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Publié le 29 Novembre 2011

Egypte : Dans les bidonvilles, on vote aussi

Comment se passe le scrutin législatif pour les 10 millions d'Egyptiens qui habitent les quartiers informels du pays ? Interview de Pauline Ducos, coordinatrice des programmes de l'association Asmae, au Caire.




Alors que les Egyptiens sont appelés à voter pour les premières élections législatives de l'après-Moubarak, quelque 10 millions de personnes vivent dans des bidonvilles. Quel est leur quotidien ?



A Asmae nous ne parlons pas de bidonville mais de quartier informel. C'est un vocabulaire qu'on employait à l'époque de Sœur Emmanuelle, mais il n'en existe plus vraiment aujourd'hui. Les quartiers informels sont des quartiers d'habitation où il n'y a pas eu d'autorisation de construire. 10 millions d'habitants vivent là, soit la moitié des habitants du Caire. Beaucoup de ces immeubles n'ont pas d'eau, pas d'électricité. Et il n'y a pas eu d'aménagement urbain, ces quartiers sont donc de vrais labyrinthes avec des rues en sable. Et il n'y a évidemment pas assez d'infrastructures. Ainsi, dans le quartier Ezbet el Hagana, il y a deux écoles pour un million d'habitants. C'est donc un quartier où le taux de déscolarisation est très élevé, où les classes sont surchargées avec plus de 70 élèves par professeur. On y dénombre également des cas de maltraitance. Certains élèves quittent donc souvent l'école pour aller travailler, dès l'âge de six ans, soit avec leurs parents lorsqu'ils sont chiffonniers, soit pour exercer des petits métiers dans des usines ou des ateliers de mécanique par exemple.



Depuis la chute de Moubarak, les choses ont-elles changé ?



Avant la chute de Moubarak, ces quartiers n'étaient pas pris en compte dans les politiques des gouvernements. Par exemple, pour l'éducation, le quartier dont je vous parlais n'apparaissait pas le plan de développement de l'éducation. De ce côté-là, les choses n'ont pas évolué. Depuis la révolution en revanche, les gens sont encore plus touchés par les problèmes économiques. En effet, la majorité de la population des quartiers informels qui sont des journaliers n'ont pas pu travailler pendant la révolution où l'activité a cessé, et on vu leur activité réduite depuis la fin de la révolution où l'activité est restée ralentie. Les femmes ont aussi perdu leur emploi. La plupart sont en effet femme de ménages et avec l'accroissement de l'insécurité elles ont peur de sortir de leur quartier pour aller travailler.



Face à une situation matérielle très dure, y-a-t-il un intérêt dans les quartiers informels pour le processus électoral en cours ?



Les associations et les quelques partis qui travaillent dans ces quartiers ont amené l'idée d'un processus démocratique dans ces secteurs. Beaucoup d'associations font du travail de sensibilisation, d'éducation à la citoyenneté… A Asmae par exemple on a organisé des camps pour les enfants pour les sensibiliser à la démocratie. Mais il y a un travail éducatif à faire également auprès des adultes dont beaucoup ne savent pas lire et écrire.



Le scrutin législatif est-il organisé dans ces quartiers ?



Oui. C'est assez paradoxal, mais, si les quartiers informels ne sont pas considérés comme réellement existants, des bureaux de vote ont néanmoins été installés. Les habitants de ces quartiers peuvent donc voter à ces élections où seule la carte d'identité est nécessaire. La question des quartiers informels n'a toutefois pas été abordée pendant la campagne, si on peut parler de campagne électorale au niveau national.



Les habitants des quartiers informels se sont-ils sentis concernés par cette révolution ?



Depuis la révolution en fait, les habitants des quartiers sont rentrés dans une démarche par le droit. Ils commencent à réclamer ce qui leur est dû. On a vu des professeurs qui ont boycotté leur emploi pour demander une amélioration de leur travail. On a des jeunes qui sont partis sur Tahrir pour demander un emploi. D'autres ont participé aux manifestations coptes. Leur vision de la révolution est diverse et contradictoire comme on peut le voir dans le web-doc que nous avons fait. Beaucoup sont critiques, surtout parmi les plus pauvres, parce qu'ils ont perdu leur travail. Mais d'autres voient à un peu plus long terme et ont un peu plus d'espoir. Dans des quartiers informels de chiffonniers un de nos partenaires a organisé un système de cahiers de doléance qui fonctionne. On a, dans un quartier agraire, des mamans qui ont manifesté pour obtenir une classe supplémentaire et les choses se sont organiser en vue de la création d'une classe de maternelle. Cela n'existait pas avant. En revanche, ils sont touchés de plein fouet par les problèmes économiques et l'insécurité.



Propos recueillis par Céline Lussato



Photo : D.R.



Source : le Nouvel Observateur