Alors qu’au sortir de la Guerre, Louis Jouvet est submergé de travail, Romain Gary publie Tulipe, une pièce de théâtre en hommage à Léon Blum qui vient d’être libéré du camp de Buchenwald. « Tout Ajar est déjà dans Tulipe », dira plus tard Gary. Survivant de Buchenwald, Tulipe vit à Harlem avec son ami, Oncle Nat et sa fille Léni et tout un groupe de paumés, noirs et blancs, Juifs et non-Juifs. Déguisé en Gandhi, Tulipe décide de faire la grève de la faim pour attirer l’attention des médias. « Ce n’est pas Buchenwald qui est horrible, ce n’est pas Belsen que je n’arrive pas à oublier…Ce que je ne pardonne pas, ce n’est pas Dachau, cette ville de trente mille habitants voués à la torture, mais le petit village à côté, où les gens vivent heureux, travaillent dans les champs et respirent l’odeur du foin et de bon pain chaud…Le petit village à côté avec ses gosses qui vont cueillir les marguerites dans les champs, les mères qui chantent des berceuses à leurs petits, les vieilles gens qui sommeillent sur le banc devant leur maison, le cœur en paix, le paysan qui donne à boire à ses bêtes, caresse son chien, aime sa femme… ».
Par l’intermédiaire de son éditeur, Pierre Calmann, Gary, alors diplomate à Sofia, en Bulgarie, sollicite Jouvet pour qu’il monte Tulipe. La correspondance qui s’ensuit est édifiante. Jouvet est intéressé, mais relève de nombreux défauts et propose des aménagements. Tulipe est abandonné. Gary propose un autre texte, Le grand vestiaire puis un autre, La tendresse des pierres. Et d’autres encore. Les deux hommes se sont rencontrés, mais leurs projets communs n’ont pas abouti. Louis Jouvet est mort en 1951. Romain Gary s’est suicidé le 2 décembre 1980.
« Qu’a-t-il manqué à Romain Gary et Louis Jouvet pour que leur rencontre se concrétise par une création commune ? » se demande Gisèle Sarfati. « Peut-être n’étaient-ils pas prêts, tous les deux, au même moment ? Une simple histoire de synchronicité ».
Rare et passionnant.
Jean-Pierre Allali
(*) Suivi de « Rencontre avec deux hommes remarquables : Romain Gary et Louis Jouvet » de Gisèle Sarfati. Editions de L’Herne. Octobre 2007. 120 pages. 10,50 euros.
(1) Myriam Anissimov. Romain Gary le caméléon. Editions Denoël. 2004.
(2) Gisèle Sarfati. Voyages. A la recherche d’une mémoire perdue. Sousse 1871-1967. Editions Plumes cerfs volants. 2006. Voir notre recension du 15-11-07