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Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé…
À la mémoire de Jean Moulin, préfet, héros de la Résistance, mort en gare de Metz le 8 juillet 1943. » Dans le jardin intérieur de la préfecture de la Moselle, à Metz, la stèle érigée en 1994 par le préfet Roger Benmebarek est d’une sobriété suffisante. Encore ce monument n’est-il peut-être pas exactement conforme à la réalité historique.
En gare de Metz, la plaque commémorative dévoilée en juin 1983 par le ministre des Anciens Combattants Jean Laurain et le ministre des Transports Charles Fiterman, pour le 40e anniversaire du Conseil national de la Résistance (CNR), est plus juste : « A la mémoire de Jean Moulin, 1899-1943, préfet de la République, délégué du général De Gaulle en France, unificateur de la Résistance, fondateur du Conseil national de la Résistance, arrêté le 21.6.43 à Caluire par la Gestapo, présumé mort en gare de Metz le 8 juillet 1943. » Cette inscription confirme que nul ne saura jamais où est mort Jean Moulin.
Arrêté dans le Rhône le 21 juin 1943 par Klaus Barbie, en compagnie de sept autres résistants, dont Raymond Aubrac, il fut transféré une semaine plus tard à Paris, puis à Neuilly. Torturé par la Gestapo et sans doute aussi, hélas, par les auxiliaires français du groupe Bonny-Laffon, le préfet, agonisant, fut mis dans un train en direction de Berlin le 8 juillet. Dès lors, les témoignages divergent : les uns affirment qu’il a rendu son dernier souffle à Metz, d’autres à proximité de Francfort. Ce n’est que huit mois plus tard, le 2 février 1945, que fut établi son acte officiel de décès, retrouvé dans les registres de l’état civil de Metz. Avec cette cynique mention : « Herzlähmung » (paralysie du cœur)…
La République asservie
En 1981, Henri Tribout de Morembert, alors président de l’Académie nationale de Metz, contesta cette version. Selon ses recherches, Jean Moulin aurait succombé à ses bourreaux à Neuilly, et n’aurait jamais été placé dans un train. Cette sinistre fable serait une invention des gestapistes, pour se préserver de la colère des services allemands privés des confessions du chef de la Résistance.
On n’est même pas certain que ce sont réellement les cendres de Jean Moulin qui ont été accueillies en 1964 au Panthéon par l’inoubliable discours d’André Malraux : « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé… »
Qu’importe, au fond ? À Lyon, à Metz, à Paris, on se souvient aujourd’hui de celui qui mourut « sans jamais [avoir trahi] un seul secret, lui qui les savait tous », après avoir consacré toutes ses forces à la République asservie. « Nul ne sait où repose le corps torturé de Jean Moulin », reconnaît le Mémorial des fonctionnaires du corps préfectoral. « Mais, ajoute-t-il, son âme, pour toujours vivante, est partout où est la France », et là est l’essentiel : soixante-dix ans après son martyre, Jean Moulin demeure l’« exemple d’indomptable courage, modèle rayonnant de sagesse et de cœur », tel que le décrit le texte de sa citation à l’Ordre de l’Armée. Et il nous a légué l’œuvre immense du CNR, auquel fait référence la troisième stèle commémorant son nom à Metz, à la caserne Serré de Rivière, où Jean Moulin fut un simple sapeur du 2e Génie en 1918. Pour une première libération.
Source: http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2013/07/08/le-mystere-de-la-mort-de-jean-moulin