Le CRIF en action
|
Publié le 14 Février 2005

Discours de M. Jean-Pierre RAFFARIN, Premier ministre, au dîner du CRIF samedi 12 février 2005

Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les ministres, d’hier et d’aujourd’hui, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Madame la Présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, chère Simone Veil, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Monsieur le Maire de Paris, Monsieur le Président du Conseil Régional, Messieurs les Représentants des cultes, Mesdames, messieurs Monsieur le Président du CRIF,



Je suis heureux aujourd’hui de participer à ce temps unique, qu’est le déjeuner du CRIF, qui permet un temps de dialogue et qui permet un temps d’échange. Vous l’avez vu vivant, mais aussi approfondi, autour des valeurs de la République.

La France est une Nation solide parce qu’elle est une Nation fortement attachée aux valeurs républicaines.

La promotion de ses idéaux de dignité, de respect, de solidarité est un impératif pour tous les responsables publics, ici présents, pour tous les responsables publics en général et, naturellement, cette promotion des idéaux de la France, guide l’action de mon gouvernement depuis bientôt trois ans.

Cette année de commémoration de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps nous rappelle que la mémoire juive est une mémoire que le temps n’atteint pas. La mémoire de la République se doit elle aussi de ne point faiblir.

Qui a lu "Les lettres de Georgy à « sa chère maman »", depuis la Maison d’Izieu, ne peut oublier, à jamais.

Cette douleur inoubliable rend particulièrement odieuses toutes les résurgences de l’antisémitisme que le Gouvernement, mon gouvernement combat sans relâche.

Le respect de ces principes est plus que jamais une ardente exigence.

L’expression de cette conviction n’est pas un simple slogan, Mesdames et Messieurs, car, nous le savons tous, la société française est depuis plusieurs années confrontée à de graves turbulences qui nous font craindre de lourdes amnésies et aussi des remises en cause de notre pacte républicain.

Ce malaise s’exprime de bien des façons.

Parmi les symptômes les plus inquiétants figure évidemment la croissance inadmissible des actes de racisme et d’antisémitisme depuis le début des années 2000.

Ces difficultés, nous devons y faire face avec lucidité, avec détermination, et sans faux semblant.

S’agissant du racisme et de l’antisémitisme, mon premier devoir, celui du gouvernement, est de marquer de façon inlassable le caractère intolérable des actes qui agressent les citoyens, au prétexte de leur religion ou de leur origine.

Il s’agit d’attentats indignes et dont chaque Française et chaque Français porte la cicatrice. Le rappel de ces principes ne serait rien sans une action ferme et adaptée à la défense des droits de nos concitoyens.

Depuis près de trois ans, nous avons pris de nombreuses mesures en ce sens.

Je peux affirmer, monsieur le Président, que, ces initiatives ont souvent été prises, après avoir dialogué de façon approfondie avec les associations et les instances représentatives, et notamment avec le CRIF.

La République promet la liberté, elle se doit d’assurer son préalable : la sécurité pour tous. Le rétablissement de celle-ci est depuis 2002, une priorité. Cela ne vous a pas échappé Monsieur le président, c’est la priorité qu’a fixée à mon gouvernement, le Président de la République.

Le nombre des actes d’antisémitisme m’a conduit à décider une action de sécurisation renforcée des établissements de la communauté juive dès l’été 2002.

Et conformément à l’engagement que j’avais pris ici même, devant vous, l’année dernière, l’État a participé à un programme financier de sécurisation matérielle de ces établissements.

Par ailleurs, une instruction particulière a été donnée afin que la présence policière soit renforcée et une information spécifique à l’attention de tous les policiers et de tous les gendarmes, ainsi qu’un document à l’attention des victimes ont été diffusés pour faciliter les dépôts de plaintes lorsque des actes racistes ou antisémites sont commis. Je me souviens que vous m’aviez demandé de faciliter cet accès au droit pour les victimes. Aujourd’hui, nous avons engagé les démarches dans cette perspective.

