Les publications du Centre de recherche et de documentation sur les camps d'internement et la déportation juive dans le Loiret (CERCIL) sont toujours une alliance savante de récit, d’iconographie et d’analyse historique.
La dernière ne déroge pas à cette tradition, Annette Muller, la petite fille du Vel d’Hiv est un ouvrage de très belle facture augmenté des contributions des historiens Katy Hazan, Catherine Thion, Benoit Verny et Henri Minczeles.
Lieu de mémoire, de recherche et d’éducation, le centre publie régulièrement des documents éclairants sur l’histoire des camps du Loiret.
Hélène Mouchard-Zay, présidente du CERCIL et militante sans répit de la mémoire confie : si Annette Muller a manuscrit son récit en 1976, c’est que personne ne l’écoutait…
Et aucun éditeur ne voulut de ce récit qualifié sur un mode euphémisant d’« émouvant » alors qu’il livrait la nudité crue de l’histoire lorsqu’elle trahit, le talon d’Achille de notre siècle, quand les victimes furent livrées légalement à leurs bourreaux.
Quelle place la parole de l’enfant a-t-elle trouvé, ou pas, dans le corpus des témoignages ?
« Aucun enfant déporté ne pourra raconter ce qu’il a souffert de rester seul, privé de la tendresse maternelle, affamé, sali, galeux, balloté dans des camps de Pithiviers et de Beaune –la-Rolande au camp de Drancy » écrit Serge Klarsfeld. Oui, la parole de l’orphelin s’abîme sur les rivages infertiles des souvenirs mortels et retourne à sa source aux confins de l’être, arrimée à l’ourlet de la robe maternelle.
4115 enfants ont été raflés le 16 juillet 1942, la plupart ont été transférés dans les camps du Loiret, Pithiviers et Beaune-la-Rolande. Pas pour le bon air orléanais, non…Le camp plus proche de Drancy est saturé de ses 6000 internés.
Annette Muller est arrêtée avec sa mère et ses frères à l’aube du 16 juillet 1942. Quelques heures auparavant elle nourrissait encore des rêves au creux de son lit de plume, quand ceux qu’elle nomme « les hommes beiges », les policiers de l’Etat français, ont trop brutalement mis un terme à ses songes. A mille lieues de son univers onirique, à quelques minutes du foyer, la déchéance, l’humiliation le mépris et la haine la reçoivent au Vélodrome d’Hiver et l’accueillent encore le 22 juillet 1942 lors de son transfert à Beaune-la-Rolande. Là, des policiers armés en faction constante veillent sur son sommeil de paille.
Durant ce temps suspendu de l’internement à Beaune « ma mère était tendre et disponible » écrit Annette, jusqu’au 6 août 1942 ou elle fut déportée. Il y eut ce jour. Puis il y eut cette nuit sans elle ou l’enfant de neuf ans s’est rongée les poings de chagrin.
Transférée à Drancy puis à l’asile Lamarck, tenu par l’UGIF en septembre 1942, Annette fut rapidement confiée à l’institution catholique des sœurs de Saint-Vincent de Paul.
Là, sœur Clothilde lui apprit à prier la Vierge pour le retour de sa mère …
Au sein des institutions catholiques « le sauvetage des vies devient rapidement un sauvetage des âmes » souligne Katy Hazan « la pression plus ou moins insidieuse va de l’injonction de prier pour le retour des parents à la conversion pure et simple. »
Placée à l’orphelinat de Neuilly sur Seine, dans un contexte rigide, si peu tendre, la fillette de neuf ans s’abreuve de catéchisme, récite ses chapelets, prie pour le maréchal de France et sa milice. Elle tait tout de sa vérité d’être comme le lui a « recommandé » sœur Clothilde.
Il reste assez difficile d’approcher le chiffre des enfants juifs baptisés par les institutions catholiques durant la guerre, plus encore de discerner dans ce geste ce qui relève du sauvetage ou du prosélytisme dans ces temps ou un certificat de baptême vaut la vie et où la liturgie catholique espère encore tant la conversion des juifs.
L’engouement d’Annette pour la piété catholique s’essouffle lorsqu’elle rejoint après-guerre la maison de l’OSE du Mans, dirigée par Lotte Schwartz, une éducatrice érudite particulièrement avant-gardiste. Il s’éteint doucement, à mesure que le retour de la mère d’Annette s’éloigne.
Sur les 10 000 enfants sauvés par l’OSE, 3000 d’entre eux vont être élevés dans ses maisons d’enfants, lieux de vie juive traditionnaliste ou laïque.
Reconnecté à ses soubassements, à son hérédité, à une maison, l’enfant peut devenir adulte.
L’immense travail de l’OSE s’est illustré dans la prise en charge de ces enfants, dont certains revenaient des camps d’extermination, et a qui il a fallu apprendre à revivre en collectivité pour se soustraire à la violence du groupe.
Trop longtemps déconsidérés pour ne pas avoir connu l’enfer concentrationnaire, les enfants cachés, placés souvent très jeunes ont été des proies faciles. Leur quotidien d’orphelin n’a pas toujours été saisi ainsi qu’il aurait pu l’être. Pas plus que leur condition.
Mais qui peut lire les oscillations d’une telle onde de choc ?
Stéphanie Dassa