Il était une fois, en Pologne, à Tomaszov, un petit bourg où sévissaient l’antisémitisme et les pogromes, un jeune Juif ambitieux, Kopel Rozner, coiffeur de son état, qui décida un jour, en emportant pour seul viatique ses tondeuses et ses fers à friser, de rejoindre à Paris de vagues parents, Berek et Adjla Roch et surtout leur fille, Synia, un amour d’enfance. Seize ans et des seins déjà frissonnant d’impatience. Et ce qui devait arriver, arriva. Kopel épousa Synia, à la mairie du IIIème, sans cérémonie religieuse pour compte tenu de la sainte horreur des Roch pour la synagogue. A Ma petite Auberge où les convives se retrouvèrent après la cérémonie, le plat du jour annonçait « cochon de lait aux haricots blancs », ce qui n’empêcha pas le père de la mariée de trinquer en lançant un tonitruant « Lékhaïm » et Kopel de se mettre au piano pour un interpréter tout un répertoire klezmer : de Tanz, tanz, yidelekh à Bei mir bist du schön.
en passant par l’incontournable A yiddishe mame.
Nous sommes en 1929. Les Rozner habitent rue Notre-Dame-de-Nazareth. C’est la que naît le personnage central du roman : Sacha. Plus tard viendra David, le petit frère.
Prenant une forme de revanche sur ses beaux-parents, Kopel inscrit son fils, dès l’âge de huit ans au Talmud Torah du rabbin Edelman. Mal lui en prit car loin de suivre la voie de la religion, Sacha ne trouve pas mieux que de jeter ses cahiers et ses livres sacrés au feu.
1938. En Allemagne, la « Nuit de Cristal » sonne le glas des espérances des Juifs allemands. Partout, en Europe, et notamment en France, l’inquiétude grandit. Chacun sent qu’il faut partir au plus vite. Mais où ? A Tel-Aviv, en Palestine ? En Amérique ? Dans un premier temps, Kopel, seul, laissant femme et enfants, part en éclaireur au Brésil. Les Roch, eux, rejoignent prudemment la Corrèze avec leurs garçons, Jack, un esprit frondeur, déjà acquis à la Résistance et Mickey, pleutre et pleurnichard, qui sera à l’origine de bien des drames familiaux. Au retour mouvementé de Kopel qui a fait chou blanc en Amérique du Sud, c’est l’évidence. Il faut partir. Mais Kopel, obsédé par l’idée de récupérer ses avoirs bancaires, retarde sans arrêt les projets de départ vers le Sud salvateur.
La Résistance, les collaborateurs, les petits boulots, la débrouille, l’amour aussi. Dans un style alerte, l’auteur nous narre les grands bonheurs et les petites misères, les moments cocasses et les situations dangereuses que vit cette famille juive, partagée entre l’assimilationnisme des uns et la volonté de maintenir vivace le flambeau du judaïsme des autres. Un personnage féminin au nom et au prénom étranges fait son apparition : Ultima Guerra qui fait découvrir à Sacha l’existence de deux Testaments, l’Ancien, la Bible des Juifs, et le Nouveau, celle des Chrétiens.
Souvent, l’ennemi est à quelques mètres des maisons où vivent les familles juives. Les SS Allemands, mais surtout les Mongols, sortes de supplétifs asiatiques des nazis.
Après la Guerre, Sacha cherchera à régler de vieux comptes. Au risque de commettre l’impardonnable. Faut-il sans cesse revenir sur son passé ? Original et d’une lecture agréable.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Phébus. Août 2008. 304 pages. 20 euros