En République fédérale d'Allemagne, la découverte d'un groupe terroriste de tendance néonazie marque une véritable césure. Il y a toujours eu des meurtres et des agressions à caractère fasciste en Allemagne. Les coupables étaient recherchés et - généralement - arrêtés et condamnés. Mais le fait que des terroristes d'extrême droite aient pu commettre des assassinats durant plus de dix ans sans que ni les forces de police ni la direction de la sécurité du territoire ne parviennent à les détecter, oblige à jeter un regard neuf sur la menace terroriste que constitue l'extrême droite dans le pays.
L'affaire suscite des interrogations sur le travail des services de sécurité intérieure. Premier élément de réponse : ceux-ci ont constamment et systématiquement sous-estimé le potentiel criminel des militants néonazis. En 1998, la police de Thuringe a laissé trois néonazis - ceux-là mêmes qui allaient former le futur groupe terroriste - disparaître dans la nature et n'a même pas passé au peigne fin les milieux d'extrême droite. A l'époque, il était pourtant établi que, dans la mouvance de la droite radicale d'Iéna, un certain nombre d'individus étaient susceptibles d'apporter une aide logistique aux militants clandestins. Mais les autorités ont préféré croire à l'hypothèse de criminels partis se réfugier à l'étranger plutôt que de les rechercher là où se trouvait en réalité leur base.
Il est certain qu'il était quasiment impossible d'établir un lien entre les dix assassinats et les trois terroristes passés dans la clandestinité. Et il faut dire que les enquêteurs de Nuremberg avaient au moins reconnu la possibilité de crimes à caractère raciste et établi un profil de tueur plus proche d'un ressortissant local que d'un étranger. Reste que, en dépit de nombreux indices, jamais les enquêteurs n'ont envisagé le racisme comme principal mobile de ces crimes.
La vision du monde des enquêteurs semble empreinte de stéréotypes fortement enracinés : l'ennemi numéro un est le fondamentalisme islamiste, mais il faut aussi garder un œil sur le nouveau terrorisme de gauche. Voilà pourquoi dans les médias, que ce soit Der Spiegel [cf. ci-contre] ou d'autres, on rapproche autant que faire se peut le groupe de terroristes nazis de la Fraction armée rouge (la RAF, qui affichait un discours de gauche). La découverte des crimes nazis fait voler en éclats cette idée reçue. Le ministre de l'Intérieur, Hans-Peter Friedrich, reconnaît la nécessité de lutter avec détermination contre ces courants. Revirement opportuniste ou véritable prise de conscience ? Il faudra juger sur les actes plutôt que sur les paroles.
(Article de Christian Semler, publié lundi 14 novembre 2011 dans le journal allemand Die Tageszeitung et traduit par Courrier International)
Photo : D.R.