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La disparition du Pape Jean-Paul II, il y a bientôt huit ans, amenait à la lumière médiatique la figure du cardinal Joseph Ratzinger, alors encore peu connue en dehors de l’Église catholique et pourtant auteur d’une quantité d’ouvrages écrits dans un style littéraire simple et élégant. Celui que le quotidien La Croix du 30 avril 2005 disait « réputé pour la fulgurance de son intelligence et la solidité de sa pensée » était déjà reconnu pour son refus de dissocier la raison et la foi. À la suite d’un Thomas d’Aquin adossant la première à la seconde, l’ancien professeur de théologie fondamentale réaffirmait la tradition chrétienne selon laquelle la transcendance n’évacuait pas la raison. Dans son Discours de Ratisbonne, le successeur de Jean-Paul II rappelait que pour le savant empereur byzantin Manuel II Paléologue, « la diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison. Elle est contraire à la nature de Dieu et à la nature de l’âme ». L’argument était simple et se présentait en comparaison avec l’islam : « Dieu ne prend pas plaisir au sang, dit-il, et ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. La foi est fruit de l’âme, non pas du corps. Celui qui veut conduire quelqu’un vers la foi doit être capable de parler et de penser de façon juste et non pas de recourir à la violence et à la menace… Pour convaincre une âme douée de raison, on n’a pas besoin de son bras, ni d’objets pour frapper, ni d’aucun autre moyen qui menace quelqu’un de mort… »
Ce discours a été suivi d’une vague de violences dont il dénonçait justement l’usage en matière de foi. Une sœur catholique travaillant dans un hôpital de Mogadiscio a même été assassinée par des islamistes furieux. L’extraction d’un passage du discours mentionnant les propos de Manuel II Paléologue sur le recours à la force dans l’islam pour convertir a été dénoncée comme une provocation, sans même que l’exposé du Pape ne soit réellement lu. Mais cette situation a au moins eu le mérite d’illustrer le traitement des chrétiens dans le monde musulman.
En novembre 2010, Benoît XVI demandait aux autorités pakistanaises de relâcher Asia Bibi, cette mère de famille condamnée à mort pour blasphème. Se disant proche de la malheureuse et des siens, le Pape saisissait également l’occasion pour appeler « la communauté internationale à prendre conscience de la difficile situation dans laquelle se trouvent les chrétiens au Pakistan, où ils sont souvent victimes de violences et de discriminations ». « Je prie pour ceux qui se trouvent dans des situations analogues, afin que leur dignité humaine et leurs droits fondamentaux soient pleinement respectés », ajoutait le chef de l’Église catholique, soucieux de la reconnaissance des chrétiens de toutes les dénominations. Moins de deux mois plus tard, en janvier 2011, Benoît XVI appelait le monde entier à agir pour protéger les chrétiens d’Égypte après la mort de 21 Coptes lors d’un attentat devant une église à Alexandrie. L’imam d’Al-Azhar, la plus haute autorité de l’islam sunnite basée en Égypte, avait alors dénoncé une « ingérence inacceptable ».
Mais, au-delà du monde musulman, le sort des chrétiens en pays communiste intéresse aussi le Pape. Il a récemment reçu le Secrétaire général du Parti communiste vietnamien, Nguyen Phu Trong. De manière générale, sous l’impulsion de Benoît XVI, le Saint-Siège oeuvre désormais à obtenir des traités internationaux pour protéger les chrétiens. Un officiel du Conseil pontifical pour les textes législatifs, le Père Cuong M. Pham, a précisé que les persécutions les plus importantes avaient lieu au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique du Sud. Et d’ajouter que les chrétiens font face à une hostilité grandissante au Royaume-Uni et aux États-Unis. C’est là aussi l’une des préoccupations du Pape.
Deux jours avant l’annonce de son renoncement, le Pape a déclaré aux séminaristes de Rome que les chrétiens sont « le peuple le plus persécuté parce qu’ils sont non-conformes, contre les tendances de l’égoïsme et du matérialisme ». Intellectuel ouvert à l’échange, Joseph Ratzinger, alors cardinal, avait participé en janvier 2004 à un échange intitulé « La dialectique de la sécularisation » avec le philosophe athée Jürgen Habermas, abordant la place de la croyance religieuse dans l’espace public. Le théologien avait alors assuré : « Nous avons vu qu’il y a des pathologies extrêmement dangereuses dans les religions : elles rendent nécessaires de considérer la … raison comme une sorte d’organe de contrôle que la religion doit accepter comme un organe permanent de purification et de régulation … Mais nos réflexions ont montré qu’il existe aussi des pathologies de la raison [par exemple] la bombe atomique et l’homme comme produit [référence notamment aux manipulations génétiques]… C’est pourquoi et en sens inverse, la raison aussi doit être rappelée à ses limites et apprendre une capacité d’écoute par rapport aux grandes traditions religieuses de l’humanité ».
Cette place demandée pour la parole chrétienne dans la société sécularisée s’est muée en inquiétude de plus en plus profonde durant ce ministère. Le retrait de celui qui doit quitter le pontificat le 28 février au soir ne signifiera pas son renoncement à s’intéresser au sort des chrétiens persécutés et discriminés, lui qui a été marqué dans sa jeunesse par la barbarie antichrétienne du nazisme.
Photo : Catholic Church (England and Wales).