Avec la participation de Jean-Philippe Moinet, Bernard Jouanneau, Jean-Michel Quillardet et Fabien Taieb, Gérard Unger, Gérard Israël, Patrick Klugman, André Benayoun, Marc Lévy, Martine Oukanine, Antoine Peillon.
Le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale, Eric Besson, a officiellement lancé le 2 novembre « le grand débat sur l'identité nationale ». Un site Internet dédié - www.debatidentitenationale.fr - est déjà en ligne. Les échanges se dérouleront « jusqu'au 31 janvier », a annoncé le ministère, et seront organisés par les préfectures et sous-préfectures. Une synthèse générale sera présentée le 4 février. Les députés ont déjà été mis à contribution et lanceront « dans toute la France des réunions de circonscription avec les Français », a précisé le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Jean-François Copé. L'autre grand thème sera l'apport de l'immigration à l'identité nationale. Les participants débattront notamment de la mise en place d'un "contrat d'intégration républicaine" ou d'un "parrainage républicain" pour les « étrangers entrant et séjournant » sur le territoire français et "d'un contrat avec la Nation" ou "d'une cérémonie plus solennelle" lors de toute accession à la nationalité française.
D'après un sondage publié par Le Parisien-Aujourd'hui en France le 1er novembre 2009, la question de l'identité nationale concerne la majorité habitants de la France : 60% des personnes interrogées estiment qu'en débattre est une « bonne chose », toutes générations confondues. Cependant, cette initiative ne suscite pas l’enthousiasme du président du MoDem François Bayrou qui estime que l'identité nationale est « comme l'histoire, qu'il n'appartient pas aux politiques de l'accaparer ». Pour sa part, la Première secrétaire du parti socialiste Martine Aubry, a indiqué que le débat sur l’identité nationale tel que proposé par le ministre de l'Immigration Eric Besson, était « malsain. » Elle a déclaré que son parti n'y participerait pas. «Nous pensons que l'identité de la France n'est pas ethnique, pas religieuse, pas culturelle» mais «c'est l'appartenance à des valeurs communes», a cependant affirmé Martine Aubry.
Le CRIF continue dans ce second regard croisé d’interroger plusieurs personnalités.
Question 1: Personnellement, pensez-vous que l'identité nationale est l'affaire de tous et qu’un tel débat est nécessaire ?
Jean-Philippe Moinet, ancien Secrétaire général du Haut Conseil à l’intégration : Il me semble aussi ridicule et malsain de considérer que «l’identité nationale» n’est qu’un sujet de «débat» (apparaissant au gré de conjonctures électorales choisies) que de penser que c’est un sujet à éviter, car secondaire ou détournant des sujets essentiels. La question de l’identité nationale est à l’évidence une question importante et l’affaire de tous: les politiques républicains ne doivent ni l’instrumentaliser, ni s’en désintéresser, en la laissant aux marges dangereuses de l’extrémisme. Ceci dit, les politiques doivent favoriser des prises de conscience par la parole, le débat, mais aussi (ils sont même là pour cela) prendre des décisions, surtout quand il s’agit de promouvoir effectivement les valeurs de la République, dans leur plénitude et dans la durée. Or, l’identité nationale française repose avant tout sur un patrimoine de valeurs, progressivement consolidées depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, valeurs qui peuvent se regrouper autour de cinq principes clés: Liberté, Egalité Fraternité, Laïcité et Démocratie. Chacun de ces termes à valeur constitutionnelle renvoie aujourd’hui - je n’ai cessé personnellement de le dire, depuis plusieurs années - à une nécessaire pédagogie publique qui peut être l’affaire de tous mais qui est surtout la vocation des grandes institutions de la République, au premier rang desquelles se trouvent bien sûr l’école, mais aussi des institutions ou structures qui ont des capacités de communication sociale dans le pays (par exemple dans le domaine de la Ville, de l’immigration, de l’action sociale, de la culture, des médias…)
