Tribune
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Publié le 23 Juin 2011

Vous avez dit frontières? Vous avez dit frontières de 67? Par Francis Weill

Ce texte est publié dans la rubrique Libres Tribunes réservée aux membres de l'AG ou aux amis du CRIF. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.




L’Europe vit des moments difficiles. On nous répète qu’elle ne peut rétablir sa stabilité et son dynamisme constructeur qu’à une condition : une unité de pensée et d’action entre la France et l’Allemagne, unité qui fait défaut à l’heure actuelle. Alors, si cette unité est aussi importante, facilitons-la. En priant mes concitoyens d’Alsace et de Lorraine de bien vouloir m’excuser quelques instants, voici ce que je propose : pour obtenir l’amitié et la confiance de l’Allemagne de façon durable, revenons aux frontières de 1871, sans oublier celles de 1940 : quel meilleur gage d’amitié pourrions-nous offrir, et quel élan pour l’Europe désormais!



J’entends déjà les hurlements de protestation : faire comme si nous n’avions pas gagné deux guerres au prix d’immenses souffrances ? Nous oublierions les millions de soldats français morts pour la France entre 1914 et 1918 ? Et ceux de 1939-1945 ? Ceux de la 2è DB ? Et les jeunes Américains et les jeunes Canadiens qui se sont sacrifiés sur les côtes normandes ? Et nos soldats tombés en libérant Strasbourg ? Et le sacrifice de tant de résistants ?



Oui, cette proposition est illégitime ; elle est de plus stupide, parce qu’elle oublie l’Histoire. Que des frontières aient pu être simplement tracées sur une carte par des géographes à l’époque coloniale, c’est une vérité - et cela fut une erreur majeure dont beaucoup de pays payent encore le prix. De façon générale, une frontière sépare deux cultures, deux langues, deux appréhensions de la civilisation. Mais surtout une frontière reflète un équilibre de forces issu d’une situation conflictuelle, ou d’une suite de situations conflictuelles étalées dans le temps. Ce n’est qu’après atteinte d’un nouvel équilibre des forces en présence qu’on peut entreprendre la reconnaissance durable de frontières dans un cadre géopolitique apaisé. Reconnaître une frontière en dehors de ce concept d’équilibre consacré par l’Histoire serait générer à coup sûr un nouveau déséquilibre.



C’est pourquoi ce bêlement général des ‘’frontières de 67’’ n’est que ce qu’il est : un bêlement, issu d’une rumination où s’associent ignorance, bêtise et malveillance.



Photo : D.R.