Les relations entre la Turquie et l'Iran
Le monde occidental se montre de plus en plus inquiet de l'alliance entre la Turquie et l'Iran contre les États-Unis et Israël. Toutefois, les deux pays, malgré leurs relations économiques et politiques de plus en plus étroites, se disputent la place principale au Proche-Orient et pour la faveur des masses arabes. Pour le moment, la compétition se matérialise par des efforts pro palestiniens sous les pseudos tels que " flottilles de la liberté " et des discours impétueux contre Israël du Premier ministre turc,
Recep Tayyip Erdogan, et du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. [4]
Le 29 juin 2010, Ankara, dans un premier signe de frustration, a demandé à l'Iran de revenir " dès que possible " à la table des négociations sur un accord d'échange de combustible nucléaire. Selon un diplomate turc, la Turquie a voté contre des sanctions plus sévères de l'ONU à condition que l'Iran s'engage à des pourparlers sur son programme nucléaire controversé. Cependant le 28 juin 2010, Mahmoud Ahmadinejad a annoncé que toute négociation sera repoussée jusqu'à la fin du mois d'août afin de "punir" les puissances occidentales. [5] Téhéran n'a pas précisé quand et s'il continuera à négocier avec le Brésil et la Turquie, ses deux alliés. [6]
Le mercredi 9 juin 2010, le Conseil de Sécurité de l'ONU (CSNU) a adopté la Résolution 1929, renforçant les sanctions contre le programme nucléaire iranien. La Turquie, membre non permanent du CSNU, a voté contre les résolutions comme l'a fait le Brésil. Recep Tayyip Erdogan a expliqué par la suite que le vote " non " était une question d'" honneur " turque. Recep Tayyip Erdogan s'est exprimé, à plusieurs reprises, en faveur du programme nucléaire iranien et a insisté pour que la crise internationale soit résolue uniquement par le dialogue. [7]
Des commentateurs arabes citent une nouvelle alliance ou un axe de coopération et de solidarité entre la Turquie, l'Iran et la Syrie qui inquiète l'Occident. [8] D'autres commentateurs craignent que la Turquie, après sa tentative vaine d'empêcher des sanctions plus sévères par des négociations, a été déjouée par l'Occident, puisse aider l'Iran à contourner les sanctions en faisant passer en contrebande une cargaison interdite par la frontière commune.[9]
Le 17 mai 2010, la Turquie et le Brésil ont pris l'initiative diplomatique de résoudre la crise iranienne. Les deux pays ont conclu un accord avec l'Iran conformément auquel ce dernier expédierait 1 200 kilogrammes d'uranium faiblement enrichi, approximativement la moitié de son stock, en Turquie et recevrait, en échange, 120 kilos de 20 % d'uranium faiblement enrichi sous forme de combustible nucléaire. [10] Recep Tayyip Erdogan a considéré cet accord comme un bond en avant dans les négociations bloquées, rendant des sanctions plus sévères inutiles.
