Avec la lancinante question du « Droit au retour des réfugiés », le problème de Jérusalem constitue le nœud de toute tentative de solution au conflit israélo-palestinien. Avec une impartialité à laquelle il faut rendre hommage quand on connaît son engagement personnel, l’auteur nous raconte Jérusalem, une ville trois fois sainte, un mot dit-il, qui commence à le gêner, trois fois sainte, donc, pour les Juifs, pour les Musulmans et pour les Chrétiens. Une ville où, « chaque coup de pioche procède du dramatique, fêté comme une libération, subi comme une agression ou pleuré comme une profanation », une ville où le moindre soubresaut provoque une grande fièvre, bref, un baril de poudre permanent.
Et si les Chrétiens ne semblent plus avoir de grandes prétentions depuis les Croisades et le Royaume franc, Frédéric Encel considère que deux fois au moins, à travers l’Histoire, Jérusalem fut instrumentalisée à des fins politiques, sur une grande échelle spatiale et démographique et de manière structurelle : du VIIème au XIème siècle, au temps des conquêtes musulmanes des Omeyades et, plus tard, de la fin du XIXème siècle au début du XXème, avec la montée en puissance de l’idée sioniste. « Tout sépare ces deux projets géopolitiques : leurs époques, leur nature, leurs circonstances ».
Pour les exégètes musulmans, la localisation à Jérusalem de la masjid al-aqsâ, la « mosquée très éloignée » est relativement tardive. Et même si Saladin, en 1187, après la capitulation des Croisés, procéda à quelques embellissements de la ville, il n’en fit ni sa capitale, ni même un chef-lieu. Le sultanat demeura à Damas et, localement, le cadi siégeait à El-Bireh, près de Ramallah. Quelques siècles plus tard, en 1516, l’avènement des Ottomans ne modifie guère la situation et , pour Soliman le Magnifique, Jérusalem fait figure de cité secondaire sur le plan administratif. « En définitive, Jérusalem n’a jamais été la capitale d’un Etat-royaume, empire ni autre sultanat-d’essence islamique ». On a l’impression que le monde arabo-islamique, après avoir négligé pendant des siècle la cité de David, Aelia Capitolina, Ilyia, Al-Quds, ne s’y est intéressé qu’en opposition au grand intérêt que commencèrent à lui manifester les sionistes dans les années 1930-1940. Lors de la Guerre d’Indépendance qui fut imposée aux Juifs du Yichouv- qui, pour leur part, avaient accepté le plan de partage proposé par les Nations unies- par les armées arabes coalisées, les combats les plus violents, les efforts les plus désespérés eurent lieu au cours de la bataille de Jérusalem. Pour David Ben Gourion, cela ne faisait aucun doute : il fallait, à tout prix, sauver Jérusalem. Pour le « Vieux » qui s’exprimait peu après la fin du mandat britannique : « Nous considérons qu’il est de notre devoir de déclarer que la Jérusalem juive est une partie organique et inséparable de l’Etat d’Israël, de même qu’elle est une parie inséparable de l’histoire d’Israël, de la foi d’Israël et l’âme même de notre peuple. Jérusalem est le cœur des cœurs d’Israël ».
Après avoir examiné les trois représentations de Jérusalem que s’en font Juifs, Chrétiens et Musulmans puis les contre-représentations qui en découlent, Frédéric Encel, examine les stratégies des deux groupes humains qui revendiquent la souveraineté sur Jérusalem : Israéliens et Palestiniens. Pour les uns, Israéliens, le désenclavement, le peuplement renforcé par les corridors, le Grand Jérusalem relié au Grand Tel Aviv, l’Axe Galilée/Néguev, Maalé Adoumim, la « ligne sable « , un réseau routier performant, des accès uniques, des accès spécifiques aux « quartiers-forteresses »…Bref, un rapport stratégique très sophistiqué entre espaces et territoires. Avec, en ligne de mire, une carte maîtresse : la démographie. Pour les autres, Palestiniens, la revendication du droit, la recherche de la reconnaissance internationale, le soutien de la Ligue Arabe, des Etats frères et du monde musulman, le lobby musulman y compris au sein de la société israélienne, la rue enfin.
Alors, tout compte fait, que sera Jérusalem demain, après-demain ? Unie ou divisée ? Internationalisation des Lieux saints, internationalisation, corpus separatum, souveraineté partagée, souveraineté « duelle », contrôle mixte, souveraineté conjointe…La recherche d’un plus petit dénominateur commun est ardue, mais c’est la seule voie possible : « La majeure partie de Jérusalem « réunifiée » resterait sous la souveraineté d’Israël et la boucle de la ceinture israélienne autour de Jérusalem-Est resterait ouverte pour qu’un corridor relie la Vieille Ville à l’Etat palestinien… ». En conclusion, seuls le réalisme et le pragmatisme, apanage des vrais leaders, permettra d’envisager les contours d’une solution. Au risque de décevoir beaucoup de monde dans les deux camps.
De nombreuses cartes et photographies agrémentent cet ouvrage essentiel pour qui veut comprendre les enjeux de l’avenir de Jérusalem.
Jean-Pierre Allali
(*) Préface d’Yves Lacoste. Editions Flammarion. Mars 2008. 316 pages. 8 euros