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Enfants de France, ne cédez jamais à ces passions, luttez avec toute votre énergie contre l’antisémitisme et le racisme
Six millions de juifs -près des trois quarts des juifs d’Europe- ont été assassinés par les nazis. 76 000 venaient de France. Parmi ceux-ci, 63 000 ont été déportés depuis le camp de Drancy. Vous l’avez dit, ils étaient de tous âges, de toutes conditions. Il y avait des hommes et des femmes illustres, il y avait des anonymes, il y avait des enfants, de toutes nationalités, de toutes origines. Ils n’avaient qu’un point commun, un seul : ils étaient juifs. C’est parce que juifs qu’ils devaient être frappés, déportés.
Drancy, c’était la dernière étape avant l’enfer, l’enfer des wagons à bestiaux, l’enfer des camps d’extermination. Drancy, c’était la porte de l’enfer.
Des milliers d’hommes et de femmes, d’enfants, tassés, parqués, martyrisés pendant des jours et des nuits. Sans recours, affrontant la peur, la faim et cette incertitude sur l’issue finale. Ils attendaient, ils ne savaient pas tous que la mort était au bout de l’épreuve. Alors, puisque nous, nous savons, nous leur devons la fidélité du souvenir. C’est pourquoi ce lieu est le lieu d’un crime, mais le lieu aussi d’un symbole : la mémoire nationale, ici, à Drancy.
La cité de la Muette était donc, avant la guerre, un ensemble de logements sociaux. Après la guerre, en 1946, elle est redevenue un lieu de « vie ordinaire », comme si rien ne s’était passé.
Il a fallu du temps pour que la mémoire trouve sa place. Que dis-je, sa place ? Pour qu’elle impose, enfin sa présence.
En 1976, le premier monument commémoratif, cela a été rappelé, celui de Shlomo Selinger, était inauguré.
En 1988, seulement en 1988, le « wagon du souvenir » fut installé ici, pour souligner ce qu’était Drancy : un lieu de transit, le point de départ des convois vers la mort.
En 2001, le site était inscrit par l’Etat sur la liste des monuments historiques. Sans que l’on sache si c’était, cela m’a été rappelé, pour sa qualité architecturale ou pour ce qui s’y était produit.
En 2005, naissait le projet que nous avons sous les yeux avec la volonté d’inscrire définitivement Drancy dans la trame de notre histoire collective.
Je veux remercier, au nom de la République, toutes les personnes, toutes les institutions qui ont pris leur part à l’édification de ce mémorial.
La Fondation pour la mémoire de la Shoah, d’abord, et notamment sa présidente d’honneur, Simone Veil, qui fut recluse ici, à Drancy, à peine sortie de l’enfance.
Je salue le Mémorial de la Shoah, qui, sous l’impulsion de son président Eric de Rothschild et de son directeur Jacques Fredj, poursuit une œuvre remarquable, que j’ai eu l’occasion de visiter, et qui est par définition inachevée. Tant le travail de mémoire, d’histoire, fait que les découvertes, les recherches, sans cesse améliorent encore, approfondissent nos connaissances.
Je veux aussi saluer la commune de Drancy, qui a mis le terrain à la disposition du Mémorial, et tous ceux qui ont contribué au financement, y compris des acteurs publics comme la Caisse des Dépôts.
Il y a les personnes, celles qui inlassablement, depuis des décennies font ce travail de recherche, d’enquête, je veux parler de Serge Klarsfeld, qui a mis en lumière l’importance historique de ce camp, avec les autres lieux d’internement – ceux de Compiègne, de Pithiviers, de Beaune-la-Rolande, des Milles.
Tous ces noms évoquent des lieux de martyre.
Oui, mais aussi l’outrage à la France que fut la collaboration. Celle qui a été cachée, effacée parfois, tant elle était lourde à regarder en face.
Drancy a été gardé par des gendarmes français, géré par des fonctionnaires français. Les enfants amenés ici de Pithiviers ou de Beaune-la-Rolande avaient été arrêtés par des policiers français.
Il ne s’agit plus d’accuser. La justice est passée. Parfois elle est arrivée trop tard.
Il ne s’agit pas non plus d’établir la vérité : nous la connaissons, nous en connaissons aussi l’horreur. Aujourd’hui, il s’agit de transmettre.
C’est l’esprit de ce mémorial.
