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Publié le 29 Mai 2012

Les Touaregs, nouvel éclairage

Primo Info 16 mai 2012

 

« Avec Primo, il faut toujours aller quelque part, un peu plus loin que la doxa médiatique en vogue.  Prenez par exemple le peuple touareg. En avril dernier, vous avez appris que ce peuple avait fait fuir l’armée malienne, pauvre et désargentée face à un puissant mouvement islamiste. Vous avez pu voir quelques images du saccage de Tombouctou. Et vous avez entendu parler de l’AZAWAD, que nos médias et nos chancelleries appellent des « rebelles ».  Le plus sage était de parler directement avec leur porte-parole, Mossa Ag Attaher (photo). Et la réalité qu’il nous décrit est, bizarrement, tout à fait différente de ce que l’on entend. Fidèle à sa vocation, Primo propose un autre éclairage. Il était important de comprendre ce qui se passe dans cette partie de l'Afrique, dans ce pays du Mali et connaître un peu mieux les protagonistes de cette affaire, dont le MNLA. Nous vous proposons cet entretien en deux parties. Droit des femmes, démocratie, islamisme, constitution, maintenant, vous en saurez un peu plus, grâce à Josiane Sberro, Sophie Chauveau et Richard Rossin qui l'ont longuement rencontré. » 

Merci de nous accorder cet entretien. Tout d’abord, votre mouvement n’étant connu en France que par des raccourcis médiatiques, pouvez-vous vous présenter et nous dire quelle est votre fonction ?

 

Je suis le porte-parole du MNLA de l’ancien Nord Mali. Cette appellation subsistera jusqu’à notre reconnaissance par l’ONU au nom du droit des peuples.

 

Pouvez-vous nous expliquer le mouvement, son histoire et son combat ?

 

Le combat du MNLA ne date pas de janvier 2012. C’est un processus enclenché depuis 1960. Depuis l’indépendance du Mali. Dès 1958 avant l’indépendance du Mali, l’ensemble des chefs touaregs ont adressé une lettre à la France.  En 1960, la France cède les territoires AZAWAD au Mali. Sur le plan de la sensibilité, le régime qui s’instaure avec Modibo Keita est entre PC et PS. Les terres sur lesquelles les Touaregs nomades faisaient paître leurs troupeaux leur sont retirées pour les redistribuer à des agriculteurs sédentaires maliens. Cette décision ne tient aucun compte des contraintes et traditions culturelles et éducatives des Touaregs. L’équilibre sociétal est ainsi rompu.

 

Il y a ensuite eu des événements dramatiques.

 

Tout à fait. En 1963, une révolte touarègue est bien vite écrasée par le pouvoir malien, car les armes sont inégales. Sabres contre armement lourd. Les révoltés sont massacrés en public devant femmes et enfants ; les familles sont tenues d’applaudir au massacre des leurs. Ce traumatisme ne s’effacera jamais. Les jeunes qui ont assisté à ce massacre ont pris en nombre les routes de l’exil vers l’Algérie et les camps militaires de la Libye de Kadhafi.  Leur passage dans les troupes libyennes leur permet d’acquérir la solide formation militaire qui leur a fait défaut en 63.Cette formation et participation se déroulent sous statut de soldats libyens et non de mercenaires.

 

Affrontements, massacres, mais aussi catastrophes naturelles.

 

Bien sûr. Tous les 10 ans. En 1963, 1973, 1983 : trois périodes d’une terrible sécheresse qui déciment les troupeaux. Les disettes de 1974 et 1984 ont par ailleurs augmenté l’émigration des jeunes.  En 1990, il y a une deuxième rébellion. Les jeunes rejoignent la Libye. Le Front unifié de l’AZAWAD concerne Tombouctou, Gao et Kidal. Les consignes maliennes de répression sont terribles. Formation d’équipes d’élite de « Nettoyage » les Kocadiens. Les puits des pastoureaux sont empoisonnés. Les troupeaux sont décimés. Les troupes maliennes ont employé des moyens de guerre totale : avions et blindés contre les Touaregs.

 

Sur le plan politique, quelle a été l’évolution ?

 

En 1991, Traoré est évincé. En 1992 a lieu la signature du Pacte national. La paix est signée avec le concours de l’Algérie et de la France. Les Touaregs seront intégrés à la Fonction publique et à l’armée malienne. C’est du moins une promesse. En fait, les touaregs intégrés ne gravissent pas les échelons, ne bénéficient pas des formations et n'ont jamais de postes de commandement. Le pacte promet la décentralisation des pouvoirs, la création d’une route Transsaharienne reliant les trois régions du Nord. À ce jour, la route est toujours la piste des origines. Bien que cautionnés par la France et l’Algérie, ces engagements n’ont pas été tenus. Tout juste quelques Touaregs enrôlés dans l’armée malienne. Les postes importants sont tous confiés à des Bambaras. Aucun accès pour les Touaregs aux secrets, à la promotion. Ils sont même toujours et partout appelés « les rebelles ».

