Tribune
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Publié le 15 Avril 2013

Une pensée pour les soldats israéliens portés disparus et dont le sort reste inconnu

 

Par le rabbin Shraga Simmons

 

Le Talmud dit qu’au bout d’une année, une personne qui a perdu un être cher est consolée. Ce ne fut pas le cas de Jacob, qui, comme le raconte la Bible, fut inconsolable pendant les 22 ans qui suivirent la disparition de Joseph, parce qu’il ne pouvait savoir avec certitude s’il était vivant ou mort.

 

C’est cette situation à laquelle sont confrontées les familles israéliennes dont les proches ont été capturés par des milices arabes et dont le sort demeure incertain.

 

Depuis l’Indépendance de l’État d’Israël en 1948, 420 soldats ont été portés disparus. Chaque année se tient une cérémonie marquant leur souvenir au cimetière militaire du Mont Herzl, à Jérusalem. Cette cérémonie a lieu le 7 adar, date de la disparition de Moïse dont le lieu de sépulture est aussi inconnu.

 

À l’heure actuelle, quatre de ces soldats sont considérés comme « disparus, mais présumés vivants ». Tsahal suit en ce sens la Loi Juive qui considère que tant qu’on ne détient pas de preuve évidente du décès d’une personne, celle-ci est tenue pour vivante.

 

Au fil des années, on a eu, régulièrement, des informations qui laissaient entendre que certains de ces soldats étaient encore en vie et détenus sous contrôle syrien ou iranien. Mais malgré les efforts militaires et diplomatiques des différents gouvernements israéliens successifs, on n’a presque pas progressé dans la connaissance de leur sort.

 

Il n’y a aucun moyen d’en savoir plus sur leur situation : qui les détient, où et dans quelles conditions. Aucun représentant d’ONG n’a pu les approcher, et leurs ravisseurs ne les autorisent à envoyer aucun message à leurs familles (ni celles-ci à leur en faire parvenir).

 

Et pendant ce temps, les familles s’interrogent : est-ce que leur proche a été blessé ? A-t-il reçu les soins nécessaires ? Quelles sont les conditions de sa détention ? Est-il soumis à l’interrogatoire et à la torture ?

 

Penina Feldman, la mère de l’un de ces soldats portés disparus, raconte : « J’ai pleuré, le jour de Yom Hazikaron (Jour du Souvenir pour tous les soldats tombés au combat et pour les victimes du terrorisme). Je n’ai même pas ma place, dans ce jour-là. Je n’ai rien. Je reste assise et je pleure. Je n’ai pas de tombe devant laquelle pleurer. Je veux que le peuple juif n’oublie pas ces garçons. Ces derniers temps, beaucoup de mères pleurent leurs enfants. Pour nous, ne pas savoir est la pire chose qui soit. »

 

Le rachat des prisonniers est un commandement qui est lié à celui de sauver la vie d’une personne en danger. Ce commandement occupe une place importante dans la Loi juive. Même s’il n’existe qu’une chance infime de retrouver la personne en vie, la Loi juive nous oblige à chercher sans cesse, jusqu’à ce qu’on la retrouve, morte ou vivante. « Ne jamais laisser de soldat en arrière », telle est la devise de l’armée israélienne.

 

Même s’il n’y a aucune chance de survie, la Loi juive nous oblige à persévérer afin de retrouver le corps de la personne disparue, en vue de son identification et de son enterrement.

 

Et effectivement, la recherche ne finit jamais. En 2001, après qu’un plongeur amateur ait découvert les restes d’un avion de l’armée qui s’était écrasé en 1953, Tsahal retrouva les corps des deux pilotes. Après 48 ans, ils eurent droit à un enterrement digne de ce nom.

 

Une attente interminable

 

Pour les familles des soldats disparus, la douleur et l’obscurité dans laquelle ils sont plongés est indicible. Tant que les corps de leurs soldats ne leur seront pas rendus, ils ne trouveront ni réconfort, ni repos. La Loi juive maintient qu’ils ne peuvent dire le Kaddich ni prendre le deuil.

 

Yossef Fink et Rahamim Alsheikh furent capturés par le Hezbollah en 1986, alors qu’ils servaient au Liban. Pendant cinq ans, leurs familles crurent qu’ils étaient en vie, jusqu’à ce que Tsahal leur fasse savoir en 1991 que de nouveaux renseignements faisaient état de leur mort. Ce ne fut que cinq ans plus tard que leurs corps furent retournés à leurs familles, dans le cadre d’un accord libérant des prisonniers du Hezbollah.

 

«  Quand on nous a annoncé que les garçons étaient morts, nous avons eu des sentiments mitigés »  a confié Hadassah Fink, la mère de Yossef, au quotidien Haaretz. « D’un côté, nous étions soulagés, car cela mettait un terme au mystère qui planait, et que nous savions que les garçons ne souffriraient plus - tout le temps où nous espérions qu’ils étaient en vie, nous nous inquiétions des conditions de leur détention. D’un autre côté, il était difficile de mettre un point final à tous nos espoirs.

 

Mon mari et moi-même avons eu des réactions très différentes à cette annonce. Lui accepta immédiatement la nouvelle et commença à faire le deuil de son fils. Mais moi, je refusai d’accepter ce qu’on me disait sans preuve. Je voulais qu’on me donne une preuve que cela était définitif… Je me suis imposée cinq années supplémentaires dans l’illusion qu’il était peut-être vivant, qu’il pourrait apparaître soudainement. Je n’ai commencé à faire mon deuil qu’en 1996, quand les corps nous furent rendus.

 

Le fait qu’il n’y ait aucun signe, et pas de corps, rend très difficile l’acceptation de la disparition. »

 

Hadassah Fink avait déjà vécu ce genre d’incertitude. Son père avait disparu à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et son corps n’avait jamais été retrouvé, précise Yaïr Sheleg d’Haaretz. « L’incertitude rend fou », dit-elle. « Le plus difficile, quand il n’y a pas de sépulture, c’est que cela reste intangible. Même si l’on a la certitude qu’il n’y a aucune chance pour que la personne soit encore en vie, le fait qu’il n’y ait aucun signe, et pas de corps, rend très difficile l’acceptation de la disparition ».

 

En octobre 2001, trois soldats israéliens, Adi Avitan, Benny Avraham et Omar Souad, sont tombés dans une embuscade et ont été capturés par le Hezbollah. Les terroristes du Hezbollah les ont piégés en se déguisant en Casques Bleus. (Il s’est avéré que l’ONU détenait un enregistrement vidéo de l’enlèvement, mais refusait de le confier à Israël.)

 

Pendant cette terrible attente, Yaakov Avitan, le père de Adi, confia au Jerusalem Post : « Je ne peux pas hurler, alors j’hurle sur le papier, en écrivant son nom chaque jour où il n’est pas là. » Il a gardé un agenda, pour y inscrire le nom de son fils, comptant chaque jour depuis sa disparition.

 

Après 12 mois d’agonie pour les familles et de travail intensif pour les services de défense et de renseignement, Tsahal déclara les trois soldats morts et leur lieu de sépulture, inconnu. À ces nouvelles, les familles commencèrent la Shiva, le deuil traditionnel juif.