Tribune
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Publié le 11 Janvier 2013

Syriennes en exil: "Nous avons tout laissé"

 

Par Xavier Frison, ancien journaliste, chargé de communication web pour l'Unicef France

 

Mères de famille ou adolescentes, elles ont fui la Syrie sous les bombes vers le nord de la Jordanie. Encore abasourdies par la tournure des événements qui déchirent leur pays depuis bientôt deux ans, ces femmes déracinées racontent leur histoire.

 

Elles avaient une vie. Un appartement, un travail, un mari, des enfants bien portants et scolarisés, un quotidien tranquille. La guerre a tout emporté, les maisons, l'école des petits et les dernières illusions. Alors, elles ont fui, du jour au lendemain, parfois à pied, avec leurs enfants terrorisés par la violence. Aujourd'hui réfugiées en Jordanie, Deena, Hania et les autres (les prénoms ont été modifiés) reviennent sur leur parcours.

 

Zeinah, 38 ans, 6 enfants, originaires de Deraa. Rencontrée à Mafraq:

 

Nous avons vendu tous mes bijoux pour fuir la Syrie et venir en Jordanie. Nous sommes à Mafraq avec mon mari, mes enfants, ma mère, mes frères et mes sœurs. Nous avons loué un petit appartement. Nous, nous aimions notre président, nous n'étions pas du tout des opposants. Mais il y avait des manifestations pour les droits des citoyens. Nous y avons participé, c'était à la fin mars. On y allait de bonne humeur, presque pour rigoler. Et puis on a commencé à être menacé. Sur la porte d'un ami proche, qui était docteur, des gens ont écrit des choses comme "tu vas mourir bientôt". Dans les manifestations, les militaires ont pris des otages. Cela a été un choc pour nous, la façon dont les choses ont tourné. Ça a dégénéré en terreur. Un jour, il y a eu des cris dans la rue: c'était les tanks qui arrivaient, avec les bombes et les tirs d'armes à feu.

 

En juillet, un missile a traversé nos chambres à coucher. Ça nous a terrifiés. Toute ma famille voulait fuir. Moi, je voulais rester parce que c'est mon pays. Mais quand j'ai trouvé les deux enfants de mon voisin morts dans des conditions horribles, j'ai compris qu'il fallait partir tout de suite. C'était en juillet, nous avons tout laissé derrière nous.

 

On nous a amenés en voiture vers le sud. De là, nous avons marché 4 heures pour traverser la frontière, avec les 6 enfants. Nous avons fini par arriver dans un camp en Jordanie.

 

J'ai mis mes enfants dans une école à Mafraq. Ils ont reçu des cartables et des couvertures de l'Unicef. Avec l'hiver, c'est beaucoup plus difficile maintenant. Il fait très froid.

 

Aujourd'hui, mes enfants ont peur de tout. Des hélicoptères ou des pétards. Le petit de 4 ans dit "ils vont nous bombarder, ils vont nous tirer dessus, nous devons fuir".

 

Iman, 14 ans, originaire de Damas. Rencontrée dans le camp de réfugiés de Zaatari, à 12 kilomètres de la frontière syrienne:

 

L'armée a commencé à détruire les maisons autour de la nôtre, à Damas. Ils ont tué beaucoup de gens. Mes cousins, mes voisins ont été tués. Ma famille et moi nous avons eu très peur. On a quitté la Syrie immédiatement pour rejoindre la Jordanie, vers la mi-novembre. De Damas nous sommes arrivés à Deraa, au sud de la Syrie, et de Deraa en Jordanie. Nous avons beaucoup marché au milieu de la nuit. J'étais effrayée parce que j'entendais des gens tirer de partout. Pour être honnête avec vous, je n'aime rien dans ce camp de réfugiés. Mais je suis quand même heureuse d'avoir pu retrouver des proches arrivés à Zaatari après moi. Le reste, c'est dur. Sauf dans le centre de soutien pour les enfants les plus éprouvés par la guerre, qui est installé dans le camp. J'aime bien venir ici. On aime se retrouver, parler ensemble, faire des activités.