L'accord n'efface pas les inquiétudes de nombreux pays occidentaux sur les probables dimensions militaires du programme nucléaire iranien. [11] L'accord sur l'échange convenu laisserait à l'Iran suffisamment d'uranium enrichi pour une " capacité de discussion. " L'Iran a également annoncé qu'il continuerait à enrichir de l'uranium de grande qualité malgré les trois séries de sanctions de l'ONU. [12] Les pays occidentaux soupçonnent l'Iran d'utiliser l'accord sur l'échange avec la Turquie et le Brésil afin de gagner du temps et d'éviter des sanctions plus sévères du Conseil de Sécurité de l'ONU. [13]
En 2009, la Turquie est devenue membre non permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU (CSNU). [14] Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a, à plusieurs reprises, sous évalué la menace potentielle posée par le programme de développement des armes nucléaires iranien. [15] Les relations militaires, politiques et économiques entre la Turquie et l'Iran se développent [16] alors que Recep Tayyip Erdogan défend le programme nucléaire iranien et a déclaré que ses fins sont pacifiques. [17]
Le 5 mars 2010, le président turc, Abdullah Gul, et le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, ont exprimé leur satisfaction sur les relations bilatérales croissantes entre la Turquie et l'Iran. La Turquie attache une grande importance aux relations solides avec l'Iran et est impatiente de consulter l'Iran sur les développements régionaux et internationaux, a dit le président Abdullah Gul. Il a par la suite demandé à approfondir les relations fraternelles entre les deux pays dans différents domaines et a dit que la Turquie défendait les droits de l'Iran dans toutes les communautés internationales.[18]
La Turquie, qui a renforcé ses relations avec l'Iran depuis que l'AKP a pris le pouvoir à Ankara, a offert de servir de médiateur pour résoudre le conflit entre la République islamique et l'Occident sur le programme nucléaire iranien. Toutefois, des analystes disent que la Turquie n'a pas réussi, jusqu'à présent, à faire passer le message puissant auquel l'Occident s'attendait, en apparaissant trop sympathisant à l'égard de l'Iran.[19] Aujourd'hui, Téhéran coopère avec Ankara à un niveau militaire et de renseignements dans sa lutte contre le PKK (le Parti des Travailleurs du Kurdistan). Les experts disent que les origines islamiques du gouvernement turc sont perçues comme " une force motrice derrière ses efforts pour empêcher une confrontation autour de l'Iran ". [20]
Après la réélection présidentielle contestée de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009, Recep Tayyip Erdogan et son allié, le président Abdullah Gul, étaient parmi les premiers chefs d'États étrangers à le féliciter, ignorant les protestations massives et les inquiétudes des dirigeants occidentaux sur la légitimité des résultats. Recep Tayyip Erdogan a justifié son geste comme " une nécessité aux relations bilatérales. " [21]
En février 2010, la Turquie a de nouveau loué les élections présidentielles iraniennes malgré les troubles continus. Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a renouvelé la position de la Turquie concernant l'impasse nucléaire avec l'Iran en disant que le conflit devrait être résolu par le dialogue en utilisant des moyens diplomatiques au lieu d'une tension et des menaces acharnées. [22]
Relations économiques
La Turquie se positionne comme importante plaque tournante hébergeant plusieurs pipelines de gaz et de pétrole. [23] Recep Tayyip Erdogan a indiqué que le commerce entre l'Iran et la Turquie a dépassé les 10 milliards de dollars l'année dernière et a déclaré que les deux pays étaient déterminés à l'augmenter à 30 milliards de dollars.[24] La Turquie et l'Iran envisagent d'établir une zone industrielle commune dans une région frontalière.[25] Le 3 février 2010, des officiels turcs et iraniens se sont rencontrés dans le cadre de la réunion du Comité Economique Conjoint (JEC), où le ministre de l'Etat turc, Cevdet Yilmaz, a dit que la Turquie va ouvrir un " âge d'or " dans les relations entre la Turquie et l'Iran. Il a, par ailleurs, déclaré que la Turquie et l'Iran étaient deux pays " amis et frères ".[26]
L'Iran approvisionne la Turquie à travers un pipeline transportant un volume moyen de 18 à 25 millions de mètres cubes de gaz par jour. Ankara craint que les sanctions mettent en danger ses réserves de gaz, soit 10 milliards de mètres cubes par an, soit près d'un tiers du total annuel de ses ressources de gaz. [27]
Le 2 mars 2010, la Turquie et l'Iran ont signé un protocole d'accord relançant les relations industrielles et commerciales entre les deux pays. Le ministre turc de l'Industrie et du Commerce, Nihat Ergün, et le ministre iranien de l'Industrie et des Mines, Ali Akbar Mehrabian, qui se sont rencontrés à Téhéran pour les 8 pays musulmans en développement (D-8, incluant l'Iran, le Bangladesh, l'Egypte, l'Indonésie, la Malaisie, le Nigéria, le Pakistan et la Turquie), ont signé le document. [28] La Turquie et l'Iran sont déterminés à renforcer et à diversifier leurs relations bilatérales.