Le ministre de l’Intérieur vient de prendre des dispositions particulières pour la protection des cimetières, en liaison avec les communes, mais aussi pour lutter contre le racisme partout où il s’exprime, y compris dans les stades, et pour interdire, dans tout le pays, les groupes néonazis.

En matière judiciaire, j’ai entendu ce que vous disiez, monsieur le Président, à propos de décisions prises par certains tribunaux qui ont surpris, voire choqué.

Je veux dire ici avec la plus grande des sincérités à ceux qui ont été touchés et qui sont présents ce soir, particulièrement aux parents des jeunes élèves qui ont eu à subir des agressions intolérables, combien je comprends leur douleur.

J’affirme ici ce soir, que la volonté gouvernementale en ce domaine s’est exprimée, s’exprime et s’exprimera toujours de façon la plus ferme. Au sein de mon gouvernement, cette fermeté est collective.

D’abord elle s’est exprimée par le soutien à la proposition de loi, déposée par P. Lellouche, qui a fait du motif raciste ou antisémite d’une infraction "une circonstance aggravante", permettant le prononcé d’une sanction plus lourde.

Ensuite le Garde des Sceaux, lui aussi présent, a envoyé des instructions de grande rigueur aux Parquets généraux pour que ces actes soient particulièrement punis.

Et, vous le savez, plusieurs décisions d’une sévérité exemplaire ont été rendues en 2004 par les tribunaux.

Pour ne prendre qu’un exemple : quand la personne qui a souillé de graffitis nazis le mémorial de Douaumont est condamnée à deux ans de prison, dont un ferme, l’exemplarité de la peine est à la hauteur de la faute.

Il nous appartient à tous de faire connaître cette sévérité des tribunaux pour que ceux qui seraient tentés de céder à des pulsions de haine aussi odieuses qu’intolérables sachent que la justice de notre pays punit avec sévérité leur acte !

Au-delà du droit premier au respect, à la dignité et à la sécurité, notre responsabilité est de prévenir et de combattre ces phénomènes.

Chacun le sait ici, on ne naît pas raciste, on ne naît pas antisémite, on le devient.

C’est pourquoi les questions de l’éducation sont pour nous majeures et l’institution scolaire est un lieu privilégié de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

Ce travail éducatif nous a conduit à diffuser dans les établissements scolaires un « Livret républicain », outil pédagogique destiné à lutter contre le racisme, l’antisémitisme et les dérives communautaristes.

A L’initiative du ministre de l’Education que je salue, la mise en place d’un système de repérage des actes antisémites parmi les actes racistes permet désormais des réactions plus rapides des autorités académiques.

La désignation dans chaque académie des correspondants chargés de conseiller les chefs d’établissements lorsque des situations de ce type interviennent doit également permettre des réactions plus et mieux adaptées.

Dans ces deux cas, mon souci est que les victimes trouvent des interlocuteurs qui sachent les entendre.

Et notre volonté est aussi de confronter les agresseurs à des adultes qui puissent leur faire rapidement prendre conscience de leurs responsabilités. Cet engagement de l’Education est essentiel, mais aussi, vous l’avez signalé, le terrain de la culture est particulièrement important. La culture est évidemment un enjeu essentiel dans la lutte contre la propagation d’idées racistes ou antisémites.

Je condamne ici fermement ceux qui font du racisme un fonds de commerce, un fond de salle pour certains artistes qui cherchent à faire applaudir la haine !

Qu’ils sachent qu’en aucune façon leur notoriété ne les met pas hors la loi.

Je condamne aussi ceux qui leur font écho.

On ne peut en aucune manière tolérer la mise en scène de la haine. Je suis, nous sommes avec D. De Villepin, particulièrement vigilants quant à certaines initiatives supposées littéraires, telle que celle, qui récemment était présentée dans la presse comme « un livre inqualifiable ».

Je n’en dirais pas plus, ici et maintenant, pour ne pas faire de la publicité à l’indignité !

