Tribune
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Publié le 2 Mai 2013

Morale civique: l'école va bien, pas les élèves

 

Par Luc Ferry pour le Figaro

 

Vincent Peillon veut faire de la morale civique  un véritable objet d'enseignement,  avec des horaires dédiés, un programme construit et une évaluation réelle. Auditionné  par la commission chargée d'élaborer ce projet, je lui ai apporté mon soutien, du reste comme 90 % des Français. Cela étant dit, il s'agit davantage  à mes yeux d'un moyen d'introduire  un peu de philosophie dans  nos enseignements qu'une façon  de régler les problèmes d'incivilité,  de motivation des élèves ou même tout simplement d'incapacité d'attention qui minent notre école aujourd'hui.

 

Partout, depuis des années, je lis dans la presse que le «système scolaire prend l'eau», que c'est une «fabrique du crétin», que nos professeurs  sont médiocres, en grève quand ils  ne sont pas en vacances et en vacances quand ils ne font pas grève, que les programmes sont indigents,  qu'on n'enseigne plus la grammaire, ni la chronologie en histoire, qu'on zappe Louis XIV et Napoléon, etc. Quitte  à choquer, je prétends, arguments  à l'appui, que cette vision des choses est absurde, que la réalité est tout autre. Pour l'essentiel, il s'agit  de fariboles répandues par des gens qui n'ont jamais lu les programmes officiels et se contentent de jeter un œil aux manuels, en effet souvent désastreux, de leurs enfants.

 

La vérité, c'est que nos programmes, qu'il ne faut surtout pas confondre  avec ce qu'en traduit l'édition scolaire, laquelle est libre en France  de les interpréter comme elle l'entend, sont dans l'ensemble plutôt bons. Hormis au primaire, où ils ont été hélas maltraités en 2008, et dans deux matières, la technologie et l'économie, où des progrès réels restent à faire,  ils permettent de faire d'excellents cours pourvu que le professeur en ait le talent. Je demande, par exemple, qu'on regarde objectivement les instructions officielles touchant l'histoire en 6e et en seconde, ou encore celles  de français, de biologie et de maths  du lycée: il est difficile de trouver plus pertinent. Les professeurs disposent là d'une base solide pour travailler avec leur classe. J'ajoute que leur niveau  de recrutement, notamment dans  le primaire, n'a jamais été aussi élevé.

 

Contrairement, là encore, à une idée reçue, la qualité de nos enseignants  est l'une des meilleures du monde, bien supérieure en moyenne à ce qu'elle était dans les années soixante-dix. Lorsque je rencontre les maîtresses de mes filles, je suis frappé par leur compétence et leur sens du devoir. Bien entendu, il y a comme partout  des canards boiteux, des professeurs sans talent et des militants politiques, c'est inévitable, mais ce n'est pas le cas général. Alors qu'est-ce qui cloche  et pourquoi le niveau baisse-t-il de manière si consternante d'après toutes les enquêtes de compétence nationales ou internationales?

 

Aussi pénible qu'il me soit  de le dire, cela ne tient pas, ou pas essentiellement, au système scolaire  ni à l'état de l'école, mais à celui des familles et à ce qu'il faut bien appeler  la mauvaise éducation de nos enfants. Quand ces derniers sont «mal élevés», pour parler un langage familier, mais qui convient à la réalité d'aujourd'hui, l'enseignement devient tout simplement impossible. L'éducation, qui relève des parents en direction  des enfants dans la sphère privée de la famille, doit précéder l'enseignement, qui relève des professeurs en direction des élèves dans la sphère publique  de l'école. Or c'est d'abord là que le bât blesse, et il est trop facile  de se défausser sur «le système»  de ce que les adultes ne font plus.

 

Un enfant doit être déjà «civilisé» avant d'entrer à l'école, il doit avoir appris à respecter les autres, à écouter, à observer des règles de conduite  qui permettent la vie commune. Il faut qu'il ait acquis le sens de l'autorité  et de la loi. Or c'est là la tâche des parents qui doivent appliquer un principe simple: que votre oui  soit un oui et votre non un non!  Ne négociez pas en permanence l'heure du coucher, des devoirs, de fermer  la télévision ou l'ordinateur.

 

Faute d'un minimum d'éducation,  il suffit dans une classe de quatre  ou cinq élèves privés de «surmoi» pour rendre la tâche des professeurs insupportable. C'est une bonne chose de consacrer un véritable enseignement à la morale civique.  Il ne faudrait toutefois pas qu'il serve encore davantage d'alibi à l'incurie  et au laisser-aller de certains parents. Car c'est avant tout leur démission  qui est à l'origine du déclin dramatique de la maîtrise des fondamentaux, notamment de la lecture  et de l'écriture, auquel on assiste aujourd'hui.