Le ministre iranien des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki a dit au mois de février 2010 : " Ouvrir de nouvelles phases dans les champs de gaz naturel de South Pars, résoudre les problèmes concernant un contrat de vente et la création d'une raffinerie conjointe sont des projets importants. " [29] Le ministre de l'État turc, Cevdet Yilmaz a dit : " Les projets tels que le transport du gaz naturel turkmène et iranien en Europe par la Turquie conduiront nos relations à un niveau bien plus élevé. Nous attachons une grande importance à notre coopération avec l'Iran sur ce problème ainsi qu'à notre coopération dans le projet Nabucco."[30]
Les autorités iraniennes et turques ont convenu de relancer leurs relations et de gérer un commerce bilatéral dans leurs propres devises. L'Iran a annoncé qu'il a déjà commencé à utiliser la devise turque dans le commerce avec son voisin. La Turquie a fait les démarches légales applicables. [31] L'Iran cherche des moyens pour attirer les investisseurs étrangers dans son secteur énergétique afin de briser les sanctions économiques imposées en raison de son programme controversé de développement d'armes nucléaires. [32]
Dimensions historiques et culturelles
Les relations turco-iraniennes d’aujourd'hui sont façonnées par la rivalité historique entre les empires ottoman et perse d'autrefois. L'Empire ottoman, où la Turquie moderne a évolué, a contrôlé toutes les républiques de l'Asie Centrale mais n'a jamais pu se déplacer en Iran. Cela a créé la frontière entre les Sunnites (les Turcs et les Arabes) et l'Islam chiite (l'Iran). La défiance à l'égard de l'Iran parmi les Arabes, les Turcs et les autres nations musulmanes du Proche-Orient a toujours été présente. A l'époque ottomane, l'Iran et l'Empire ottoman ne pouvaient pas êtes alliés, et ainsi ne pouvaient pas assurer une coopération économique ou politique sérieuses. A ce jour, la Turquie n'approuve pas l'ingérence de l'Iran dans les affaires de ces nations. [33]
Les différences culturelles et religieuses de longue date forment également ces relations. Les Turcs sont majoritairement des Musulmans sunnites, mais la Turquie inclut une minorité chiite qui est largement perçue comme une " deuxième classe ".
La religion de l'État iranien est l'Islam chiite et la plupart de son peuple est ethniquement perse, mais des minorités aux origines ethniques, religieuses et linguistiques variées se comptent par millions, y compris les Kurdes, les Baluchis, et la plus grande minorité ethnique, les
Azéris. Les Azéris [34], qui constituent un quart de la population iranienne, sont ethniquement turcs et leur langue est le dialecte turc. L'Iran et la Turquie partagent un problème commun avec leurs minorités kurdes, bien que cela constitue plus un problème pour la Turquie que pour l'Iran. Les points de vue de la Turquie sont tout à fait opposés à l'Iran révolutionnaire dans presque tous les domaines. La Turquie est devenue un nouveau modèle pour de nombreux Iraniens. [35]
Alors que les deux pays sont musulmans, la Turquie a une longue tradition d'un système politique démocratique et laïque. Les changements qui ont eu lieu en Turquie ces dernières années sous le gouvernement AKP n'ont pas influencé ses politiques économiques qui sont restées orientées sur l'économie de marché. Par contraste, l'Iran est un état théocratique avec des aspirations d'hégémonie régionale et reste un partisan actif du terrorisme. [36]
Photo : D.R.