Pour ce qui concerne la communication, conformément à ce que j’avais annoncé ici même il y a un an, j’ai proposé au Parlement une évolution majeure de la législation : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a désormais la capacité d’intenter une action devant le Conseil d’État pour faire cesser la diffusion d’une chaîne, dont les programmes porteraient atteinte à l’ordre public, à la dignité de la personne humaine, à l’exigence de protection des mineurs et autres principes fondamentaux, au nom desquels la liberté de communication doit être limitée.

C’est dans ce contexte que nous nous sommes donné les moyens juridiques d’interdire la chaîne Al Manar, dont nous avons dénoncé les messages et les images qui nous rejetaient 65 ans en arrière, au temps de Goebbels ! Nous n’avons pas à rougir de l’action de la France sur ce sujet ! Car nous nous nous sommes donné les moyens juridiques d’interdire la chaîne Al Manar qui n’est plus autorisée sur notre territoire, et nous avons pu officiellement l’interdire. Et dans cette affaire, il ne pouvait y avoir aucune compromission, vous le savez bien, avec ceux qui diffusent des idées antisémites.

Et ce mois de novembre, cher Président, a été celui durant lequel les procédures utiles et nécessaires ont été mises en œuvre pour obtenir l’interdiction de la chaîne.

Il était évidemment nécessaire de le faire dans le respect du droit et cette décision a été confortée par la plus haute juridiction administrative française. Je dois vous le dire avec sincérité, par le passé, j’ai vu souvent des démarches légitimes qui étaient affaiblies par leur fragilité légale. Dans ce combat, j’ai mis la légalité avec nous. Et aujourd’hui, nous pouvons agir avec efficacité. C’est cela la responsabilité d’un gouvernement !

J’avais pris des engagements, et je suis fier d’être devant vous aujourd’hui, parce que je les ai tenus.

Je me félicite d’ailleurs qu’à l’étranger, après cette interdiction, d’autres États nous aient suivis. C’est bien. Sur ces sujets, on n’avait pas le sentiment que la France donnait l’exemple. Pour une fois, on nous suit, c’est très bien, j’en suis très heureux.

Mais le combat évidemment doit continuer. Et la France a décidé, en accord d’ailleurs avec les organisations représentatives, dont j’ai parlé tout à l’heure, et avec vous Monsieur le président, j’ai demandé que cette affaire soit portée au niveau européen par R. Donnedieu de Vabres, ici présent, le ministre chargé de la Culture et de la Communication, et je peux vous dire que la concertation au niveau européen sur ce sujet avance actuellement dans toutes les instances. Je m’y impliquer personnellement. C’est pour nous tous très important, puisque nous savons bien, que c’est l’espace européen aujourd’hui qu’il nous faut protéger de toutes ces émissions qui sont destructrices du principe d’humanité.

* * *


La mise en œuvre de cette politique contre le racisme, contre l’antisémitisme, est désormais coordonnée en France, au niveau de l’État, par le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme que je préside régulièrement.

Je veille à ce que ce Comité se réunisse très régulièrement puisque, depuis le mois de décembre 2003, il s’est déjà tenu à six reprises.

Ce Comité, expression d’une volonté gouvernementale forte, est maintenant indispensable à la coordination interministérielle, au point que l’on s’étonne même qu’il n’ait pas été créé plus tôt. Il est d’ailleurs cité en exemple à l’étranger.

Compte tenu de cette expérience, je souhaite qu’une démarche analogue de concertation puisse être engagée au niveau européen.

Je soumets donc à nos partenaires européens une proposition visant à inscrire ces sujets, de façon régulière et spécifique, à l’ordre du jour des réunions des conseils des ministres « Justice-Affaires intérieures » de l’Union européenne.

Grâce à cette initiative, je souhaite qu’une concertation interministérielle, renforcée au plan européen, puisse être mise en œuvre pour déboucher sur une action ambitieuse et efficace.

L’idéal de la liberté d’expression ne doit pas être un blanc seing donné à l’intolérance.

