déshonorants pour celui qui les exprime et je considère qu'il ne peut pas y avoir une comptabilité des tragédies », a déclaré le premier secrétaire du Parti socialiste vendredi sur Europe 1.

Si quelqu'un osait tenir des propos pareils sur le monde Noir, il y aurait une levée immédiate de boucliers au sein de notre communauté (il faut l'espérer). On ne peut donc accepter de tels propos.

Encore une fois, il ne s'agit pas ici de condamner Dieudonné (nous n'en avons d'ailleurs pas les moyens), mais de lui donner des conseils simples et gratuits: Les juifs ne sont pas responsables de la déportation des Noirs vers les USA

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S’il veut casser du juif qu'il le fasse si ça l'amuse mais qu'il le fasse en son nom propre. Sans y associer la communauté noire qui dans son ensemble a de l'estime pour le comédien, mais pas pour le militant qui s'attaque à une minorité pour faire reconnaître la sienne.

La communauté juive est forte et bien organisée et vigilante des que le moindre dérapage apparaît. Il n'y a pas de quoi les critiquer.

(…)

Vous voulez être respectes ? Il y a encore beaucoup de chemin en faire. Les propos de Dieudonné ne devraient pas beaucoup aider. Foutez la paix aux Juifs et essayez de vous organiser comme eux au lieu de les critiquer. »


Dieudoné selon le BDP-Gabon :

Cet article a été publié sur le site Internet du BDP-Gabon par le Dr. Daniel Mengara, le leader du BDP-Gabon Nouveau, mouvement gabonais d'opposition en exil dont la direction se trouve dans le New Jersey, aux Etats-Unis. Le Dr. Mengara est professeur d'études francophones à l'université d'état de Montclair dans le New Jersey.

Nous reproduisons ci-après quelques extraits de ce point de vue :

« Le tollé qui a accueilli la publication le 17 février dernier (…) d'un article dans lequel Dieudonné M'bala M'bala aurait traité la Shoah juive de « pornographie mémorielle » est assez édifiant. La polémique née de cette supposée déclaration, que le démenti de Dieudonné n'a pas pu apaiser, traduit clairement le malaise des races qui existe dans la société française d'aujourd'hui.

Que la cause défendue par Dieudonné M'bala M'bala soit juste ne fait aucun doute. Elle est même, dans l'absolu des choses, noble. Dieudonné donne voix à une cause nègre trop souvent dissimulée sous le tapis de l'hypocrisie politique, spécialement en France où la langue de bois politique est devenue l'image de marque de ceux-là mêmes qui, derrière les murs, voient encore les Noirs comme des humains par accident.

Mais Dieudonné a choisi de défendre la noble cause du Nègre avec les mauvais outils et par le mauvais combat. En utilisant, comme il le dit lui-même, l'arme de "l'anti-sionisme politique" pour pourfendre le racisme historique ambiant dans la France chiraquienne et condamner le manque d'attention porté aux causes nègres, Dieudonné s'est épistémologiquement égaré.

Disons-le tout de suite: l'intention du comique est bonne, et n'importe quel Noir ayant longtemps subi, directement ou indirectement, les rudes assauts de l'oppression raciale partagera sans doute la rage historique qui anime Dieudonné. Mais il y a comme un hiatus dans sa démarche.

(…)

La maladresse de Dieudonné est en effet criante, malgré ses bonnes intentions: on ne peut reprocher aux Juifs de vouloir conserver la mémoire historique d'un peuple qui, comme le peuple noir, a connu une extermination génocidaire. On ne peut non plus leur reprocher leurs succès intellectuels, économiques ou politiques, surtout si de tels succès visent à rappeler au monde la souffrance des Juifs, qui est une souffrance résultant de crimes contre leur humanité. Le leur reprocher, c'est un peu faire montre de jalousie envers un peuple qui a, au cours de son parcours historique, su faire preuve de solidarité nationaliste envers lui-même et remonter la pente à chacune de ses descentes aux enfers; le leur reprocher, c'est aussi reconnaître sa propre incapacité.

(…)

Que les Juifs, par nationalisme et devoir de mémoire, aient pu mettre leur cause au centre de la conscience humaine internationale n'est pas en soi un fait qui doit leur être reproché. Les vraies questions que Dieudonné, et partant, tout Nègre, doivent se poser sont les suivantes: Pourquoi les Noirs ont-ils tendance à oublier là où les autres se souviennent? Pourquoi les Noirs ont-ils tendance à abandonner là où les autres perdurent? Pourquoi les Noirs ont-ils tendance à avoir peur de mourir là où les autres sont prêts à donner leur vie pour une cause commune ou pour leur pays? Pourquoi les Noirs ont-ils tendance à se diviser à cause d'intérêts personnels ou particuliers là où les autres s'allient et se sacrifient pour atteindre un objectif commun? Combien de vrais martyrs du peuple y a-t-il eu en Afrique en dehors de Nelson Mandela?

Trouver des réponses claires à ces questions se doit de devenir le devoir de tout Africain, qu'il soit du continent ou de la diaspora. Les Africains et Noirs en tous genres doivent abandonner la langue de bois et commencer à se regarder en face.

