Outre les fonctionnaires des ministères et des forces de l’ordre, les membres de la mission ont exprimé la volonté d’entendre des représentants des différents cultes concernés par le phénomène des profanations. Cette table ronde s’est réunie le mardi 18 janvier 2010, à l’Assemblée nationale, en présence de Claude Bodin, député ; Carol Saba, de l’assemblée des Evêques orthodoxes de France ; Monseigneur Michel Dubost, Evêque d’Evry ; Michel Weckel de l’Eglise protestante d’Alsace et de Lorraine, Fouad Alaoui, président de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) ; Slimane Nadour, représentant de la Mosquée de Paris ; Stéphane Lauzet, codirecteur du Conseil National des Evangéliques de France ; David Messas, Grand Rabbin de Paris ; Marc Knobel, chercheur au CRIF, représentait l’institution.
En novembre 2010, le Commissaire pour les droits de l'homme du Conseil de l'Europe Thomas Hammarberg s'était déclaré profondément préoccupé par la profanation récente de 37 tombes dans deux carrés musulmans de cimetières à Strasbourg et de cimetières juifs en Alsace, a rappelé Marc Knobel. Dans une réponse au Commissaire pour les droits de l’homme, le ministre de l'Intérieur Brice Horteteux avait précisé que 485 cimetières et lieux de culte ont été dégradés en France entre le 1er janvier et le 30 septembre 2010. 410 l'ont été au préjudice de sites chrétiens, 40 de sites musulmans et 35 de sites israélites. Parmi les sites chrétiens figurent 179 cimetières et 231 lieux de culte. Pour les sites musulmans, il s'agit de 34 mosquées ou salles de prière et de six cimetières ou carrés musulmans. Les sites israélites visés se décomposent en 26 lieux de culte et neuf cimetières. Selon une note de 2009 de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), 83% des profanateurs sont des mineurs et 79% sont de sexe masculin. Par ailleurs, les profanations recensées par les gendarmes couvrent 95 % du territoire.
Lors des débats, Monseigneur Dubost a expliqué qu’au Québec également, les profanations se multiplient et qu’elles ont lieu dans d’autres pays européens. Pour sa part, le Grand Rabbin David Messas a rappelé que la profanation du cimetière de Carpentras, qui sera découverte le 10 mai 1990, avait réservé une mise en scène macabre. Le corps de Félix Germon, décédé 15 jours avant, avait été exposé nu sur une tombe, un piquet de parasol entre les jambes simulant un empalement. Cette profanation avait provoqué un vif émoi en France. Des manifestations imposantes contre le racisme et l’antisémitisme avaient été organisées et le président François Mitterrand avait participé à l'une d'entre elles à Paris. C'est d’ailleurs la première fois qu'un président de la République dans l'exercice de ses fonctions participait à une manifestation en France. Depuis, on semble s’être habitué à ce phénomène lié à la désacralisation dans notre société, a résumé David Messas.
Si les cimetières de confessions chrétiens représentent à eux seuls 85 à 90% des théâtres de profanation, on parle davantage d’actes à connotations sataniques, a précisé Marc Knobel. Ces actes interviennent souvent le 30 avril qui est à la fois l'anniversaire d'Adolf Hitler et de la fondation de l'Église de Satan aux Etats-Unis. Par exemple, dans la nuit du lundi 30 avril au mardi 1er mai, 114 tombes chrétiennes ont été vandalisées au Mesnil-sur-Oger, petit village de la Marne : des croix ont été descellées « pour être placées selon des rites sataniques », et un Christ « renversé et recouvert de peinture. D’autres pics sont observés le 31 octobre, fêtes d'Halloween et jour de l'An sataniste, mais aussi lors des dates des solstices et d'équinoxes.
Pour les lieux juifs et musulmans, les profanations prennent un caractère raciste et antisémite. Exemple : environ 500 des 576 tombes du carré musulman du cimetière militaire Notre-Dame-de-Lorette, situé près d’Arras (Pas-de-Calais), avaient été profanées dans la nuit du dimanche 7 au lundi 8 décembre 2008 : de grandes lettres tracées à la peinture noire formaient des inscriptions insultant la religion musulmane et citant également nommément la ministre de la justice de l’époque, Rachida Dati. Autre exemple: la synagogue de Melun avait été totalement profanée dans la nuit du 22 juillet 2010 tout au long de sa longueur, sur environ 70 mètres de long, chaque inscription antisémite faisait 70 centimètres de long ou de hauteur, environ. En janvier 2010, une trentaine de tombes du cimetière juif de Cronenbourg près de Strasbourg avaient été profanées, certaines taguées d'inscriptions antisémites et nazies et renversées.
On dit souvent que les auteurs des profanations sont de jeunes néonazis et l’on s’étonne et/ou se demande souvent (et à juste titre) comment de très jeunes gens peuvent entrer subitement dans le giron du néonazisme ? Plusieurs explications peuvent être données a rappelé Marc Knobel et de nombreuses analyses ont été faites sur le sujet. Une sorte de « sous culture » misérable, mais pas forcément pauvre, se réfugie notamment dans le virtuel glauque, le rock métal. Elle se nourrit généralement de salmigondis apocalyptiques, largement infectés par les virus racistes et antisémites d’une idéologie de la « suprématie blanche » que colportent une multitude de prétendues « églises (suprématistes ou satanistes) », et de groupuscules et de bandes de skinheads.
Enfin, Marc Knobel a précisé qu’il fallait agir sur le plan éducatif, dès le collège en sensibilisant à la question de la mort et de la sacralité. Et, dans ce genre d’affaires, il fallait éviter de trop médiatiser les profanations car il y a risque de mimétisme. Lorsqu’une profanation a lieu et qu’elle suscite une grande émotion, il n’est pas rare que dans la semaine qui suit, d’autres profanations soient commises. Par contre lorsque des arrestations ont lieu et après que des condamnations aient été prononcées, il ne faut pas hésiter à communiquer, car la lourdeur des peines pourrait avoir un effet dissuasif. De plus, une publication des condamnations aux frais des délinquants, dans la presse locale, voire nationale, selon la gravité des faits, devrait être demandée.
Photo : D.R.