 

Quel a été le rôle de la France et de l’Algérie dans le suivi du déroulement des accords ?

 

Strictement aucun ! Rien, malgré les cris de détresse. De 92 à 97 en dépit du Pacte national, la milice des Kocadiens continue les massacres. En 1996 à Gao où vit la tribu la plus pacifique, le village est détruit, la population décimée. 150 morts.  La tombe du plus grand Marabout touareg à 150 km de Gao est détruite, et le Marabout jeté en fosse commune. Depuis l'indépendance du Mali, on compte près de 100 000 morts par les milices du gouvernement malien.

 

Cet accord s’engageait pourtant dans la durée.

 

Bien entendu, mais de 1996 à 2004, aucune promesse n’a été tenue. En 2006, ont lieu de nouvelles rébellions. Il y a eu un arrêt des massacres et une demande d’autonomie. C’est un soulèvement qui a touché tout le Nord (Kidal / Gao/ Tombouctou). Les Touaregs ne s’attaquent qu’aux symboles de l’État. Jamais aux civils.

 

Existe-t-il une solidarité de clan entre les Touaregs du Mali et du Niger ?

 

Ce sont de simples soutiens informels. Par contre, il faut bien noter que les Touaregs du Mali n’ont aucun rapport avec les Sahraouis ou le Polisario, car eux ont déclaré une république arabe, ce qui n’entrait pas dans notre orientation.

 

Les Touaregs passés aux côtés de Kadhafi sont tout de même des mercenaires, c'est-à-dire d’une identité autre que celle du territoire défendu ?

 

Non, ils ne sont pas des mercenaires. Ils n’ont violé aucune identité propre ! N’ayant ni passeports ni carte d’identité au Mali, ils ont pris la nationalité libyenne. Le Mali n’a jamais fait de nous des citoyens maliens. Sans papier ni droits civils, nous sommes en exil sur notre propre territoire ! 2006 est l’année de la 3ème rébellion menée par Ibrahim Bahanga. Les accords d’Alger prévoient la démilitarisation du Nord et l’implication des Touaregs contre le narcotrafic et le terrorisme islamique qui traverse tout le territoire Touareg. Il nuit violemment à nos ressources touristiques et nomades. Mais cet accord n’a eu aucun résultat sur le terrain. En 2010, tous les jeunes Touaregs se réunissent à Tombouctou pour lancer le MNA. Ce sont de jeunes Touaregs qui ont fait des études. Ils constituent un parti politique et rédigent un Cahier des Charges pour l’État malien. Mais l’État malien envahit la réunion et arrête les participants.

 

C’est à compter de ce jour que le MNA (Mouvement national de l’AZAWAD) devient MNLA (mouvement national de Libération de l’AZAWAD) ?

 

Ne pouvant mener la lutte sur le seul plan politique, le MNLA a deux instances, l’une politique qui oriente la lutte, l’autre militaire avec une base militaire créée dans les montagnes. Ce sont ces troupes qui ont procédé à l’attaque de la garnison de Ménaka, le 17 janvier 2012.

 

Financés par qui ?

 

99 % des Touaregs ont déserté l’armée malienne. Les soldats touaregs ont quitté la Libye avec beaucoup armes et une excellente formation militaire. C’était indispensable, car notre mouvement n’est soutenu par aucun pays, ni aucune institution. Nourriture et carburant nous parviennent grâce à une mobilisation nouvelle de la diaspora touarègue.

 

Quelles sont vos relations avec les Touaregs d’Algérie ?

 

Nous, Touaregs du Mali n’avons aucune connexion avec les Touaregs du Hoggar ni ceux de Tamanrasset. Ceux d’Algérie sont protégés et favorisés par le gouvernement algérien qui tient à son pétrole et à son gaz ; au niveau politique, ils sont à fond dans le système algérien. De nombreux réfugiés de l’AZAWAD se sont sauvés vers leurs frères en Algérie, mais ils ont été mal reçus et mal traités. Un Touareg qui se met au service d’un pays et ignore ou renie ses frères, n’a plus que le chèche du Touareg, car il accepte d’être à l’aise dans un système oppresseur sur le plan des identités. Le Touareg tient aux valeurs de solidarité et de sang de sa famille.

 

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