 

Je vis dans une simple tente. C'est le désert ici, la nuit il fait de plus en plus froid. J'ai deux couvertures, mais ce n'est pas assez. Vous ne pouvez pas imaginer comme il fait froid une fois le soleil couché!

 

Je vais à l'école à Zaatari; c'est différent de la Syrie. Et puis je viens d'arriver, je ne connais personne, je n'ai pas d'amie. Les matières sont enseignées de manière totalement différente, les mathématiques, les sciences, l'Anglais, c'est déroutant.

 

Deena, 38 ans, 3 enfants. Professeure dans le primaire. Originaire de Deraa. Rencontrée à Ramtha, à 5 kilomètres de la frontière syrienne:

 

Je suis arrivée fin novembre avec mes trois enfants de 7, 9 et 12 ans. J'étais rongée d'inquiétude pour leur sécurité et je voulais absolument qu'ils aillent à l'école. Je suis venue en Jordanie par la route. De nombreux membres de ma famille, dont mon mari, sont restés en Syrie. C'est horrible d'être séparée d'eux. Je suis très inquiète pour leur sécurité. J'ai rejoint ma sœur dans sa maison en Jordanie; elle avait fui le pays avant. C'était dur en arrivant. Je ne pouvais pas sortir dans la rue avec mes enfants. S'ils entendaient un accident de voiture dehors, ils s'éloignaient des fenêtres, ils étaient terrifiés. J'ai essayé de les soutenir, de leur offrir un quotidien sûr et de leur faire comprendre qu'ici, nous étions en dehors de la Syrie. Une fois qu'ils ont accepté de sortir, ils ont vu qu'ils étaient en sécurité et ont accepté d'aller à l'école.

 

Je me souviens des petits élèves de mon école, en Syrie. Ils étaient effrayés à l'idée de sortir jouer dans la cour à cause des bombardements et des tirs. Ils avaient peur d'être blessés. Ils ont commencé à manquer les cours; l'école n'était plus sûre. Pour moi, c'est comme si tout futur dans mon pays n'était même plus envisageable. Je veux revenir chez moi le plus vite possible, mais je crois que ce n'est pas pour tout de suite. Je dois protéger mes enfants et garantir leur sécurité, ici en Jordanie.

 

Asma, 42 ans, 7 enfants. Originaire de Deraa. Rencontrée dans le camp de réfugiés de Zaatari, nord de la Jordanie:

 

J'ai quitté ma ville de Deraa en juin et j'ai mis un mois pour passer la frontière. Je suis arrivée à Zaatari le 10 août. Je suis partie à cause des bombardements sur Deraa. Certaines de mes filles et mon mari sont restés là-bas. Les premiers jours dans le camp de Zaatari ont été difficiles; il faisait chaud et il y avait beaucoup de poussière. Maintenant, c'est l'hiver ici, et les enfants souffrent du froid parce que nous vivons sous une tente. L'eau chaude n'existe pas, alors on met de l'eau au soleil pour qu'elle se réchauffe un peu et on la donne aux enfants.

 

Mais nous les adultes on se lave à l'eau glacée; c'est pareil pour les vêtements.

 

Quand les distributions de couverture ont lieu, avec les petits enfants, c'est difficile d'arriver sur le lieu de distribution dans les temps. Et il y a toujours de longues files d'attente. Ma toute petite fille a les pieds nus. J'ai suffisamment de couvertures, mais mes enfants font pipi toutes les nuits ; je dois tout laver chaque matin. J'ai deux enfants qui peuvent aller à l'école sur le camp. Mon autre fils de 11 ans reste à la maison, il nous aide. Je suis prête à tout faire et à accepter n'importe quoi pour que mes enfants s'en sortent. J'espère que ça ne durera pas, mais s'il faut rester ici, je resterai ici.

