Né il y a à peine sept ans, le parti Jobbik, la nouvelle extrême droite hongroise, vient de réaliser, au premier tour, un retentissant 16,7 %. L'an dernier, elle avait déjà fait une entrée remarquée au Parlement européen. Son leader, Gabor Vona, retient difficilement ses pulsions antisémites et anti-Roms. Sa corde préférée, c'est l'émergence d'un nouveau sentiment national hongrois. Comme pour exorciser les frustrations de l'Histoire, les errements de la classe politique de l'après-guerre froide et les méfaits de la crise.
Aux Pays-Bas, où les électeurs voteront début juin, souffle un vent également populiste. L'homme qui hausse le ton s'appelle Geert Wilders. Son Parti de la liberté est devenu la seconde force politique du pays, lors des municipales, l'an passé. Son registre préféré, ce n'est ni le nationalisme ni l'antisémitisme. Sa bête noire, c'est l'islam. Le cheval de Troie qui menace, selon lui, l'identité du pays, déjà ébranlée par les assassinats de Pim Fortuyn, en 2002, et de Théo Van Gogh, en 2004.
La prudence s'impose, naturellement, si l'on veut éviter tout amalgame et toute comparaison hâtive. Les caractéristiques de ces mouvements varient considérablement en fonction des contextes nationaux. Il y a vingt-cinq ans, la percée du Front national de Jean-Marie Le Pen inquiéta les autres pays européens, mais ne fut pas, pour autant, annonciatrice d'un raz-de-marée continental des forces d'extrême droite.
Toutefois, le nombre de pays où ce type de formations politiques passe aisément la barre des 10 % est en soi significatif. À l'Est, en Slovaquie et en Roumanie notamment, on retrouve, comme en Hongrie, un vieux fond d'idéologie nationaliste. Comme si ces pays devaient encore solder les comptes du XXe siècle. Pour mieux comprendre ce qui se joue en Europe centrale, les traités des années 1920 sont, à cet égard, plus instructifs que les faits de 1945 ou de 1989.
À l'Ouest, les mouvements populistes jouent des frustrations spécifiques à leur électorat. En Italie, la Ligue du Nord, qui conditionne maintenant très lourdement le gouvernement Berlusconi, active, depuis vingt-cinq ans, le clivage Nord Sud, tout en s'enracinant de façon en fait assez traditionnelle. En Belgique, le parti flamand attise le feu de la division dans un pays déjà au bord du divorce.
L'érosion des partis traditionnels ne profite pas seulement à ces forces extrémistes. Les Verts français et les libéraux allemands ont reconquis du terrain, et les libéraux démocrates britanniques pourraient bien créer la surprise le 6 mai. La crise raidit aussi les humeurs. Mais une même rhétorique populiste se banalise. Les tribuns valorisent le « franc-parler », se disent « proches du peuple », expriment leur haine de l'establishment, du multiculturalisme et, le cas échéant, de l'Europe. À Strasbourg, ces forces comptent désormais plus d'une cinquantaine de députés. En 2000, l'Autriche, lors de l'entrée de Jörg Haider au gouvernement, avait subi l'ostracisme de ses partenaires européens et même des sanctions. Aujourd'hui, aucun frein ne pèse sur ces formations d'autant plus redoutables qu'elles valorisent le recours aux urnes.
Editorial de Ouest-France, édition du 23 avril 2010.
Photo : D.R.