Tribune
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Publié le 28 Janvier 2013

La sociologue turque Pinar Selek condamnée à perpétuité par contumace

 

Par Guillaume Perrier

 

Pinar Selek, n'ayant pas sollicité le statut de réfugiée politique auprès de la France, risque en théorie d'être extradée en raison des accords franco-turcs.

La Rédaction

 

Le verdict est tombé jeudi 24 janvier. Ou plutôt un verdict, le dernier en date d'une longue série qui n'est sans doute pas terminée. La sociologue turque Pinar Selek, 41 ans, a été condamnée par la 12e cour pénale du Tribunal d'Istanbul à la réclusion criminelle à perpétuité.

 

Accusée de "terrorisme" et d'avoir manigancé un attentat à la bombe au bazar égyptien d'Istanbul en 1998, Pinar Selek subit depuis quinze ans le harcèlement de l'appareil judiciaire turc. La justice l'avait acquittée à trois reprises, mais à chaque fois, la Cour de cassation avait annulé le jugement. Hier soir, Pinar Selek expliquait sur Arte qu'elle avait reçu cette condamnation comme "l'annonce du décès d'un proche".

 

L'affaire est kafkaïenne : en dépit des nombreux rapports d'expertise qui ont établi que l'explosion du bazar égyptien – qui a fait 7 morts en juillet 1998 – était due à une fuite de gaz dans un four, la sociologue est jugée responsable d'un attentat qui n'a jamais eu lieu. En s'acharnant ainsi contre Pinar Selek, fille d'avocat et petite-fille de l'un des fondateurs du Parti communiste turc, la justice se caricature elle-même.

 

Dysfonctionnements de la machine judiciaire turque

 

Ce procès symbolise à lui seul les dysfonctionnements de la  machine judiciaire qui chaque semaine, nourrit l'actualité en Turquie : Ergenekon, le KCK, Pinar Selek, Sevil Sevimli, les procès de journalistes, d'étudiants, et encore cette semaine, celui lancé contre neuf avocats supposés proches de l'extrême gauche...

 

Le système judiciaire turc a été vivement critiqué par le dernier rapport de l'Union européenne et fait l'objet de remontrances récurrentes de la Cour européenne des droits de l'homme. Le nombre de procès et la durée de la procédure contre Pinar Selek en font un cas hors norme.

 

En réalité, Pinar paraît surtout être l'objet de poursuites en raison de ses travaux universitaires. Sociologue de terrain, elle travaillait dans les années 1990 auprès des prostituées et des travestis, des enfants des rues, et des militants kurdes. Militante féministe, elle avait fondé la revue Amargi.

 

Au cours des interrogatoires et des séances de torture que lui a fait subir la police turque en 1998 – pendaison palestinienne et électrochocs sur la tête –, Pinar Selek était sommée de livrer les noms des personnes qu'elle avait interrogées pour ses recherches.

 

Réfugiée à Strasbourg où elle poursuit sa thèse, après avoir longtemps séjourné à Berlin, la sociologue songe aujourd'hui à demander l'asile politique à la France. La municipalité de Strasbourg, l'université et les milieux académiques lui ont manifesté leur soutien.

 

Les avocats de Pinar Selek ont annoncé qu'ils allaient faire appel de la condamnation à perpétuité prononcée jeudi 31 janvier 2013.