Le bilan humain. "Nous recensons 1300 civils tués, dont 50 enfants ayant péri sous la torture. Récemment, une fosse commune contenant 24 cadavres a été découverte à Deraa (l'épicentre de la révolte). Le peuple syrien a atteint le point de non-retour. Désormais, le nombre de martyrs n'importe plus vraiment: c'est la liberté ou la mort. Notre jeunesse a débordé le régime, puis l'opposition elle-même. Cet élan spontané est à la fois notre point fort et notre point faible. Personne ne peut prétendre incarner cette révolution. Ses vrais représentants sont ceux qui descendent dans la rue."
La situation à Jisr al-Choughour. "La ville est quasiment vide. Ses habitants l'ont désertée pour fuir vers les villages voisins ou la Turquie. Elle est désormais le théâtre de combats entre militaires. Car certains d'entre eux se sont rebellés, s'efforçant de protéger les habitants."
Les défections dans l'armée. "On ne peut pas parler d'une rébellion de grande ampleur. Disons qu'à ce stade elle concerne quelques centaines de soldats, dont la plupart ont refusé de tirer sur les civils. En revanche, si la répression se poursuit avec la même intensité, nul doute que le mouvement ainsi amorcé s'amplifiera."
La stratégie du clan Assad. "Le régime tente de créer la diversion, comme l'atteste la marche sur le Golan (allusion au plateau conquis puis annexé par Israël). De même, il s'efforce de raviver les tensions communautaires."
Une opposition fragmentée? "La conférence d'Antalya (tenue du 31 mai au 2 juin dans un hôtel de la Riviera turque), à laquelle j'ai participé, a réuni un large éventail, des signataires de la Déclaration de Damas aux Frères musulmans, via des dignitaires tribaux et des indépendants. L'unité s'est faire au moins sur un point: il faut d'urgence mettre fin à ce pouvoir. Notre vision d'avenir? Une Syrie démocratique, laïque et citoyenne, fondée sur les principes de l'Etat de droit et le respect des libertés. Le régime brandit le spectre du chaos et revendique le statut de seul garant de la stabilité. Alors qu'il est, lui et lui seul, la cause de ce chaos. L'opposition, elle, préconise une phase de transition, avec convocation d'une conférence nationale et adoption d'une nouvelle constitution."
Un dialogue avec le pouvoir? "Au début de la crise, nous y étions favorables. Mais il est devenu impossible au regard des crimes commis chaque jour. Trop de sang a coulé. Ce régime ne reconnaît même pas notre mouvement, se bornant à stigmatiser les "infiltrés", les "traîtres" armés par l'Irak ou les "agents d'Israël". On ne peut pas dialoguer avec un pistolet sur la tempe."
L'implication iranienne. "Téhéran épaule le clan Assad à deux niveaux. Un, la fourniture de matériel et d'armement; un avion iranien convoyant des matraques électriques a ainsi été intercepté en Turquie. Deux, l'envoi d'experts d'Internet, chargés notamment de pirater le courrier électronique des opposants de l'intérieur."
Un devoir d'ingérence? "L'opposition est hostile à toute intervention armée étrangère sur le modèle libyen. En revanche, une initiative internationale est indispensable sur le front du droit. Après tout, la Syrie est signataire de toutes les conventions internationales relatives aux droits de l'homme."
Et l'ONU dans tout ça? "En Europe, la France et la Grande-Bretagne sont indéniablement en pointe. Et nous en savons gré au président Sarkozy. Pour établir et constater l'illégitimité du régime, les moyens diplomatiques existent. Les réticences des Russes et des Chinois -hostiles à toute résolution du Conseil de sécurité condamnant la répression- ne nous surprennent pas. Tout cela s'inscrit dans un grand jeu international marqué notamment par l'épreuve de force en Libye. Même si les efforts entrepris à l'ONU échouent, un plan B existe: nous avons mobilisé environ 700 organisations susceptibles de porter plainte auprès de la Cour pénale internationale."
Photo (Ammar Qurabi) : D.R.
Source : l’Express