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Publié le 31 Décembre 2008

Les Juifs et leur avenir Par Adin Steinsaltz (*)

Ce nouveau livre du célèbre spécialiste du Talmud, traducteur et commentateur, en hébreu moderne, en anglais, en français, en espagnol et même en russe de tout ou partie des quelque quarante volumes de ce texte fondamental du judaïsme, est en fait constitué d’une sélection d’ extraits de trois ouvrages initialement publiés en anglais et regroupés par thèmes. Qu’est-ce que la maison d’Israël ? Qu’est-ce qui fait qu’un individu est juif ? « Qu’un Juif est un Juif sans aucun doute ? ». Sommes-nous une nation ou une religion ? D’entrée de jeu, Steinsaltz aborde les vraies questions, les interrogations éternelles qui taraudent le peuple juif depuis des millénaires et encore plus depuis le siècle des Lumières, de la Haskalah et l’émancipation. Tâche éminemment ardue car « Une définition globale et significative doit déterminer si, et jusqu’à quel point, les Juifs existent et si le judaïsme a un sens intrinsèque autre que d’être défini de l’extérieur par les antisémites de tout bord ». De plus « le fossé qui existe aujourd’hui entre les Juifs, même au sein des croyants, est tel que le dialogue sur une base commune est devenu pratiquement impossible ». Ce qui fait, qu’à bien y réfléchir et si l’on veut mettre en pratique le principe de base de rabbi Saadia Gaon : « Notre nation n’est une nation que par sa Torah », « seule une petite minorité du peuple juif peut être considérée comme véritablement juive ». Alors, le peuple juif n’ayant pas de base territoriale commune, faut-il se baser sur l’Histoire commune ? Sur la culture juive, qu’elle soit hébraïque ou laïque ? Et que penser des prosélytes ? La raison, compte tenu de ces difficultés variées, est donc de trouver une « définition a minima ». Le Talmud, d’ailleurs, en son temps, a donné l’exemple : des six cent treize commandements répertoriés par le rabbin Simla, le roi David en retient onze que le prophète Isaïe réduit à trois avant qu’Hababuc les ramène en un : « Le juste vivra de sa foi ». C’est aussi ce que fit Hillel l’Ancien sollicité par un candidat prosélyte pour résumer toute la Torah en quelques mots. On connaît la réponse du MaÎtre : « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on fasse contre toi ». Mais toutes ces simplifications ne permettent toujours pas de répondre à la question centrale : « Qu’est-ce qui crée ce lien entre les Juifs ? ». Eh bien, tout compte fait, ce lien s’avère tout simplement familial car, dit Steinsaltz, « le peuple juif n’est pas à proprement parler une nation, mais une famille ». Une famille idéologique et non biologique. Cette famille, certains diraient cette tribu, c’est la Maison de Jacob, la Maison d’Israël, Beit Yaacov, Beit Yisrael.


Ce thème de l’identité juive, qui ouvre le livre n’est pas le seul, loin de là, que le rabbin Steinsaltz offre à notre réflexion. Avec finesse, il aborde la question de l’assimilation, remarquant que « la capacité que les Juifs ont à l’imitation est généralement bien plus profonde que chez les autres », l’unité de la Maison de Jacob autour de l’Etat d’Israël, le complexe messianique juif avec cette volonté renouvelée de vouloir, envers et contre tout et tous, sauver le monde, la « mission juive » qui n’est autre que le « rêve messianique » ancestral, la contribution disproportionnée des Juifs à la civilisation et au progrès du monde : « Aussi bien dans les sciences naturelles que dans les sciences sociales, la littérature, les arts, la vie politique et économique de chaque nation, la contribution des Juifs est surprenante ». De Marx à Einstein en passant par Freud, la chose est connue et reconnue.
Un chapitre original est consacré au thème désormais classique de l’opposition entre Torah et science. Notant qu’il y a, selon lui, peu de contradictions entre la Torah et les mathématiques, Steinsaltz, à notre sens, est un peu hâtif quand, par exemple, il considère que le fait que les savants aient calculé une valeur de p, avec un nombre impressionnant de décimales, à 3,14…et que le traité Erouvin propose 3 est « relativement sans importance ». Force est de constater que si le Talmud, avec les moyens de l’époque, donne ce chiffre approximatif, mais néanmoins remarquable, on ne saurait nier que la science, grâce aux ordinateurs, parvient à une précision exemplaire qu’il faut saluer.
Autres thèmes abordés : le mysticisme dans la pensée juive, le motif de la lumière, la prière, le péché, Le Cantique des Cantiques, enfin, histoire qui se passe, dit-il, dans un présent éternel.
« De nos jours, reconnaît le rabbin, la plupart des Juifs mènent une existence amphibie, comme des grenouilles. Ils vivent dans deux royaumes différents : celui du monde occidental et celui de la Torah ». Ce sont ces contradictions qui constituent la trame de ce beau livre qui incite à la réflexion d’autant que chaque chapitre de l’ouvrage est suivi d’un court débat.
Très intéressant.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Albin Michel. Préface de Jean Blot. Traduit de l’anglais par Danielle Lifshitz-Malka. Septembre 2008. 224 pages. 22 euros.