Tribune
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Publié le 13 Avril 2010

La Shoah une question sans réponse, par Dov Zerah, Président du consistoire central de Paris

Nous commémorerons aujourd’hui le souvenir des six millions des nôtres délibérément assassinés par les nazis et leurs collaborateurs. Yom Hashoa est devenu, pour notre disgrâce, une des dates les plus malheureuses, les plus tragiques, de notre calendrier, à l’image d’un grand Ticha Beav.




Yom Hashoa est l’occasion pour nous de communier avec le souvenir de nos défunts qui n’ont pas eu de sépulture, de penser à ce qu’ont été leurs douleurs, leurs souffrances, leurs malheurs…l’occasion d’être fidèles à leur mémoire mais aussi de réfléchir à la signification qu’un tel événement, aussi terrifiant soit-il, peut avoir pour notre destin commun. Pour l’histoire du peuple juif qui peut s’apparenter à une tragédie renouvelée, la Shoah est indiscutablement un summum !



Un grand nombre de philosophes et de théologiens, juifs et non juifs, ont tenté de trouver un sens à la Shoah.



Pour certains, elle constitue un événement qui modifie fondamentalement notre perception de l’homme et de l’histoire. Le rabbin de New Yorkais Irving Greenberg a écrit que « désormais l’humanité doit vivre dans l’effroi que suscite un monde où s’est incarné le mal absolu ».



Sans doute la Shoah doit rester, aujourd’hui encore, une question sans réponse, une de ces interrogations comme on en trouve dans le récit du prophète Jérémie ou encore dans ceux de Job ou de Kohelet.



Le grand théologien juif canadien Emil Fackenheim a une formule qui peut constituer pour chacun d’entre nous une belle et utile leçon : « Une voix impérative se fait entendre d’Auschwitz : interdiction absolue aux juifs d’accorder à Hitler une quelconque victoire posthume ».



Cette leçon est essentielle car nous sommes les témoins de trois infamies !



Nous avons tout d’abord à combattre les falsificateurs de l’histoire, les négationnistes !



Ensuite, nous devons affronter ceux qui cherchent à minimiser la Shoah, à relativiser cette tragédie, à la mettre au même niveau que d’autres tragédies humaines ou génocides !



Enfin, nous avons à faire face à ceux qui cherchent à nous transformer en persécuteurs !



Qu’on ne nous dise pas que nous en faisons trop !



On nous a privés de six millions de nos frères, sœurs, d’un million et demi d’enfants…et maintenant certains cherchent à nous contester, voire refuser le droit de pleurer leur mémoire, dans le recueillement qui s’impose !



Nous qui, avec six millions d’épines dans nos cœurs, sommes aujourd’hui une communauté de rescapés – chéérit hapléta comme il est dit dans notre liturgie - avons aujourd’hui un double devoir : celui impérissable de donner dans nos cœurs une sépulture à ces millions de morts partis naguère en fumée dans le ciel de l’Europe. L’autre devoir est aussi de faire le serment de nous opposer, ici et maintenant et de toutes nos forces, à la résurgence des forces du mal, et à tous les projets visant à nier, minimiser ou relativiser la Shoah.



Il ne suffit pas pour nous de dire « plus jamais ça » ou encore de garder le souvenir du mal absolu qu’on nous a infligé au cœur même de la civilisation européenne. Il nous faut regarder devant nous, construire nos communautés pour qu’elles restent fidèles à l’espérance et à la recherche de la paix universelle.



Mais la Shoah est, pour notre malheur une tragédie unique dans l’histoire de l’humanité.



Aucune autre tragédie ne peut être comparée à la Shoah. Le régime nazi avait mis en place une machine extraordinaire pour éradiquer la présence juive de cette terre européenne…le recensement des juifs, les rafles, les regroupements avant les séparations entre adultes et enfants, hommes et femmes, l’organisation des convois, la construction et le fonctionnement des camps…la mort au bout du trajet…Une mécanique scientifiquement organisée, implacable, inéluctable, ne laissant aucune chance pour s’en sortir !



Le déporté arrivé au camp se voyait tatouer des chiffres sur son bras. On lui retirait son identité avant de lui prendre sa vie ! Tout un symbole pour nous…oui, tout un symbole, puisque, pour procéder à tout recensement, on demandait à chaque membre du peuple de donner un demi-sicle qui certes avait pour objectif d’alimenter le denier du culte, mais qui avait surtout pour objet de dénombrer les membres du kahal ! Un demi-siècle et non un numéro pour repérer, identifier un être humain !



Dans quel autre génocide, l’extermination passait par le gazage avant la crémation ! Non ! La Shoah est vraiment unique !



Les survivants de la Shoah et les témoins disparaissent. Les négationnistes et autres révisionnistes de l’histoire ne doivent pas pouvoir poursuivre leur travail de sape. Comment pourrons-nous continuer à porter témoignage ? Voilà un des défis auquel notre génération aura à répondre.



Il ne faut pas que nos enfants s’interrogent sur nos lacunes ou absences, comme nous nous interrogeons sur les actes de résistance ou de révolte de nos frères et sœurs.



Soyons tous ensemble vigilants, sans agressivité…mais combattifs et présents pour que, pour toujours…Am Israël Haï !



(Discours prononcé le 12 avril à la synagogue de la place des Vosges)



Photo : © 2010 Alain Azria