La mise en esclavage du Noir africain fut sans doute le crime le plus odieux que l'homme n'ait jamais eu à commettre contre l'homme. A côté de l'horrible holocauste des Juifs en Europe lors de la deuxième guerre mondiale, il y a le fait, indéniable et reconnu, de plus de quatre siècles d'holocauste du Noir par l'esclavage transatlantique organisé par les Européens. Cependant, cet esclavage des Noirs, Dieudonné ne doit jamais l'oublier, fut aussi arabe. Avant même que les Européens ne commencent le leur au 15e siècle, les Arabes transféraient déjà des millions de Nègres vers l'Arabie et le Moyen-Orient depuis le 7e siècle. Zanzibar fut la plaque tournante de ce commerce d'hommes et de femmes. La seule différence entre les deux formes d'esclavages est que celui des Européens fut plus intensif puisqu'il fit, en quatre siècles seulement, plus de ravages que l'esclavage arabe en près de 1200 ans. Les chiffres les plus osés estiment l'holocauste transatlantique des Noirs par les Européens à près de 28 millions sur 400 ans, et le génocide esclavagiste des Noirs par les Arabes sur 1200 ans à près de 20 millions (morts et survivants inclus dans les deux cas). Aussi fous ou exagérés que ces chiffres puissent paraître, ils traduisent néanmoins le fait indubitable que le Noir fut la victime tout autant du capitalisme impérialiste européen que du prosélytisme guerrier arabe. Et ce n'est pas fini: Le Soudan et la Mauritanie sont encore là pour nous rappeler que l'esclavage arabe est toujours présent en Afrique.

Il y a donc comme un petit malaise quand Dieudonné va s'attaquer aux Juifs dans un pays arabe d'Afrique nommé Algérie.

S'il faut véritablement parler réparations et devoir de mémoire, les Noirs doivent se tenir prêts à demander des comptes non seulement aux Européens, mais aussi aux Arabes.

(…)

Le Juif, dans ce sens, devrait en toute logique devenir un allié, implicite ou explicite, du Noir. L'histoire des deux peuples est similaire: tous deux ont subi des holocaustes. Leur histoire est également différente: à son holocauste, le juif a répondu par un "plus jamais" catégoriquement nationaliste, tandis que le Noir a choisi d'oublier, de renoncer, de se prostituer. L'exemple du Juif, qui consiste en un nationalisme inébranlable et à un sens de la solidarité qui, au-delà des états et des frontières, s'affirme avec une abnégation que l'on ne peut manquer d'admirer, aurait dû servir d'inspiration aux Noirs du monde et leur apprendre la leçon fondamentale: seuls les peuples qui s'assument ont une voix.

Pour imposer aux autres le devoir de mémoire qui lui fera justice sur le plan historique, le Noir devra donc se défaire des postures immobilistes de victime qui sont maladivement devenues son refuge en ce contexte de mondialisation implacable, et rallumer le flambeau longtemps éteint qui fut celui de Senghor, Césaire, Fanon, Marley, Garvey, Kenyatta, Nkrumah, Lumumba, Luther King, Malcom X, Mandela, parmi d'autres. Ces noms qui symbolisent les valeurs de panafricanisme et de négritude d'antan manquent cruellement au monde africain d'aujourd'hui: les Africains, qu'ils soient sur le continent ou dans la diaspora, représentent de nos jours un monde hétéroclite écartelé par ses souffrances individuelles et handicapé par une approche individualisée, voire isolée, de ses combats.

Dieudonné, en bien ou en mal, a le mérite d'avoir rappelé aux Nègres de France et d'Afrique les enjeux existentialistes auxquels le Noir doit continuellement faire face. Il a défini la cause, la bonne cause. Il devra maintenant, pour réussir, adopter le bon combat. Celui qui consiste, si telle est sa vocation, à devenir le Messie qui revigorera les Nègres non seulement de France, mais aussi du monde, pour, collectivement, imposer à ceux qui ont voulu en faire un simple accident de l'histoire, le cruel souvenir du Nègre déshumanisé. Pour cela, nul n'est besoin de taire le souvenir Juif fait pour exprimer la souffrance juive. Les Noirs devront eux-mêmes, s'ils se veulent crédibles, trouver la voix de leur propre souvenir. »

Pourquoi L'amitié Judéo-noire ?

Dernier point (provisoirement) à signaler, la création d’une association qui prône entre peuple juif et peuples noirs, le respect et la fraternité :
(http://www.amitiejudeonoire.com)

« L'Amitié Judéo-Noire souhaite faire en sorte qu'entre peuple juif et peuples noirs, africains et antillais, la connaissance, la compréhension, le respect et l'amitié se substituent aux malentendus et aux manifestations d'hostilité.

Au sein de l'Amitié Judéo-Noire, nous voulons, par un dialogue fraternel et par une coopération active et amicale, travailler sur l'histoire et la mémoire du peuple juif et des peuples noirs, africains et antillais, et à combattre l'antisémitisme et le racisme dans toutes leurs manifestations. Nous excluons de notre activité toute tendance au syncrétisme et toute espèce de prosélytisme. Nous ne visons aucunement à une fusion des opinions, qui doivent rester diverses et variées. Nous ne réclamons de personne aucune abdication ni renoncement à ses attaches ancestrales ; mais nous attendons de chacun, dans la conscience de ce qui distingue et de ce qui unit Juifs et Noirs, une entière bonne volonté, une totale loyauté d'esprit dans la recherche, en même temps qu'un rigoureux effort de vérité.

En toutes circonstances et face à tous les bonimenteurs et autres falsificateurs de la Vérité, nous souhaitons rappeler l'ancienneté des bonnes relations entre nos peuples. En effet, plus de deux millénaires témoignent d'échanges ancestraux sur les plans économique, littéraire, artistique, musical, scientifique, agronomique ou culinaire.»

Note : Nous rappelons que les propos cités dans les tribunes et les interviews n’engagent que leurs auteurs.