On peut donc trouver très curieux que le ministère de l’Identité nationale ait attendu deux ans et demi pour en venir à l’annonce d’une volonté de débat. Ce débat est-il pour autant à fuir ? Je ne pense pas. Les précisions conceptuelles, rattachant l’identité française au patrimoine des valeurs républicaines, restent manifestement à faire, et à faire passer dans l’opinion. Ces précisions ne sont pas immédiatement venues, malgré des demandes pressantes. L’absence d’investissement sur ce sujet a d’ailleurs laissé ouvert un espace à une certaine ambiguïté d’interprétation, trop évidente pour ne pas être volontaire. En l’absence de pédagogie précise et intransigeante sur les valeurs, une lecture populiste, voire extrémiste de l’identité, fondée sur l’appartenance ethnique et fonctionnant sur le principe de la différentiation et de l’exclusion, peut sinon prendre le dessus en tout cas prospérer dans diverses franges de l’opinion. Si le débat annoncé permet de lever ces ambiguïtés et d’arrimer solidement l’identité nationale sur le socle des valeurs républicaines précisément énoncées et formellement défendues, la France s’en trouvera grandie. La démarche ne peut sans doute pas reposer sur le seul Eric Besson, mais sur le gouvernement tout entier, et toutes les forces de l’arc républicain.
Bernard Jouanneau, avocat, Président de Mémoire 2000 : Ce n'est pas parce qu'un ministre a décidé de lancer un débat sur « l'identité nationale », que je m'estime tenu de lui répondre. Verrai-t-on le ministre de la justice, convier les citoyens à participer à un débat sur la justice, et le ministre de l'intérieur sur le fonctionnement de la police ? Personnellement, j'ai passé là les examens, et suis plutôt rebelle exercice.
En tant que Président de Mémoire 2000, j'y suis carrément hostile, et je ne suis pas le seul. Il se trouve que je suis ici en mesure de parler au nom de l'association que j'ai consultée sur ce point. Convier les citoyens français à disserter sur leur identité, c'est déjà exclure les autres: ceux qui ne partagent pas cette nationalité. Qui ? Les étrangers, les immigrés, les sans-papiers, qui font déjà suffisamment l'objet de discrimination.
Susciter un débat sur l'identité nationale, c'est faire toucher du doigt aux citoyens français, qu’ils disposent d'un privilège qui restera inaccessible aux autres, hors assimilation, intégration ou naturalisation. Au moment où on a le plus besoin d'une cohésion nationale, on nous propose de souligner ce qui nous divise.
La citoyenneté française, j’en dispose de naissance. C'est un fait acquis. Je n'y puis rien, je n'ai pas à en être fier, ni à le déplorer. Ce serait mal pris, et au demeurant de mauvais goût. Je pense plutôt à l'identité nationale des autres : s'en préoccupe-t-on, de l'identité nationale des immigrés venus sur notre sol pour y accomplir les tâches que nous ne voulons plus remplir ?
Et après tout, pourquoi se préoccuper des « identités nationales » qui n'ont jamais fait que dresser les uns contre les autres ? Mieux vaudrait se préoccuper de l'identité européenne, qui est l'avenir des générations futures, ou même des identités régionales qui font la richesse des peuples. Au lieu d'aller puiser dans la bataille de Bouvines ou celle de Valmy les fondements de notre identité nationale, on ferait mieux de se préoccuper du traité de Lisbonne ou des conséquences de la chute du mur de Berlin. Il est trop évident que cette interrogation surgit à la veille des élections régionales, pour faire pièce à droit au fonds national qui se réjouit de cette bonne fortune qui lui est servie sur un plateau, et pour récupérer à gauche ceux qui ne voudront pas se révolter contre ce racolage nauséabond.
On a eu tort de laisser s'instaurer en France un « ministère de l'identité nationale et de l'immigration », ce n'est pas une raison pour culpabiliser et lui donner des verges pour nous faire battre.
Pour toutes ces raisons, je ne répondrai pas à la question :
« qu'est-ce qu'être français » ?