* * *


Au plan international, s’agissant de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, nous avons pris de multiples initiatives, en cohérence avec la volonté exprimée au plan national.

Celle à laquelle j’attache personnellement l’importance la plus grande concerne l’élaboration d’"un Code éthique" pour lutter contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet.

S’il est en effet difficile de mettre en place, au plan international, un régime juridique aussi sévère que celui mis en place en France, nous ne pouvons tolérer un régime de totale impunité sur l’Internet, mode de communication planétaire par excellence.

Plusieurs conférences internationales nous ont permis aujourd’hui d’avancer, et je souhaite, et je pense, que nous pourrons conclure concrètement ces travaux avant la fin de l’année.

* * *


J’en viens, Monsieur le Président, à notre diplomatie. Je vous ai attentivement écoutés. Ces sujets sont graves, au moment où le soleil de l’espoir se lève enfin. Alors, je ne veux pas polémiquer, et je limite mon propos à une citation :

« La France a beaucoup évolué dernièrement, et de manière très positive. On l’a vu avec l’adoption de la résolution 1559 pour la souveraineté du Liban. J’ai été très encouragé par l’interdiction en France de la chaîne de télévision Al-Manar. C’était un signe très positif pour les Israéliens. On a vu la réaction de la France après les attaques antisémites commises sur son territoire, la participation de Jacques CHIRAC aux commémorations de la libération d’Auschwitz, celle de Michel BARNIER à la Session spéciale des Nations Unies, les efforts français vis-à-vis du nucléaire iranien. Toutes ces initiatives sont très positives. Les relations entre la France et Israël reprennent des couleurs. Il y a beaucoup plus d’optimisme entre nous. Les Israéliens qui en doutent encore n’ont qu’à regarder ce que font les Français. Quelque chose se passe et c’est très bien ».

Ces propos sont de Sylvan Shalom, le Ministre des Affaires étrangères d’Israël, qui sera reçu, lundi prochain, au Palais de l’Elysée, par le président de la République française.

La politique de la France au Proche Orient n’a qu’un seul parti pris : celui de la paix, de la réconciliation et de la sécurité.

Nous pouvons faire de 2005 l’année de la paix entre Israéliens et Palestiniens.

La rencontre entre messieurs Sharon et Abbas est le signe d’un espoir retrouvé, avec l’engagement réciproque d’un cessez-le-feu, certes fragile, mais qui constitue un pas essentiel vers la confiance.

Elle succède à une série d’évènements qui s’inscrivent dans une perspective de paix.

La décision courageuse de M. Sharon de retirer les forces israéliennes de Gaza a été saluée comme il se doit par la France, par l’Union Européenne, et par la communauté internationale.

C’est une mesure concrète, importante, qui donne corps aux perspectives de paix, articulée avec la feuille de route qui reste le cadre pour parvenir à un règlement.

L’attitude des Palestiniens, et de leurs autorités lors des élections présidentielles de janvier a témoigné d’une maturité démocratique, attestant de la volonté du peuple de prendre son destin en main. Le Président Bush dans le discours sur l’Etat de l’Union, a exprimé l’engagement de l’Amérique pour la recherche d’une solution de paix fondée sur deux Etats.

Pour la France, vous le savez, la paix passe par l’avènement d’un Etat palestinien viable et démocratique, vivant en paix et en sécurité avec l’Etat d’Israël, pleinement et légitimement conforté.

T. Blair sur place a participé au rapprochement des positions.

C’est un enjeu sur lequel la coopération transatlantique peut et doit être la paix en puissance. Nous le savons, le défi reste immense.

Les services de l’Autorité Palestinienne auront assurément à se réorganiser pour accroître les garanties de sécurité, au bénéfice des Israéliens comme des Palestiniens.

