Le CRIF en action
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Publié le 24 Février 2010

Dov Zérah : «Nous éprouvons une solidarité instinctive à l’égard du peuple arménien»

Le président du consistoire de Paris a, lors de la cérémonie d’inauguration du buste de Missak Manouchian, prononcé le discours qu’on lira ci-dessous :




« Le 21 février 1944, il y a 66 ans, jour pour jour, l’occupant nazi couvre les murs de Paris d’affiches rouges. Elles font état de l’exécution au Mont Valérien de 23 membres d’un groupe de Francs Tireurs Partisans.



La mise en page, notamment la couleur rouge et le triangle formé par les portraits, marque la volonté des nazis d’assimiler ces dix résistants à des terroristes, à des criminels.



Voici les noms des partisans figurant sur l’affiche et la légende accompagnant la photo de chacun d’eux :



Fingercwajg, juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements ; Boczow, juif hongrois, 20 attentats ; Witchitz, juif polonais, 15 attentats ; Wajsbrot, juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements ; Elek, juif hongrois, 8 déraillements, Grzywacz, juif polonais, 2 attentats ; Fontanot, communiste italien, 12 attentats ; Rayman, juif polonais, 13 attentats ; Alfonso, Espagnol rouge, 7 attentats ; Manouchian, Arménien, chef de la bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés.



Manouchian, Missac Manouchian était le chef de ce groupe. Né 36 ans plus tôt, il a été marqué par le génocide arménien.



C’est la mémoire de cet homme et de ses compagnons que nous sommes venus évoquer et célébrer aujourd’hui.



Je tiens tout d’abord à vous remercier, Monsieur le Député-maire André Santini, d’avoir tenu à associer à cette cérémonie la communauté juive.



Comme vous avez pu le constater lorsque j’ai cité les noms et faits d’armes des résistants figurant sur l’affiche, les juifs sont nombreux parmi les membres de ce groupe appartenant à la MOI.



Par delà ce fait qui, à lui seul, justifie notre présence à vos côtés, nous éprouvons à l’égard du peuple arménien une solidarité instinctive, car son histoire a quelques dénominateurs communs avec celle du peuple juif.



Nous avons les uns et les autres une mémoire à préserver et à transmettre. Il n’est pas jusqu’à notre vocabulaire qui, chez les uns et les autres, parle de diaspora et de communauté de destin.



Nous avons l’habitude de dire, à propos des événements qui, au cours de la Shoah, nous ont privés du tiers de notre peuple (dont un million et demi d’enfants) qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Continuez à transmettre à vos enfants et aux jeunes générations de votre communauté, la mémoire qui est la vôtre. Ce sera pour vous la façon de répondre, par-delà les décennies, à ceux qui ont voulu vous exterminer.



Malgré toutes vos tentatives de faire disparaître nos peuples, nous juifs arméniens sommes toujours là, présents, témoignant pour nos morts, nos héros !



Comment ne pas saluer ici MM. André Karayan et Arsène Chakarian, deux survivants de cet épisode glorieux de l’histoire de la lutte arménienne ? Vous êtes, Messieurs, les témoins d’une mémoire et d’une histoire. Merci pour votre courage.



Dans sa dernière lettre à sa chère Mélinée, sa petite orpheline bien-aimée, Missak Manouchian écrit :



"...Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain..."



Le poème d’Aragon sur l’affiche rouge débute par ces vers :



« Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes Ni l’orgue ni la prière aux agonisants... »



Grâce à vous, nous goûtons la douceur de la liberté et de la paix, et nous vous devons une éternelle reconnaissance, l’assurance d’une gloire bien méritée. »



Photo (Dov Zérah) : © 2010 Alain Azria