Je le suis; mais cela ne résout rien des problèmes de ceux qui ne le sont pas.
Jean-Michel Quillardet et Fabien Taieb de l’Observatoire international de la laïcité : Dans la notion d’identité nationale il y a l’idée claire d’un enfermement sur un territoire et une Histoire commune qui pourtant est diverse et contradictoire. Nous préférons le terme d’identité citoyenne, car fondée sur des valeurs universelles, conceptualisées au temps des Lumières .Charles Péguy a écrit : »La nation c’est ce qui divise, la Patrie c’est ce qui réunit. » Par conséquent l’utilisation du terme est réducteur par rapport aux fondements de la République et ne peut que réveiller une conception nationaliste de la France. En quelque sorte faire passer le droit du sang avant le droit du sol.
Plus encore ,bien sur, la création d’un Ministère de l’identité nationale est contraire au pacte républicain conquis au cours de notre histoire de haute lutte contre les tenants de la tradition et de la terre
Nous préférerons toujours l’universalisme d’un Montesquieu que le traditionnel d’un Joseph de Maistre.
Gérard Unger, PDG de Metrobus, membre du bureau exécutif du CRIF : L’identité nationale est effectivement l’affaire de tous les Français et ne doit pas être un thème laissé à l’extrême droite. En revanche, qu’un ministre s’empare de ce sujet quelques mois avant les élections régionales est plus que discutable et peut nuire considérablement à la sérénité d’un débat qui aurait pu être utile.
Gérard Israël, philosophe, ancien député européen : Le principe d’identité est constitutif de la personnalité de chacun : Moi = Moi. Toute perte d’identité personnelle conduit à la folie, à la déraison. Ainsi Spinoza pouvait écrire : « Il importe que chacun s’aime soi-même et recherche l’utile propre. » Cependant l’identité de chacun n’est pas une forteresse sans porte ni fenêtres. L’identité des uns se conjugue avec l’identité des autres dans un cadre social et national. Il existe ainsi une identité française fondée sur la solidarité entre les citoyens et sur leur communauté de destin. Il convient donc à la fois de s’aimer soi-même et d’aimer son pays, la terre sur laquelle on vit, considéré comme garant du Bien Public et de l’intérêt de ceux qui recherchent ce même Bien Public.
Patrick Klugman, avocat, conseiller de Paris, membre du comité directeur du CRIF vice-président de SOS Racisme : L’identité nationale est une notion par définition plurielle et dynamique. La volonté de la figer et de la restreindre est forcément réductrice et passésiste. C’est déjà à priori poser un postulat d’exclusion. Qui peut dire, « Moi je vais vous dire ce que c’est qu’être français ? ».
Le simple fait d’énoncer le fait national, c’est déjà le raboter en essayant de définir demain à partir d’hier ou pire, tout le monde à partir de soi. L’identité nationale évolue tous les jours. Elle correspond à un projet, plus qu’à un passé. La nation pour moi est une vocation renouvelée à chaque instant. Je suis français parce que je veux l’être. De là découle un corpus de règles et de traditions que je fais miennes.
Prenez la France du Général de Gaulle : eut-il été imaginable qu’un homme de père étranger avec une mère d’origine juive, par ailleurs deux fois divorcé, puisse prétendre aux plus hautes fonctions politiques sans même que cela ne suscite un débat y compris à l’extrême droite ? Non évidemment. Le parcours de Nicolas Sarkozy, premier président à s’affirmer comme un français « de sang mêlé », prouve si besoin était que l’identité nationale est en évolution constante et c’est heureux qu’il en soit ainsi. Ce processus, nul ne peut et ne doit l’arrêter ou alors notre pays se privera des futurs Obama qu’il compte peut être. Pour répondre à votre question, l’identité nationale n’est pas l’affaire de tous mais de chacun c’est pourquoi un tel débat est malsain.