 

Yasmine, 13 ans, originaire de Deraa. Rencontrée au camp de Zaatari:

 

Ma famille et moi nous avons fui la Syrie cet été, au mois d'août. Nous avions très peur des violences et des bombardements qui détruisaient tout. Nous avons tout laissé derrière nous, même nos habits, et sommes partis en Jordanie. Ici dans les installations gérées par l'Unicef à Zaatari, nous faisons plein d'activités intéressantes, du dessin, de la décoration. Quand je retournerai en Syrie, j'aurai appris beaucoup de choses. Nous partageons aussi des informations sur ce qui se passe en Syrie, on se tient au courant de ce qui nous arrive, on prend soin les uns des autres.

 

Une journée au camp de Zaatari, ça commence par se lever tôt. Ensuite, je vais à l'école. Après ça je rentre à la tente pour étudier, jusqu'à la tombée de la nuit. Nous avons très froid la nuit, maintenant que l'hiver est là. C'est un désert ici, la nuit, une couverture ne suffit pas et nous n'avons pas plus! Nous souffrons beaucoup à cause du froid, on tombe malade et on doit aller à la clinique tous les jours pour se soigner. J'ai quitté une vie très normale dans un appartement très agréable, tout était calme, on était bien. J'étais très heureuse en Syrie, mais aujourd'hui, tout a changé.

 

Alaa, 35 ans, 5 enfants, originaire de Deraa. Rencontrée dans le camp de Cyber City, à 20 kilomètres de la frontière syrienne:

 

J'habite dans cet immeuble délabré du camp de Cyber City depuis le mois de juillet. Notre famille a quitté la Syrie à cause des bombardements sur notre quartier, et des combats dans les rues. Une bombe a détruit notre maison; l'armée a brûlé ce qui restait. L'école de mes enfants aussi a été bombardée, touchée par des tirs d'armes à feu. Un enfant a été tué en allant à l'école. Des membres de ma famille sont toujours recherchés pour avoir participé aux manifestations. On connaît tous des gens qui ont dû payer de fortes sommes pour récupérer les corps de leurs proches enterrés volontairement dans des fosses communes.

 

Le pire de tout, c'est que des enfants ont été torturés. Voilà pourquoi nous avons fini par fuir la Syrie.

 

Ici, tout est fait pour que les enfants aient accès à l'école, puissent jouer, soient vaccinés. Mais on manque d'habits pour les petits et il fait très froid maintenant.

 

Hania, 46 ans, 3 enfants, professeur dans le primaire en Syrie. Originaire de Deraa. Rencontrée à Ramtha, à 5 kilomètres de la frontière syrienne:

 

La situation en Syrie s'est détériorée au fur et à mesure. Les bombardements m'ont décidé à quitter mon pays. J'ai amené mes enfants avec moi, c'était la seule chose à faire. Je sais que certains de mes proches en Syrie ont été blessés. On arrive à se parler par téléphone, mais parfois la connexion est impossible. C'est une situation critique pour tout le monde. Je suis arrivée mi-novembre en Jordanie avec les deux enfants que j'ai emmenés. Mon troisième enfant est resté là-bas, il arrivera avec des proches, plus tard. Il y avait beaucoup de problèmes le long de la frontière. Cette guerre, c'est terrible pour les enfants syriens que j'avais comme élèves. La violence affecte leur santé mentale, ils ont besoin de soutien psychosocial.

 

Tant qu'on n'a pas vécu ça, on a du mal à comprendre. Ne serait-ce que de parler de ce qu'ils ont vécu est très dur pour eux.

 

En tant que professeur, je me devais de protéger tous les enfants de l'école, pas seulement les miens. Il fallait leur trouver un abri contre les bombes et les attaques. Et puis mes propres enfants ne pouvaient plus aller à l'école. Pour une professeure qui croit en l'éducation, c'est dur.

 

Je ne pense pas que je pourrai revenir bientôt en Syrie. C'est pire de jour en jour. Je veux que mes enfants puissent aller à l'école et vivre dans un pays sûr. Les Jordaniens qui font aussi preuve d'une solidarité extraordinaire avec nous. Ils nous tendent la main, nous aident tout le temps.