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Des électeurs de gauche lui ont apporté leurs voix et que lit-on ? Qu’entend-on ? Que c’est l’alerte rouge ? Qu’ici, en France, la situation est tout aussi grave qu’en Hongrie et bien plus grave qu’en Grèce ? Non, pas du tout. Il est minuit, dormez braves gens, dit le guet, car, lorsqu’on ne veut pas s’inquiéter, on trouve toutes les raisons de ne pas le faire. C’était une partielle. C’était la circonscription de ce mensonge fait homme qu’est Cahuzac. C’est la faute des Verts qui n’auraient pas dû présenter de candidat au premier tour. L’abstention a été massive et le vote blanc exceptionnellement important.
C’est quand même, au bout du compte, la droite qui a gagné et puis «Marine» - n’est-ce pas ? - n’est pas son père. Avec elle, pas de bonnes blagues sur ce «détail de l’histoire» qu’est le génocide des Juifs d’Europe, pas de gros fachos nostalgiques, mais des jeunes gens tout ce qu’il y a de plus polis et pas même de participation aux manifestations contre l’égalité en droits des homosexuels. Bon sang, mais c’est bien sûr ! Dormons, car les succès mêmes de Mme Le Pen prouveraient qu’il n’y a pas de place en France pour l’extrême droite puisque ce n’est qu’en reniant ses racines et dénonçant le recul des acquis sociaux que le Front national a pu sortir de son ghetto et séduire autant d’électeurs.
Tout va très bien, Mme la France, sauf que le fascisme avait aussi pris son essor en rejetant droite et gauche et défendant à la fois les plus faibles et la nation. Cela ne veut pas dire que le passé sera l’avenir.
La France d’aujourd’hui n’est ni l’Italie ni l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, mais ce cocktail n’en est pour autant pas inoffensif. Ce n’est pas une répétition mécanique des années 30 qui menace, mais le parti qui pourrait bien engranger le plus grand nombre de suffrages aux élections européennes de l’année prochaine n’en surfe pas moins sur toutes les peurs, le «tous pourris» et la diabolisation des «élites» comme traîtres à la patrie et suppôts des grandes banques. Si l’on ne trouve rien d’inquiétant à cela, dormons, mais l’on serait mieux inspiré de sauter du lit avant que le FN ne soit devenu le premier parti de France, car, ce jour-là, le réveil sera dur. Il ne sera alors plus temps de s’effarer de la régression politique que nous connaîtrions, du basculement d’une grande partie de la droite, des ralliements massifs dans l’appareil d’État et du climat délétère qui s’ensuivrait, le même que celui de la Hongrie. Alors ? Alors il n’est pas trop tard pour réagir. Il est encore temps de contrer la progression du FN, mais à condition de ne plus laisser croire aux Français que la France serait fichue et que la seule solution serait pour elle de sortir de l’Union, d’en revenir au franc et de barricader ses frontières.
Il est temps de dire que la France compte parmi les sept démocraties les plus riches du monde, qu’elle pèse sur la scène internationale, que ses atouts sont si solides qu’elle emprunte à de très bas taux et que, si profondes que soient ses difficultés du moment, elle n’est aucunement promise à un inéluctable déclin. Il est temps de dire à la France que, oui, les cotisations sociales pesant sur ses coûts de production sont trop élevées pour que son industrie reste compétitive et qu’il lui faut donc choisir entre trois options : placer la protection sociale sous conditions de ressources, en réduire l’étendue ou assurer son financement par l’impôt. Il est temps de dire que, non, l’appartenance à l’Union ne nuit pas à la France, qu’il faut certainement en changer les institutions et les politiques, mais que c’est grâce au Marché commun que le boom de la reconstruction s’était prolongé dans les Trente Glorieuses et que c’est seulement unis que les Européens pourront faire face aux États continents, se réindustrialiser, réduire leurs dépenses en les mutualisant et se maintenir à la première place.
Il est temps de dire aux Français que si la gauche et la droite peuvent parfois converger, ce n’est pas parce qu’elles seraient aussi pourries ou stupides l’une que l’autre, mais parce qu’il y a des réalités qui s’imposent à tous. Il est temps de dire que, si peu clair et charismatique que soit François Hollande, les évolutions qu’il introduit sont parfaitement sensées et que, s’il fallait demain une union nationale pour les accélérer, ce ne serait pas le scandale des scandales. Il est, en un mot, temps de dire que, non, tout ne va pas mal, car c’est de ce catastrophisme national que se nourrit le FN, parti du «y a qu’à», de la peur et du «faut qu’on», parti qui mènerait la France dans le mur s’il venait à peser sur son destin.