André Benayoun : avocat honoraire, ancien membre du conseil de l'ordre et délégué du CRIF 94: Il est une condition pour parler sans arrières pensées du sujet de l'identité nationale: c'est de tenir pour négligeable le souci de servir les intérêts de qui que ce soit. Le sujet de l'identité nationale concerne principalement les français.
Ce débat me paraît nécessaire à l'aune de ce que nous constatons de puis quelques décennies: nos institutions n'assument plus leur mission d'intégration via l'école de Jules Ferry, l'armée, et les syndicats de travailleurs. La citoyenneté nationale devient ainsi de moins en moins significative L'action de l'État consiste maintenant à réguler la production et la redistribution des biens collectifs en organisant le marché du travail, les services d'éducation, et la protection sociale et à les répartir entre tous les citoyens et les étrangers résidant en France.
A partir de là, nous pourrions décliner la citoyenneté en trois catégories:
-la citoyenneté civile correspondant aux libertés fondamentales (liberté d'expression, égalité devant la justice etc.)
-la citoyenneté politique fondée sur la participation politique (le droit de vote, le droit d'accéder à certaines fonctions politiques etc.)
-la citoyenneté sociale résultant de la création de droits sociaux et économiques ( droit au travail, droit à la santé etc. )
Marc Lévy, avocat, membre du conseil fédéral de la LICRA et membre du comité directeur du CRIF : Le fait même que la question apparaisse dans la conscience collective est le signe de la nécessité d’un tel débat.
Martine Ouaknine, avocat, maire adjointe de Nice, membre du comité directeur du CRIF : L’affaire de tous oui, certainement, sans exclusive. Un débat, pourquoi pas ? Il peut être plutôt sain de l’instaurer pour exorciser des rancœurs encore latentes, notamment sur la colonisation. Mais aussi pour nourrir des espoirs communs pour l’avenir. La liberté, la tolérance est au cœur de cette identité.
Antoine Peillon, journaliste, président de la France radicale - Gauche démocratique et républicaine : Ce débat est lancé dans le seul but de mobiliser un électorat xénophobe en faveur des candidats de la "majorité présidentielle" lors des prochaines élections régionales de mars prochain. Tout le monde comprend immédiatement ce motif purement démagogique. Celles et ceux qui font semblant d'y trouver autre chose, par exemple un soi-disant courage républicain de lever un tabou qui pèserait lourdement sur la société française, se rendent aujourd'hui complices d'une propagande insidieuse. En effet, que penser des termes même d'"identité nationale", alors qu'il n'y a plus un jour où je n'assiste pas, dans l'espace public, à des contrôles d'"identité" (nationale?) qui sont menés presque exclusivement sur des personnes apparemment d'origine étrangère, faisant du délit de faciès l'objet d'une répression de fait, quotidienne, permanente, de plus en plus insupportable ? Ma réponse est claire : ce pseudo-débat lancé par ceux-là qui bafouent spectaculairement les valeurs les plus sacrées de la République dégage un fumet extrêmement dangereux, prenant le risque de briser un peu plus encore la difficile cohésion nationale.
Question 2: Que répondriez-vous à la question posée par le ministère de l’Identité nationale : "Qu'est-ce qu'être Français ?" Et, quelles sont selon vous les valeurs véhiculées par votre nationalité ?
Jean-Philippe Moinet : Cela mériterait des développements, notamment autour des cinq principes phares énoncés plus haut, qui fondent les valeurs communes que chaque citoyen peut reconnaître au-delà de toutes différences d’origines, de croyances, de liens d’appartenance ou de sensibilité. Dans la belle définition de Renan - dans «Qu’est-ce qu’une nation?», de 1882 - il y a notamment «la possession en commun d’un riche legs de souvenirs». Avec le rapport à un territoire, à une langue, le rattachement à l’histoire est en effet essentiel dans le sentiment d’appartenance à une nation. C’est pourquoi aujourd’hui, précisément parce que le «vouloir vivre ensemble» n’est pas le «plébiscite de tous les jours» souhaité par Renan, les efforts de pédagogies publiques, durables et surtout pas conjoncturels ou instrumentalisés, sont non seulement nécessaires mais urgents. Notamment vers les publics socialement défavorisés et vers les publics issus de l’immigration. Spécialement en ce qui concerne les grandes heures de l’histoire, les grandes épreuves de la République, où ce qui a été en jeu était précisément quelque chose de bien plus grand que l’addition des différences individuelles ou des particularismes culturels ou locaux. «Etre Français?» La question doit s’inscrire donc dans une perspective historique et civique, qui peut porter la citoyenneté française. Refuser le débat ou s’en ternir à l’écume électorale: deux manières de ne pas être vraiment à la hauteur de la grande question, trop souvent polluée par les petites arrières pensées.
