La vie qu’elle décrit a des allures de cauchemar. Najlla fait partie des 54 chrétiens d’Irak arrivés lundi en France, après l’attaque par un commando d’Al-Qaïda, le 31 octobre, de la cathédrale syriaque catholique Notre-Dame du Perpétuel-Secours, dans le centre de Bagdad. Quarante-six personnes y sont mortes, parmi lesquelles son frère, un prêtre, abattu tandis qu’il lisait l’Evangile. Leur mère a reçu une balle dans le bassin et des éclats d’obus dans les jambes. Elle a été opérée cette semaine à Paris. "Dans la rue, c’est horrible, confie-t-elle. On nous oblige à porter le voile. Il y a des enlèvements, des meurtres. Même la vie des enfants à l’école devient impossible. Ils s’y font traiter d’infidèles, les petites filles surtout. Avant, sous Saddam Hussein, nous étions des citoyens comme les autres. Aujourd’hui, on veut notre mort en Irak." Venue accompagner sa mère blessée, Najlla a laissé derrière elle ses cinq enfants et son mari, qu’elle compte faire venir en France. Si elle obtient le statut de réfugié. Et si la demande de rapprochement familial est acceptée…
Jamal, 26 ans, est arrivé à Paris avec sa mère, grièvement blessée lors de l’attaque de la cathédrale: une balle lui a traversé l’abdomen. Le jeune homme a le visage blême de celui qui ne dort plus depuis des nuits. Ce dentiste, comme sa mère et son père (assassiné en 2005), décrit dans un anglais parfait un quotidien fait de peurs et de paranoïa qui a contraint tant des siens à l’exode. De 450.000 en 2003, les chrétiens de Bagdad ne sont plus que 150.000 aujourd’hui. "Dans la rue, tu les entends insulter le Christ et la Vierge Marie. On te dit qu’on va te tuer. Qu’on te connaît, qu’on sait où tu habites, où tu travailles. Tu ne peux plus faire confiance à personne." Mercredi dernier, 13 bombes et deux obus de mortier ont encore visé des maisons et des magasins appartenant à des chrétiens, faisant six morts et 33 blessés.
Partis avec une valise minuscule et une photo
Tous les réfugiés décrivent cet enfermement auquel les contraignent les terroristes d’Al-Qaïda. John, 19 ans, évoque en souriant ces matches de football disputés dans les cours des églises, "seuls endroits où on se sentait encore en sécurité". Jusqu’à l’attentat du 31 octobre, "quand ils ont, pour la première fois, osé pénétrer dans une église pour nous tuer", rappelle Najlla. Pour le moment, ils vivent dans un centre d’accueil de l’association France terre d’asile, à Créteil. Leurs journées sont ponctuées par les visites à leurs proches, hospitalisés dans toute la région parisienne. John porte une veste de survêtement ornée de lettres asiatiques, la même depuis plusieurs jours. Embarqués dans l’urgence vers la France, les Irakiens n’ont emporté chacun qu’une minuscule valise. Pas d’objets personnels, juste quelques vêtements et, pour Najlla, la photo de son frère.
Sanaa, 61 ans, est partie sans rien ou presque, deux ou trois habits chauds et la croix dorée qu’elle porte autour du cou. Sa fille faisait partie de la chorale. Une balle a perforé ses poumons. Son mari et ses cinq autres enfants, plus ses deux petits-enfants, sont restés en Irak. Elle prend de leurs nouvelles quand elle le peut, en leur téléphonant. Ils lui relatent la panique qui s’empare désormais des chrétiens d’Irak, beaucoup restant cloîtrés chez eux. "Je prie tous les jours pour que ma famille puisse nous rejoindre." D’ici à quelques jours ou quelques semaines, un autre vol arrivera en provenance de Bagdad. A son bord, près de 100 personnes, blessées lors de l’attaque de Notre-Dame ou proches de ceux déjà arrivés. Mais ensuite?
Une procédure considérablement accélérée
Pierre Henry, président de France terre d’asile, explique que, "normalement, il faut dix-neuf mois pour obtenir le statut de réfugié, puis encore deux ans pour éventuellement faire venir sa famille; mais, pour eux, la procédure sera considérablement accélérée. Ce qui prouve qu’avec une vraie volonté politique on pourrait très bien traiter le cas des autres réfugiés, d’Irak et d’ailleurs, qui sont en ce moment à la rue sans titre de séjour". Les réfugiés arrivés lundi dernier ne pourront pas faire venir tous leurs proches. Elish Yako, secrétaire général de l’association d’entraide aux minorités d’Orient, devra dresser la liste des postulants à l’exil, en accord avec les ministères des Affaires étrangères et de l’Immigration. S’il envisage que Najlla retrouvera bientôt ses enfants et son mari, il sait qu’il sera impossible de fournir un visa à tout le monde, frères, sœurs… Jamal a laissé derrière lui un frère, sa fiancée et les parents de celle-ci. Tous chrétiens, ils sont menacés de mort en Irak. "S’ils n’obtiennent pas le droit de venir tous, lâche-t-il, je retournerai en Irak. Mieux vaut vivre en enfer avec les siens qu’au paradis tout seul."
Article publié dans le Journal du Dimanche du 15 novembre 2010
Photo : D.R.