A lire, à voir, à écouter
|
Publié le 12 Octobre 2004

Géopolitique d’Israël. Dictionnaire pour sortir des fantasmes De Frédéric Encel et François Thual (*)

Deux spécialistes de géopolitique conjuguent leurs talents pour nous offrir un précieux ouvrage, bâti, comme il se doit, selon l’ordre lexicographique.



Selon la connaissance que chacun a du sujet, il découvrira avec plus ou moins d’intérêt les éléments d’information qu’il espère. Sur des personnages essentiels qui ont marqué et marquent encore l’histoire du Proche-Orient, sur des pays, sur des villes, sur des événements. On retrouve ainsi David Ben Gourion , Moshé Dayan, Shimon Peres, Ariel Sharon, Sadate, Arafat, Assad et les autres, Israël, bien sûr, mais aussi la Turquie, l’Afrique du Sud ou les États d’Asie centrale, les guerres que l’État hébreu a été amené à livrer, les accords internationaux qui le concernent…


Certains thèmes conduisent à de vraies découvertes comme le nombre étonnant d’accords conclu entre Israël et les États d’Asie centrale comme le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan, pourtant majoritairement musulmans. Ou encore, sur le Golan et sur l’étonnant site de Gamla, alter ego de Massada. Sans oublier les « sionistes chrétiens », essentiellement représentés par les églises évangéliques américaines.


Des tableaux chiffrés viennent fort à propos compléter les textes. Comme, entre autres, le tableau typologique des implantations israéliennes en Cisjordanie et à Gaza. Des listes aussi. Celles des Premiers ministres successifs d’Israël, de ses ministres des Affaires étrangères et de la Défense, des chefs d’état-major, des directeurs du Mossad et du Shin Beth. Curieusement, celle des présidents de l’État n’apparaît pas.


Pour l’anecdote, on relèvera que les auteurs, qui se réfèrent à Fernand Braudel pour les « temps longs » et à Yves Lacoste pour les « grands espaces », justifiant ainsi leur volonté d’élargir leurs investigations à des sujets extérieurs à Israël, commencent par « Afrique Noire » pour le A pour terminer par « Union soviétique » pour le U. (Pourquoi d’ailleurs ne pas aller au bout de l’alphabet ? Il y avait, par exemple, Vanunu pour le V, Weizmann, Chaim et Ezer, pour le W, xénophobie pour le X, Yémen pour le Y et Zaïre pour le Z…).


On peut à cette remarque sur un alphabet brutalement interrompu, ajouter deux ou trois petites critiques : une propension, tout d’abord, à considérer systématiquement les noms hébraïques des grands leaders de l’État juif comme des « noms de guerre ». L’expression n’est pas heureuse car trop connotée. En réalité, chacun sait que les Juifs qui, à l’époque, décidaient de faire leur aliya, voulaient, par là même, tirer un trait sur leur passé en hébraïsant leur nom. Ainsi, par exemple, selon son biographe, Michel Bar-Zohar, c’est parce que qu’il devait signer un article dans le journal Ahdout, que David Grin décida d’hébraïser son nom en David Ben Gourion. Un nom de plume donc, plutôt qu’un nom de guerre.


À propos de Jérusalem, Encel et Thual écrivent : « dénommée en arabe Al-Quds-al-Sharif-la Sainte et la Noble-, Jérusalem figure explicitement au rang de troisième ville sainte de l’Islam à travers la rencontre de Mahomet avec l’ange Gabriel, suivie de son Ascension céleste sur sa jument ailée al-Buraq à partir du mont Moriah ». D’une part, le voyage s’est fait dans l’autre sens, à partir de la « Mosquée sacrée », supposée être La Mecque et, surtout, « explicitement » est erroné. En effet, dans le Coran, sourate XVII, Le voyage nocturne, verset 1, on peut lire : « Gloire à celui qui a fait voyager de nuit son serviteur de la Mosquée sacrée à la Mosquée très éloignée ». Certains commentateurs pensent que la « Mosquée très éloignée » représente le paradis. D’autres ont opté pour le Temple de Jérusalem. Il est évident, de nos jours, que pour des motifs politiques, hautement antisionistes, cette deuxième version est privilégiée par les ennemis d’Israël. Mais ni « Al-Quds, ni Jérusalem, ne sont écrits dans le texte sacré. « implicitement » convenait donc mieux qu’ « explicitement ».


Enfin, très curieusement, Encel et Thual, à plusieurs reprises, désignent les Juifs d’Éthiopie comme des « Falashmoras ». C’est une erreur. Les Juifs d’Éthiopie sont les Falashas. Le terme « Falashmoras » désigne les anciens Juifs éthiopiens convertis au christianisme il y a plusieurs générations. Ce qui n’est pas la même chose.


Mis à part ces quelques réserves mineures, l’ouvrage est une mine précieuse d’informations qui sera très utile et donc nécessaire dans la bibliothèque de ceux que l’histoire et l’évolution du Proche-Orient interpellent.

Jean-Pierre Allali


(*) Éditions du Seuil. 512 pages. 22 €.