Tribune
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Publié le 10 Juin 2011

Commentaire de la décision du 6 juin 2011 - Attentat de Copernic : justice et complexité d’une procédure d’extradition, par Eve Gani

Le 6 juin 2011, le juge de la Cour Supérieure de Justice de l’Ontario, Robert Maranger s’est prononcé, à Ottawa, pour l’extradition du présumé suspect de l’attentat de la synagogue de la rue Copernic : Hassan Diab. Cette décision constitue une étape fondamentale dans le processus pouvant mener Hassan Diab à être jugé devant la Cour d’assises de Paris. Avec cette décision, le juge a estimé qu’il y avait suffisamment d’éléments fournis par la justice française pour considérer qu’Hassan Diab devait être entendu par elle dans le cadre d’un procès.




C’est maintenant au ministre de la Justice Rob Nicholson de décider s’il va remettre Hassan Diab à la France. Une nouvelle phase débute : Hassan Diab pourra apporter des nouveaux éléments au ministre Nicholson donnant des raisons pour lesquelles il ne devrait pas être envoyé en France. Si le ministre Nicholson suit la décision du juge, alors Monsieur Diab pourra s’opposer autant aux décisions judicaires que ministérielles devant la Cour d’appel de l’Ontario. Hassan Diab va donc encore rester des mois, voire davantage au Canada.



Difficiles extraditions



Si l’idéal de justice nous amène à nous féliciter de la mise en œuvre de la convention d’extradition franco-canadienne, la machine judiciaire apparaît procédurale, avec des difficultés linguistiques et méthodologiques que la comparaison de deux systèmes de preuves ne peut que provoquer. La presse canadienne a présenté la campagne médiatique très visible et les arguments du défendant… qui va même jusqu’à accuser les conventions d’extradition.(1) Devrait-on ne plus espérer que la justice soit la meilleure arme contre le terrorisme ?



On se souvient d’une autre demande d’extradition d’un présumé terroriste : celle de Rachid Ramda, de l’Angleterre vers la France. La demande avait pris pas moins de 10 ans pour aboutir. Mais, en 2007, Rachid Ramda a été enfin jugé en France, devant le regard des victimes de 1995.



Dans le cas de la procédure d’extradition contre le présumé responsable de l’attentat de la synagogue de la rue Copernic, nous sommes déjà à plus de 30 ans des faits, et plus de 2 ans de la demande d’extradition déposée par la France en 2008. Si la justice est lente, c’est qu’elle est vigilante, mais au passage, ce temps passé sur l’examen des preuves est interprété comme un discrédit jeté sur le dossier français. Le juge de la Cour Supérieure de Justice de l’Ontario, Robert Maranger, n’a-t’il écrit qu’il estimait le dossier français « faible » ?



Mais pourquoi le juge canadien a-t-il autorisé, le 6 juin 2011, l’extradition d’Hassan Diab?



Comprendre la position du juge canadien, Robert Maranger



Dans le rendu de la décision, dossier public de 83 pages(2), le juge canadien Robert Maranger s’est intéressé à la demande d’extradition d’Hassan Diab pour « meurtre », « tentative de meurtres » et « destruction de propriété », consécutive à l’explosion, le 3 octobre 1980 à peu près à 18h30, d’une bombe placée dans un motocycle, à côté de la synagogue de la rue Copernic. La qualification d’acte antisémite a été retenue par le juge.



La convention d’extradition oblige le Canada à procéder à un « examen matériel qui s'attache au fond de l'affaire et qui contrôle les preuves afin de vérifier si les soupçons sont suffisamment fondés »(3). Le Juge Maranger a donc examiné les preuves fournies par la justice française : photographies, copie de passeport, croquis, rapports d’experts, rapports de police, plan, etc.



L’une de ces preuves a fait l’objet d’une controverse, sur laquelle sont revenus les médias. Figurait en effet parmi les preuves fourni par le dossier français, la carte d’enregistrement de l’hôtel Celtic où le présumé terroriste aurait résidé à Paris. L’experte mandatée par le juge Trevidic, Anne Bisotti, s’est procurée des échantillons de documents rédigés par Hassan Diab pour comparer son écriture avec celle d’ « Alexander Panadriyu », et a démontré selon la méthode qu’elle utilise dans les autres cas où elle est appelée comme experte(4), que les écritures étaient similaires. Mais la défense de Diab a fait appel à trois autres experts pour contester la preuve, en réfutant notamment la méthodologie utilisée par l’experte française. Or aucun de ces experts mandatés par l’avocat d’Hassan Diab n’avait une connaissance de la méthodologie utilisée en France – si bien qu’il était impossible de savoir si le jugement… portait sur le travail de Madame Bisotti ou l’ensemble de la méthodologie graphologique utilisée dans les enquêtes françaises.



Au final, le juge canadien a reconnu que même si la preuve fournie par Anne Bisotti n’avait pas été pas admise dans le cadre du droit canadien, dans le cas d’une audience d’extradition, les arguments présentés par les deux parties avaient « du mérite » et que son mandat n’était pas celui de « juge des faits ».



Cette réflexion de Monsieur Maranger sur son rôle de juge, dans le cas particulier d’une procédure d’extradition, mérité d’être soulignée : « Il n’est pas demandé au juge de conclure de la culpabilité, ou non, d’un suspect », mais « si une preuve était acceptée », alors « pourrait-elle raisonnablement étayer une inférence de culpabilité » ?



Finalement, le dossier de la justice française a bien apporté un passeport prouvant qu’Hassan Diab n’était pas au Liban au moment des faits: il était aussi membre du FPLP et une ressemblance physique forte entre Alexander Panadriyu et Hassan Diab demeure. Considérant l'ensemble des éléments du dossier, y compris la preuve contestée, le juge Maranger a ordonné l’extradition d’Hassan Diab.



L’appel de Copernic: que justice se fasse



La communauté juive de France, qui avait organisé la commémoration des 30 ans de l’attentat de la rue Copernic en octobre 2010, avec le CRIF, l’ULIF et le Centre Simon Wiesenthal, suit les étapes de la procédure d’extradition, sans inférer dans le travail de la justice. Elle souhaite que les faits qui ont conduit à la demande d’extradition d’Hassan Diab soient connus en Canada, et les arguments de la justice française entendus.



Copernic : “c’était un acte de terrorisme antisémite », a rappelé très clairement le juge Maranger, lors du rendu de la décision. « Les événements de cette journée sont devenus tristement célèbres dans l'esprit du peuple de France, c'est une nation qui veut clairement un règlement. La communauté juive prend un intérêt particulier à voir que les auteurs de cet acte odieux soient traduits en justice.”



Notes :
3. Système anglo-saxon du "commitment for trial" – voir « extradition », site de INTERPOL
4. La décision du juge Maranger mentionné les activités de A. Bisotti comme expert: 315 expertises pour les magistrats et 352 analyses pour la police entre 2003-2009, ainsi que 15 apparitions en cour entre 2004 to 2009.



Photo : D.R.