La paix ne peut se construire avec le terrorisme. Vous avez eu raison, Monsieur le président, de désigner le terrorisme, et vous connaissez bien la position de la France, qui a été, et je pense notamment à l’attentat de Karachi, elle aussi touchée par le terrorisme. Le terrorisme se nourrit souvent de la misère, et c’est pour cela que nous voulons et la paix, et le développement comme le propose le président de la République. La Conférence de Londres qui se tiendra le 1er mars donnera l’occasion à la communauté internationale d’apporter tout son appui à ce processus.

Le retrait de Gaza est, nous le voyons bien, une source de difficultés politiques pour M. Sharon. Il faut encourager sa réussite, faire en sorte que cette initiative contribue à la recherche de la paix.

Ces progrès de terrain doivent s’accompagner d’une perspective politique réelle. Au-delà de la réussite du désengagement de Gaza, au-delà de la réussite des réformes palestiniennes, la Feuille de route prévoit la tenue d’une Conférence internationale pour relancer le processus politique et préparer les négociations sur le statut final.

C’est aussi la volonté et l’engagement de la France, que partagent nos partenaires européens.

Comme le montre le dossier nucléaire en Iran, et vous l’avez cité tout à l’heure monsieur le Président, la crédibilité de la France passe par l’indépendance de sa politique et par sa volonté de promouvoir des solutions qui assurent la stabilité de la région. Elle a inspiré l’initiative des trois Européens, engagés dans la recherche d’une solution négociée après la découverte d’activités nucléaires non déclarées en Iran, qui a fait émettre des doutes sur ses intentions.

Notre objectif est simple : faire en sorte que les programmes nucléaires en Iran ne puissent pas déboucher sur des capacités nucléaires utilisables à des fins militaires.

C’est un effort déterminé, au bénéfice d’un objectif de paix et de stabilité, et qui est d’ailleurs apprécié, je peux vous le dire, par nos partenaires européens, par nos alliés, et par les pays de la région.

* * *
Mesdames, messieurs,

L’Europe d’aujourd’hui s’est bâtie, ne l’oublions pas, sur les décombres de la pensée et sur l’horreur de la Shoah !

Cette destruction de toute humanité a créé le vide d’où paradoxalement ont surgi les idées de fraternité et de réconciliation sur lesquelles nous bâtissons aujourd’hui.

La conscience du mal absolu qui a été perpétré dans les camps de concentration et d’extermination doit être un fondement imprescriptible de notre aventure européenne.

Comme le rappelait Simone VEIL, voici quelques jours, à l’occasion de la commémoration du soixantième anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz Birkenau : « Les pays européens qui, par deux fois, ont entraîné le monde entier dans des folies meurtrières ont réussi à surmonter leurs vieux démons.

C’est ici, où le mal absolu a été perpétré, que la volonté doit renaître d’un monde fraternel, d’un monde fondé sur le respect de l’homme et de sa dignité .

C’est bien l’enjeu de notre combat d’aujourd’hui : que les valeurs d’humanité de la République française vivent pleinement au sein de l’Europe !

Notre projet européen n’est pas celui d’un organisme technocratique et politiquement indécis. Notre Europe n’est pas sans conscience. Je le dis avec force ce soir devant vous : le continent européen, avec la mémoire des fautes qui ont été commises, est porteur d’un projet, libéré de cet antisémitisme meurtrier et épouvantable qui a gangrené sa société jusqu’au milieu du XXè siècle.

Dans l’Europe que nous construisons et à laquelle nous croyons, il ne peut pas y avoir de place pour l’antisémitisme, ni pour toute forme de compromission avec cette négation de l’esprit.

Certes, rien n’est jamais acquis et, pour éviter toute régression, les vertus pédagogiques de l’exemple doivent être sans cesse mises en valeur.

C’est pourquoi, voici deux ans, j’avais pris devant vous l’engagement de faire procéder à la rénovation de l’exposition française du pavillon d’Auschwitz : il s’agissait pour moi de redonner sens à la présence de cette exposition dans ce lieu de l’horreur totale.

Je sais combien l’inauguration de ce pavillon par le président de la République le 27 janvier dernier fut marquée par l’intense émotion qu’appelait ce moment de recueillement devant la mémoire des millions de victimes de la Shoah et de la déportation.