Gérard Unger : Etre Français, c’est premièrement « un plébiscite de tous les jours » (Renan) pour vouloir vivre ensemble avec les autres habitants de ce pays. Ensemble, mais pas à côté et encore moins contre, ce qui serait du communautarisme. Deuxièmement, partager les valeurs communes avec les autres : Liberté, Egalité, Fraternité et Laïcité. Troisièmement, avoir un minimum de référent commun en dehors des valeurs républicaines : la langue, le drapeau. Quatrièmement : reconnaître que l’immigration fait partie de notre identité nationale depuis l’arrivée des Celtes dans ce pays au VIIIème siècle avant Jésus-Christ, en passant par les Romains, puis les Francs et les Burgondes, au VIème siècle après, jusqu’aux immigrés des XIX et XXème siècle : les italiens, espagnols, portugais, européens de l’est, sans oublier bien sûr les nords-africains, ; les noirs d’Afrique et les asiatiques. La France a toujours été une terre d’immigration et a su accueillir et intégrer tous ceux venus d’ailleurs. Cela fait partie de son identité.
Jean-Michel Quillardet et Fabien Taieb : « Français que par hasard et nécessairement Homme « a écrit Montesquieu.
Etre Français c’est être porteur de notre langue et culture, mais en sachant reconnaître la richesse de toutes les langues et de toutes les cultures .Tant que la France restera une démocratie et un pays privilégiant les principes humanistes ,nous nous sentirons heureux d’être Français ,mais cela n’a pas toujours été le cas.
Notre combat a pur finalité une société plus juste, plus humaine, plus fraternelle.
Notre pays est celui de la liberté qu’importe son nom.
Gérard Israël : Etre Français, comme être Italien, Anglais, Russe ou Chinois, équivaut à adhérer à des valeurs moralement et historiquement fondées sur une aventure commune, un devenir commun et une responsabilité commune. Notre pays, la France, a une saveur particulière : le principe d’égalité et de non-discrimination fixé par la Révolution Française, l’art de vivre, l’accueil de l’autre, souffrant ou persécuté, l’écriture, la langue et la politesse, autant de paramètres qui ne conduisent ni à l’orgueil ni au mépris des autres mais tout simplement au souci du bien être général, à la générosité.
Patrick Klugman : J’affirme qu’être français en République c’est avoir acquis, chèrement, le droit de ne pas répondre à ce genre de question.
Je suis français à la manière d’Aragon pas de Besson :
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant »
(L’affiche rouge).
André Benayoun : J'ai du mal à définir "l'être français". Je suis français par mes ascendants qui ont bénéficié de la nationalité française grâce à Crémieux. J'ai eu la chance de connaître l'école de Jules Ferry en France. J'ai appris à chanter la Marseillaise, le Chant des Partisans.... J'ai appris à respecter le drapeau tricolore. J'ai appris l'histoire de France pour autant je m'y reconnais que partiellement. Je ne peux pas m'identifier à des périodes qui ont été sombres pour mon peuple. Le drapeau, la marseillaise, et l'histoire sont des éléments figés. Une identité est en mouvement, en devenir pour mieux s'accorder à une société française qui bouge constamment.