La transmission : là réside l’avenir de la mémoire. J’ai été vraiment fier d’être au milieu des jeunes. Je voudrais qu’ils soient eux-mêmes conscients de ce qu’ils ont vécu aujourd’hui, de ce qu’ils ont eux-mêmes cherché, découvert et de ce qu’ils ont aussi mis à leur niveau en lumière. Qu’ils se souviennent de cette journée, les élèves des écoles, celles qui ont chanté et celles et ceux qui m’ont accompagné. Parce que c’est à eux, maintenant, que revient cette tâche de continuer la chaîne du souvenir.
Parce que le moment arrive où le temps aura eu raison de l’énergie des survivants. Bientôt il n’y en aura plus. Nous devons former l’esprit des générations à venir.
Un grand Résistant, Pierre Brossolette -qui je le rappelle, choisit de mourir pour ne pas courir le risque de parler - affirmait ainsi, en 1943, à propos des enfants humiliés et des héros anonymes de la guerre : « Ce qu’ils attendent de nous, ce n’est pas de les plaindre, c’est de les continuer. Ce n’est pas un regret, mais un serment ; ce n’est pas un sanglot, mais un élan. »
Avec cette même question que nous nous posons au plus profond de notre esprit : comment cette horreur a-t-elle été possible ?
Cette question nous taraude. Oui, c’est une interrogation fondamentale, sur nous-mêmes, sur ce que nous sommes, sur ce dont l’Homme est capable. Comment, dans notre pays, la France des Lumières, la France des droits de l’Homme, la France de la Révolution française, comment s’était-il trouvé assez de bourreaux pour aller chercher chez elles des familles désarmées ? Comment s’était-il trouvé assez de lâches pour les laisser faire, détourner le regard ? Comment a-t-on pu, ici, à 15 kilomètres de Paris, laisser s’installer une telle souffrance dans cette antichambre de la mort, sans qu’il y ait des sursauts d’honneur ou de pitié pour qu’un certain nombre de ces innocents soient retirés des mains de leurs bourreaux ?
Comment a-t-il été possible d’en arriver là au milieu du XXème siècle ? Chercher à comprendre pour éviter la reproduction de l’horreur. Comment comprendre ? Comment expliquer l’inexplicable ?
D’abord, il y a l’esprit de soumission. Les ordres étaient les ordres, la raison d’Etat avait perdu la raison, mais c’était l’Etat, la lucidité cédant devant l’obéissance.
Ensuite, l’antisémitisme devenu progressivement une opinion, puis un enchainement. Qui acceptait le statut des juifs acceptait l’étoile jaune ; qui acceptait l’étoile jaune acceptait Drancy ; sans forcément connaitre la suite. Quand le mal commence à s’inscrire dans la vie quotidienne, quand il acquiert, selon le mot d’Hannah Arendt, une sorte de banalité, alors plus rien ne s’oppose à lui. Tirons-en la leçon pour aujourd’hui. Rien n’est insignifiant. Tout propos, tout acte à caractère antisémite ou raciste est inacceptable. D’où l’obligation pour nous tous et au sommet de l’Etat encore davantage, d’une vigilance sans faille. Le devoir de ne rien admettre de ce qui est inadmissible, voilà le premier enseignement de Drancy.
Ce n’est pas le seul. Parce qu’il y en a aussi un plus beau qui permet, non pas d’effacer l’autre, mais de donner espoir. Car si la lâcheté et la cruauté peuvent exister dans chaque être humain, il en est de même du courage et de l’honneur.
Permettez-moi de rendre hommage à ceux qui ont permis de sauver les trois quarts des juifs de notre pays. Je salue la mémoire des Justes de France. Je rappelle les Résistants qui, au nom de la France libre, se sont levés, à Londres et dans les maquis. Mais aussi la mémoire de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui ont su, jour après jour, et ils étaient nombreux et soyons fiers d’eux, garder le sens de la dignité, parfois par de petits gestes qui étaient des bravoures, de petites choses qui étaient des prouesses dont ils n’avaient pas toujours conscience. Au camp des Milles se dresse le « Mur des actes justes », c’est une belle formule « les actes justes ». Ce mur atteste que les plus humbles comportements d’une vie peuvent suffire à situer un être du côté de l’honneur face à l’horreur. A la banalité du mal s’oppose la modestie du bien. Le bien n’a pas besoin d’être reconnu, il ne cherche pas la gratification. Le bien, il donne, il ne reçoit pas. C’est aussi une belle leçon de Drancy. Elle doit être transmise aussi aux générations, la leçon du bien.