Dans ce même esprit, je vous annonce que j’ai décidé de me rendre, à l’invitation du gouvernement israélien, à l’inauguration du nouveau Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, les 15 et 16 mars prochains.

Je suis très heureux de me rendre pour la première fois en Israël, dans cet État ami.

Honorer la mémoire des Justes qui, au péril de leur vie, sauvèrent leurs frères en humanité, c’est promouvoir une mémoire d’espoir.

Une mémoire qui nous rappelle qu’aux moments les plus sombres de la nuit humaine, la lumière de la fraternité et de l’amour n’a pas cessé de luire, fût-elle vacillante.

Faire ce détour par la souffrance de l’autre est pour moi essentiel : c’est ainsi que l’on comprend dans son intimité la plus profonde, l’angoisse du peuple juif, son sentiment toujours d’être menacé, son attachement à un État dont l’existence garantisse le « plus jamais ça », selon les mots du Président de la République lors de l’inauguration du mémorial de la Shoah, le 25 janvier dernier.

Être Européen aujourd’hui, c’est avoir la foi dans les leçons de l’histoire et dans l’inséparabilité de la culture et de la liberté.

Nous avons besoin de l’Europe parce que son histoire l’oblige, elle l’oblige à être la première à prévenir la haine.

Elle doit être aux avant-postes de la vigilance.

Notre société est pleine de diversité, c’est ce qui fait sa force. Mais au-delà de cette diversité, des valeurs essentielles nous rassemblent. Parmi celles-ci, le respect de l’autre. La liberté de conscience peut trouver à s’exprimer tant sur le plan politique que pour les convictions religieuses dans notre République.

J’ai eu l’occasion déjà de vous le dire l’an passé : l’un des thèmes structurants de la République, à savoir la laïcité, ne conduit évidemment pas à une opposition au fait religieux.

Bien au contraire, je pense que les progrès de la culture et de la connaissance en ces domaines sont indispensables pour promouvoir la cohésion sociale, le respect mutuel et aussi l’épanouissement personnel.

Là encore, l’Europe est pour nous une chance formidable et j’observe que le projet de Constitution européenne qui sera prochainement soumis à l’approbation du peuple français comporte expressément des mesures qui permettent de conforter un dialogue responsable et aussi serein entre les autorités publiques et les différents cultes.

Empêcher le retour d’attitudes et d’actes intolérables, c’est aussi organiser les capacités de dialogue avec l’ensemble des courants de pensée.

Nous le savons tous, c’est l’absence de dialogue qui nourrit la haine.

La possibilité de s’exprimer librement qui caractérise nos sociétés démocratiques.

Notre responsabilité est de veiller à ce que le projet politique et démocratique qui nous anime à l’échelle de l’Europe soit pleinement conforme à l’idéal de ses pères fondateurs, l’idéal de la paix. Nos pères ont bâti l’Europe pour la paix à l’intérieur de nos frontières. Nous devons, aujourd’hui, renforcer l’Europe pour la paix du monde, pour l’équilibre de la planète.

* * *


Mesdames et messieurs,

Regardons notre pays et notre continent.

Sachons apprécier la chance qui est la nôtre de vivre dans une société démocratique, républicaine, respectueuse de l’être humain.

Sachons apprécier la chance que nous avons de vivre dans une Europe qui veut maîtriser les vieux démons même si nous devons faire preuve d’une vigilance constante, car rien n’est jamais acquis.

Regardons notre société sans excès de pessimisme.

Ne craignons pas la politique quand elle exprime sa noblesse, son honneur, quand « elle se définit comme ce qui enlève à la haine son caractère éternel ».

Merci au CRIF de nous rassembler contre la haine.

La France que nous aimons nous rassemble dans la fraternité, l’Europe que nous voulons nous rassemble pour la paix.

Contre la Haine, Dans la Fraternité, pour la Paix, Notre vigilance fonde notre espérance.

Je vous remercie.