La France a été, est toujours la terre de l'hospitalité et des droits de l'homme. Les juifs fuyaient la Pologne, les pogromes de l'empire tsariste, l'Allemagne nazie pour la France. Et, ils s'enorgueillissaient de leur qualité d'être devenus français.
Aujourd'hui, la nature de l'immigration a changé. Elle n'est plus politique mais plus économique et sociale. Il vaut mieux pour un étranger d'avoir un emploi en Allemagne que d'être français et chômeur. Il faudrait réfléchir à une citoyenneté fondée sur les droits et devoirs de la personne et non plus sur le lien avec une collectivité nationale.
Marc Lévy : La réponse d’Ernest Renan à cette question, à savoir « avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore » me convient, mais elle doit être actualisée : ces « grandes choses » relèvent à présent de « l’héroïsme du quotidien ». Plus précisément ces « grandes choses » que sont les valeurs de la République, qui sont celles de la révolution des Lumières, Liberté, Egalité, Fraternité, auxquelles j’ajouterais volontiers la Justice, doivent être incarnées et vécues dans la complexité du réel.
La Liberté dont chacun bénéficie peut donner naissance à un monde infernal si elle ne s’accompagne pas du respect des droits d’autrui. Le droit à la sécurité, à la dignité, à la propriété ne sont que la conséquence du respect par chacun des obligations correspondantes.
L’Egalité ne peut s’entendre qu’en terme de chances et concerne donc l’éducation. Il faut alors accepter les efforts financiers qu’implique la gratuité de l’enseignement. Mais les étudiants doivent à leur tour être conscients de la valeur et de l’importance du « cadeau » qui leur est ainsi fait et qui les oblige en retour.
La Fraternité implique une solidarité qui doit se manifester face aux situations difficiles de la vie, telles que la maladie, la vieillesse, le chômage. Les institutions sociales qui ont pris en charge ces solidarités, impliquent des efforts financiers importants. La conscience qu’il s’agit là d’une solidarité est nécessaire tant pour ceux qui y contribuent que pour ceux qui en bénéficient. Cette conscience transcende tout communautarisme.
Martine Ouaknine : Etre Français, C’est avoir su tirer les leçons des périodes sombres de notre histoire : les lois de vichy, la colonisation… C’est être fier de vivre dans une société riche de ses pluralismes et garante des droits sociaux. C’est ne pas avoir peur de l’autre, c’est adhérer à des valeurs de référence communes, dont la laïcité, et les partager. Mais c’est aussi accepter d’avoir des devoirs, Ne pas être consommateur de… mais des citoyens responsables. Les valeurs véhiculées par la nationalité française figurent au fronton de nos édifices, ce sont les valeurs portées par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Ce sont les combats en faveur des plus démunis, des exclus, contre les racismes, en un mot pour la dignité de l’Homme. Mais ces valeurs doivent inclure une nécessaire réflexion sur la contestation, sur la violence, aujourd’hui sous jacente dans les relations quotidiennes les plus basiques (au métro, à l’école, en voiture, dans le sport), sur l’importation des conflits étrangers intégrée aussi dans la relation à l’autre et sur le sol français.
Antoine Peillon : Puisque c'est vous qui me posez la question, je réponds volontiers : être Français, c'est tout d'abord une situation juridique qui est fondée sur le seul droit du sol, et non sur celui du sang, voire sur celui de la couleur de la peau… C'est, aussi, idéalement, participer à la vie publique d'une communauté de femmes et d'hommes dont l'idéal (et non l'identité) est symbolisé par la triade républicaine "Liberté - Egalité - Fraternité" ; c'est, encore, reconnaître expressément ce que l'on doit à l'histoire d'un peuple cosmopolite mais uni par des valeurs laïques universelles, dette qui articule nos droits civils à nos impérieux devoirs civiques ; c'est, enfin, aimer la générosité naturelle de notre sol qui a permis d'accueillir celles et ceux qui fuyaient la faim et la barbarie et qui ont contribué -parfois avec génie- à l'excellence de notre culture.
Propos recueillis par Marc Knobel
Photo : D.R.