Dans ce livre, Alexis Govciyan commence par évoquer son parcours personnel : né en Turquie, à Istanbul en 1956, c’est à l’École des Pères Mékhitaristes où il étudie, qu’incidemment, au détour d’une question naïve posée à un enseignant, qu’il découvre le génocide dont ses parents ne lui avaient jamais parlé. Il décide alors de quitter son pays natal et de rejoindre la France.
La France, justement, qui, un mois jour pour jour après le déclenchement du génocide qui va faire un million et demi de morts, notifiait à la Turquie un avertissement sans ambages : « En présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l’humanité et la civilisation, les gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime Porte qu’ils tiendront personnellement responsables desdits crimes tous les membres du gouvernement ottoman ainsi que ceux de ses agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres ».
Sensible à cette position qui fut en somme celle des Alliés, la juridiction turque, en son temps, de 1919 à 1920, condamna à mort les organisateurs du génocide. Mais ce processus de reconnaissance sera brisé dans l’œuf par la tournure que vont prendre les événements historiques : accords Sykes-Picot de 1916, traité de Sèvres de 1920, traité d’Ankara de 1921 et, surtout, en 1923, le traité de Lausanne qui annihile le traité de Sèvres.
Dès lors, face à ce qu’il faut bien considérer comme un revirement du gouvernement turc, le combat pour la reconnaissance du génocide des Arméniens devient essentiel, notamment pour la communauté arménienne de France, quelque cinq cent mille âmes, descendants directs des victimes de la catastrophe.
Alexis Govciyan raconte ce combat au jour le jour, les revirements, les retournements de situation, les obstructions, les pressions, l’invocation de l’exception d’irrecevabilité, l’utilisation de ce qu’on nomme la « niche parlementaire », les textes « adirés », c’est-à-dire renvoyés aux calendes grecques, les institutions bloquées.
L’auteur explique : « Dès le lendemain du vote de l’Assemblée nationale, le texte est transmis par le gouvernement au Sénat avec toutefois des souhaits, certes non écrits, pour qu’il ne soit jamais examiné par la Haute Assemblée ». La communauté arménienne décide de prendre le taureau par les cornes. Une tente est plantée devant le Sénat, face au café « Le Tournon » qui devient le bureau improvisé du « Comité du 24 avril » : affiches, distributions de tracts, discussions animées avec les passants.
Le 24 avril 2000, une manifestation rassemble 20 000 personnes dont 10 000 jeunes. Nouvelle manifestation le 1er juillet. Alexis Govciyan se souvient du soutien du CRIF et des entretiens qu’il a alors avec Haïm Musicant et Henry Bulawko. Le bout du tunnel, enfin : « L’Assemblée nationale, fidèle à ses convictions et à ce qu’elle avait fait, le 29 mai 1998, vote une nouvelle fois, à l’unanimité, le 18 janvier 2001, à 12h05, l’article unique de la loi : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Et l’auteur de conclure : « Le XXIème siècle peut commencer ».
Un très beau et très émouvant témoignage.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Cherche Midi. Novembre 2003. Préface de Patrick Devedjian. 228 pages. 17 euros