Références
[4] Hen-Tov, Elliot/Haykel, Bernard: „ Turkey’s Gain Is Iran’s Loss,” New York Times, June 18, 2010,
http://www.nytimes.com/2010/06/19/opinion/19haykel.html?src=mv [5] Champoin, Mark: “Turkey Asks Iran to Return to Negotiating Table,” Wall Street Journal, June 30, 2010,
http://online.wsj.com/article/SB100014240527487033 74104575336853114123616.html?mod=googlenews_wsj
“Iran nuclear fuel swap: What's happening now,” Christian Science Monitor, June 29, 2010,
http://www.csmonitor.com/World/Middle-East/2010/0629/Iran-nuclear-fuel-s... [6] “Iran says nuclear talks to resume with Brazil, Turkey,” Reuters, June 29,2010,
http://af.reuters.com/article/energyOilNews/idAFLDE65S0Z320100629?pageNu... [7] Yigal Schleifer: “Turkey: Vote for Iran sanctions would be "dishonour",” Times Live, Jun 10, 2010,
http://www.timeslive.co.za/world/article497785.ece/Turkey--Vote- for-Iran-sanctions-would-be-dishonour?tr=y&auid=6472922
[8] Marwan Bishara: “A new Middle East triangle?,” Aljazeera.net, Jun 8, 2010,
http://blogs.aljazeera.net/imperium/2010/06/08/new-middle-east-triangle [9] Con Coughlin: „Turkey's alliance with Iran is a threat to world peace,” Telegraph.co.uk, Jun 10, 2010,
http://blogs.telegraph.co.uk/news/concoughlin/100043002/turkeys- alliance-with-iran-is-a-threat-to-world-peace/
[10] Yigal Schleifer: “Turkey's Approach to Iran a Calculated Gamble,” World Politics Review, May 20, 2010,
http://www.worldpoliticsreview.com/articles/5568/turkeys-approach-to-ira... [11] “West 'still concerned' about Iran,” Al Jazeera, May 17, 2010,
http://english.aljazeera.net/news/middleeast/2010/05/2010517134649831836... [12] Yigal Schleifer: “Turkey's Approach to Iran a Calculated Gamble,” World Politics Review, May 20, 2010,
http://www.worldpoliticsreview.com/articles/5568/turkeys-approach-to-ira... [13] “Iran Ready to Ship Uranium to Turkey for Nuclear Swap,” Bloomberg, May 17, 2010,
http://www.businessweek.com/news/2010-05-17/iran-ready-to-ship-uranium-t... [14] "Turkey to Assume UN Security Council Presidency in June," Asbarez, January 7, 2010,
http://www.asbarez.com/75709/turkey-to-assume-un-security-council-presid... [15] Solomon, Jay; Lyons, John: "New Hurdle to Iran Sanctions," The Wall Street Journal, March 4, 2010,
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[16] "Iranian, Turkish Presidents have telephone conversation," Today.az, March 6, 2010,
http://today.az/news/iran/63388.html [17] "Erdogan Rejects Reports Turkey Drifting from West," Asbarez Online, October 29, 2009,
http://www.asbarez.com/2009/10/29/erdogan-rejects-reports-that-turkey-dr... [18] "Iran, Turkey call for continuation of talks," Armenia.az, March 6, 2010,
http://news.az/articles/10863 [19] Elci, Zerin: "Turkey minister's Iran visit tests Ankara influence," Reuters, February 14, 2010,
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http://www1.voanews.com/english/news/middle-east/Turkeys-Treads-Fine-Lin... [21] Tait, Robert: "'Iran is our friend', says Turkish PM Recep Tayyid Erdogan," The Guardian, October 26, 2009,
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http://www.reuters.com/article/idUSANK00275520100203 Rettman, Andrew: „EU diplomat: no detail on Iran sanctions until July,” euobserver, June 17, 2010,
http://euobserver.com/9/30309 [28] "Turkey, Iran sign industry and trade deal," Hürriyet, March 3, 2010,
http://www.hurriyetdailynews.com/n.php?n=turkey- iran-sign-indusrty-and-trade-deal-2010-03-03
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http://english.people.com.cn/90001/90777/90854/6887272.html [30] "Turkish, Iranian Ministers meet for economic committee," Today.az, February 3, 2010,
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http://www.asbarez.com/2009/10/29/erdogan-rejects-reports-that-turkey-dr... [32] Sariisik, Döndü: "Turkey, Iran seek increased cooperation in energy, security," Hürriyet, October 29, 2009,
http://www.hurriyetdailynews.com/n.php?n=turkey-and-iran-aim-at-30-billi... [33] Laciner, Sedat: "Mistrust Problem in Turkey-Iran Relations," Journal of Turkish Weekly, February 21, 2008,
http://www.turkishweekly.net/columnist/2839/mistrust- problem-in-turkey-iran-relations.html
[34] Beehner, Lionel: "Iran's Ethnic Groups," Council on Foreign Relations, November 29, 2006,
http://www.cfr.org/publication/12118/ [35] Ibid.
[36] Raphaeli, Nimrod: "The Growing Economic Relations between Iran and Turkey," MEMRI, January 6, 2008,
http://www.memrieconomicblog.org/bin/content.cgi?article=92