Enseigner le passé, c’est la seule façon de l’empêcher de se reproduire. C’est aussi l’unique arme dont nous disposons contre l’indifférence, l’oubli et, pire encore, le négationnisme.
Dans cette perspective, le partenariat étroit qui unit le mémorial de la Shoah au ministère de l’Education nationale doit accompagner l’inauguration de ce nouveau bâtiment.
Je demande au ministre de faire en sorte que partout, dans tous les établissements, non seulement soit enseignée la Shoah, du CM2, à la troisième et à la première, qu’elle soit enseignée partout, sans aucune restriction. Ses leçons doivent être méditées dans chaque établissement. Sa singularité ne doit jamais pouvoir être remise en cause ni même être contestée. Je fais confiance aux enseignants.
La mémoire de la Shoah est bien sûr celle des juifs, qui, depuis 1945, sont des survivants et des témoins.
Mais la mémoire de la Shoah, c’est aussi l’histoire et donc l’affaire de l’Europe et de la France.
L’école de la République c’est le lieu où notre récit collectif se construit, où les mémoires s’additionnent, se confondent pour faire ce qu’on appelle le récit national, ce qui nous unit tous. Il n’y a pas de concurrence entre les mémoires. Il n’y a pas de hiérarchie entre elles.
Tout nous oblige.
Les établissements scolaires de Drancy sont un exemple réussi de cette exigence : des élèves issus de familles venues du monde entier ont fait de ce lieu une part de leur histoire et donc de leur identité.
L’école doit faire encore davantage. Les enfants doivent disposer des moyens intellectuels et moraux de se repérer dans leur vie, à partir d’un socle de valeurs qui nous unissent tous : des valeurs rationnelles, des valeurs universelles.
Cela passe par l’enseignement de l’histoire, dont la place, et je salue le ministre pour cette décision, sera rétablie et confortée.
Cela passe aussi par ce que le ministre appelle la morale laïque. Il ne s’agit pas d’asséner des maximes, ou d’imposer des rites ou des idées préconçues. Ce n’est pas cela la morale. C’est ce qui doit permettre à chaque enfant de la République, quelles que soient ses origines ou sa condition, d’avoir de l’objectivité, de l’esprit critique, d’être capable de s’élever, de construire une pensée qui lui soit personnelle et en même temps qui ne l’oppose pas à d’autres.
La jeunesse est la grande affaire des années qui viennent, pas simplement pour mettre notre pays en capacité d’affronter la compétition. Ce n’est pas seulement de permettre aux enfants des catégories modestes, ce qui est une noble ambition, de pouvoir réussir leur vie avec les mêmes conditions que d’autres. La priorité que nous accordons à l’éducation à travers la jeunesse, c’est aussi pour la cohésion nationale. Cette capacité à vivre ensemble.
Nous devons lutter toujours, encore, contre l’obscurantisme.
Contre la haine, contre cette volonté de détruire, contre le fanatisme, toujours prêt à s’organiser et à vouloir anéantir nos libertés. Face à ces tentatives, une nouvelle fois, je le dis haut et fort, la République ne cédera pas, jamais, sur ses valeurs, sur son histoire.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le droit tout à fait nécessaire à assurer la sécurité et la liberté qui est un droit fondamental et qui vaut pour tous les citoyens de la République.
Ce qui est en cause, c’est la démocratie.
La démocratie doit être fière de ses principes. Elle doit aussi les défendre, lorsque c’est nécessaire et c’est nécessaire.
Des forces sont à l’œuvre, dans le monde, contre les droits de l’Homme ; elles n’ont plus le même visage qu’hier, mais elles ont le même dessein. Elles placent toujours l’antisémitisme, la haine de l’autre, au centre de leurs obsessions. Et elles veulent abattre cet édifice de tolérance que nous avons hérité de notre histoire.
Enfants de France, ne cédez jamais à ces passions, luttez avec toute votre énergie contre l’antisémitisme et le racisme.
C’est le message que je vous passe à Drancy : la liberté ne souffre aucune négligence, aucun abandon.
Tel est l’appel de Drancy : faire que de la souffrance, qui, ici a été vécue au plus profond des chairs des victimes, faire que de la souffrance naisse une vigilance, la nôtre, et que de la vigilance sorte une espérance, celle, toujours inachevée, de la République et de l’égalité.
Merci.