Le CRIF en action
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Publié le 2 Avril 2010

Impressions d’un colloque

Après des comptes-rendus parus rapidement sur des sites amis, une adhérente de l’AJCF ayant participé nous donne ses impressions : Les 16 et 17 mars 2010 le CRIF organisait un colloque à Jérusalem et à Tibériade avec pour sujet et objectif la rencontre entre des Juifs et des Chrétiens de France et des Juifs et des Chrétiens en Israël. Comment en faire le récit ?




On pourrait bien sûr détailler les interventions, toutes remarquables et ayant pour but de nourrir le dialogue par un apport historique, spirituel et théologique. Mais l’intention était aussi de témoigner de la vie religieuse et de son expression en Israël, ce pays où tout prend une autre dimension. On peut parler longuement de l’importance des lieux saints à Paris, mais sur place en présence de chrétiens qui n’y accordent pas tous la même importance et de Juifs qui doivent encore et toujours expliquer au monde entier leur lien avec cette terre-là, l’échange est d’une autre nature. Ce sont les témoignages qui ont le plus frappé mon esprit. Le Frère Louis-Marie d’Abu-Gosh nous a dit qu’il comprenait que sa présence pouvait encore susciter l’incompréhension, voire le mépris, un sentiment exprimé par des Juifs si longtemps méprisés par le Christianisme. Il a formulé avec force une seule demande : qu’on arrête de voir en lui un idolâtre. Maimonide affirmait le contraire au XIIe siècle, mais ce qu’il disait du Christianisme et de l’Islam est peu connu de nos contemporains. Ce préjugé est donc malheureusement encore trop répandu en milieu juif. Gageons que la présence de l’Église Hébréophone sur place saura convaincre par sa haute spiritualité et son engagement auprès de tous. Pour cela il faudra un peu plus de temps, et aussi que se développent la confiance et l’amitié.



Le rabbin et philosophe Daniel Epstein a su dire sa volonté de rester atypique. Pour le citer en quelques mots : les religions usent et abusent du feu, y compris du feu qui peut mener au pire – que dire du feu sacré si ce n’est qu’il rappelle le paganisme ! L’esprit de Dieu (Genèse I verset 2) est là pour calmer cette flamme, en abaisser la température. Ce sont les hommes qui cherchent plutôt à l’attiser. Il a conclu en nous laissant une pensée que nous méditerons pendant longtemps : le Judaïsme serait peut-être comme un art de gérer le manque. Il n’y a plus de Temple, plus de prophètes, plus de révélation et pourtant nous sommes là dans notre fidélité obstinée, pleine d’abord de questions. En un mot comme en cent, une mise en garde très ferme contre le fétichisme religieux. Le Judaïsme maintient la révélation en s’attachant au débat constant avec Dieu, il ne faudra jamais perdre cette capacité à débattre.



Tous les participants ont retenu le témoignage bouleversant de Sohad Haddad, une Arabe Israélienne chrétienne, vivant à Haïfa alors que toute sa famille se trouve au Liban. Elle a parlé de son identité si fragmentée, de son retour à l’Église - par le biais de la tradition orientale – à l’âge adulte, qui lui a donné un sentiment d’appartenance, au-delà des frontières géopolitiques. Sohad a fait le voyage à Auschwitz après un an de préparation. Elle s’est plongée dans les Psaumes, qui sont des prières juives, elle réapprend les Évangiles avec des Juifs. À l’entendre, cette communion est possible en Israël, si on décide de briser les chaînes qui nous empêchent de voir le visage d’autrui.



Sohad est un lieu saint à elle toute seule. Elle réunit et incarne toutes nos démarches de dialogue dans sa volonté de surmonter la fragmentation de son identité. On est bien loin, devant la difficile réalité qu’elle exprime, de nos propos de salon sur la paix et la guerre. Quand le Père E. Shoufani (intervenant lui aussi) parle d’une réalité nouvelle à inventer, loin du poids de certaines traditions qui étranglent, loin des préjugés et de la peur, on se dit que Mme Haddad est l’incarnation de cette réalité nouvelle.



Je ne résumerai pas les autres interventions, j’appelle de mes vœux leur publication. En tant que Juive, ce colloque m’a fait découvrir des manières différentes de vivre avec les Juifs en Israël – autant de manières que de Chrétiens. Chaque individu serait donc atypique ? Les Juifs en Israël sont pour la première fois majoritaire par rapport à des minorités chrétiennes. Nous n’avons aucune tradition, aucun manuel pour apprendre à faire cela. Nous devons en prendre la mesure, nous pencher aussi sur nos faillissements. Certains parlent de mosaïque, d’autres de pixels, les deux constituent une image d’une complexité infinie faite de subtilité et de nuances, dont émergent de grandes questions. La tradition chrétienne donne-t-elle le moyen aux Chrétiens d’interpréter le retour d’Israël sur sa terre ? Une part de violence serait-elle inhérente à nos religions si exclusives malgré tout ? Comment éviter l’englobement, le syncrétisme religieux qui risque fort de diluer le message de nos textes ? S’ils contiennent une part de radicalité comment en tirer l’essentiel : un humanisme nourri de Transcendance ?



Comment vivre ensemble, non pas comme des lignes parallèles qui ne se rencontrent pas, mais ensemble en gardant chacun son trésor de foi, de spiritualité et de tradition en reconnaissant une part de vérité dans ce que dit l’autre ?



Comment changer les mentalités ? Au concept de transfiguration, le Père Shoufani semblait apposer l’indispensable « lavage de cerveau » pour se défaire des préjugés - lavage qu’on se fait à soi-même bien sûr, afin de tout saisir de l’autre :un concept nouveau et pragmatique à inclure dans le lexique du dialogue.



Le mot « réconciliation » était dans toutes les bouches, mais mon atavique vigilance juive m’invite à de nouvelles inquiétudes. Je le sais, nous sommes trop inquiets, toujours inquiets, mais on ne sort pas indemne de deux mille ans de mise au ban.



Dans son message adressé et lu à la clôture des travaux, le Grand Rabbin de France a rappelé que cette démarche de reconnaissance mutuelle devait laisser une place pleine au fait que le Judaïsme demeure radicalement autre, un propos austère mais si juste. Pour cela il faudrait que des Juifs s’engagent dans le dialogue, afin d’incarner cette altérité. Sinon nous risquons fort d’être des racines, reconnues comme telles certes mais dans une place et un rôle assigné.
On ne dira jamais assez combien cette altérité est riche et ne saurait être perdue, substituée, dépassée…
Le monde végétal perd des espèces tous les jours. Le Judaïsme ne saurait être un végétal menacé de disparition car englobé dans un monde nouveau amalgamé et brassé.
Ce colloque était riche par sa diversité. Il a suscité l’envie forte de poursuivre de la même manière des rencontres sur place. Imaginez une nouvelle livraison l’an prochain à Jérusalem avec pour sujet : « Aimer son ennemi comme soi-même - est-ce possible ? » .



L.A.



Texte et photos : © Amitié Judéo-Chrétienne de France, ajcf.fr