Tribune
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Publié le 21 Mai 2008

La détérioration des conditions de vie sociales et économiques en Iran

Nous reproduisons ci-après un article qui a été écrit par Chloe Godin, publié par le Transatlantic Institute.


« En ces journées de mai, imaginez travailler pendant un mois sans salaire. Puis cinq, puis huit… Imaginez une activité non rémunérée, difficile, en deçà des standards usuels des conditions de travail. A tout moment, le risque est de perdre son emploi sans indemnités. Puis imaginez une grève de protestation contre ces conditions de travail, qui viendrait se heurter aux interventions policières, aux arrestations, aux inculpations de conspiration politique. Imaginez enfin le risque d’un an de prison, voire plus, la torture, pour le seul motif de cette grève. Si vous viviez en Iran et travailliez dans l’usine de Kian Tire, ce récit serait une réalité. Le sort d’un millier de travailleurs relève toujours du mystère, suite à des arrestations policières réprimant une grève de trois jours qui finit violemment le 14 avril.
La détérioration des conditions de vie sociales et économiques, les conditions de travail de plus en plus sévères, et la précarisation générale des droits et de la législation sociale ont poussé la grande majorité des 22 millions de travailleurs à solliciter l’aide des syndicats.
Le salaire moyen a fondu à 198 dollars par mois en mars 2007, en dessous du taux de pauvreté officiel établit à 300 dollars. Selon une enquête de la Confédération Internationale des syndicats, près de 2 millions de travailleurs n’ont pas été payés, certains depuis deux ans. Par ailleurs, l’usage des contrats de travail temporaires comme moyen d’entrave à l’organisation et à la défense des droits des travailleurs contribue à empirer la situation. Les promesses du président Ahmadinedjad en 2005 visant à améliorer les conditions de vie sonnent fausses.
Les conseils islamiques, établis par le gouvernement dans le but de représenter efficacement les travailleurs, n’ont pas répondu aux besoins des travailleurs. Il en résulte un fort gain de popularité au profit des syndicats indépendants, considérés comme seul moyen d’améliorer les conditions de travail. Le gouvernement iranien n’a pourtant pas la volonté de reconnaître l’existence de ces organisations, malgré la légalité de ces dernières, reconnues depuis un amendement du Code du travail datant de 2003.
La récente vague de grève ayant agité le pays n’est donc pas une surprise. Des employés de différentes industries à travers le pays protestent : de la plus grande usine de textile a Rasht, en passant par les chauffeurs de bus et employés du secteur pharmaceutique à Téhéran, tous se rallient. La réponse gouvernementale a été radicale: détention, harcèlement, persécution mentale et physique.
Les pressions internationales relatives au programme nucléaire et la montée des critiques iraniennes face à la mauvaise gestion économique ont amené Ahmaninedjad et son gouvernement à empêtrer radicalement toute forme de dissidence, d’opposition ou de protestation. Accusé de « propagande contre la République Islamique », d’ « activisme contre la sécurité nationale » et d’ « organisation de rassemblements illégaux », des centaines de travailleurs ont ainsi été détenu pour des périodes indéterminées.
Mansour Ossanlou, le président du Syndicat des travailleurs de la régie des bus de Téhéran et de sa banlieue, ainsi que Mahmoud Salehi, militant pour la cause des droits sociaux et cofondateurs du Syndicat des ouvriers boulangers de Saqez,, sont devenu des noms bien connu en Iran. Les deux ont en effet été plusieurs fois arrêtés et incarcérés durant plusieurs mois, voire plusieurs années.
Après une année de pressions internationales intenses menées par syndicats et organisations des droits de l’homme, Salehi, emprisonné durant les manifestations du 1er Mai 2004 a été finalement relâché le 6 mars après avoir dû payer une caution de 400 millions de rials, soit près de 43 000 dollars. Une somme astronomique en Iran.
Une journée d’action et de solidarité a été organisée le 6 mars 2008, l’occasion de délivrer un appel au gouvernement iranien afin qu’il respecte les droits fondamentaux des travailleurs. En tant que membre de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’Iran doit se conformer aux Convention 87 relatives entre autre à la liberté d’association et à la Convention 98 concernant le droit à l’organisation et à la négociation.
On ne saura peut être jamais si les journées de mobilisations ont eu un impact direct et positif sur la libération de Salehi. Cependant, il est clair que les groupes internationaux ne veulent plus rester passifs alors que les droits sociaux, en tant que droits humains fondamentaux, sont bafoués en Iran. Ces derniers mois, le bureau des Affaires Etrangères de la Grande Bretagne, le département d’Etat américain et Amnesty International ont publié leurs rapports annuels respectifs sur les droits de l’homme. Tous placent l’Iran comme l’un des plus grand pays violeurs de droits de l’homme.
Ahmaninedjad a certainement pu entendre le grondement des protestations internationales, mais ces dernières restent vaines pour le moment. L’OIT doit menacer l’Iran plus sérieusement pour s’assurer de la conformité de son attitude avec les conventions ratifiées. Si l’Iran continue de manière flagrante à montrer des signes de non-conformité, l’OIT peut mettre en pratique la stratégie connue sous le nom de ‘name and shame’, une sorte de pointage de doigt a un niveau international contribuant à terme à ternir la posture internationale de l’Iran.
Même si les rapports anglais, américains et issus d’ONG contribuent à la bataille pour les droits de l’homme, le droit du travail et des travailleurs devrait avoir une place plus grande au sein des débats et des initiatives. Le premier ministre russe Sergey Lavrov a récemment annoncé que les négociateurs internationaux sont en train de préparer de nouvelles mesures pour la négociation avec l’Iran par rapport au dossier nucléaire. Pourvu que ces mesures se focaliseront non seulement sur le programme nucléaire iranien, mais aussi sur la situation actuelle des droits de l’homme et du labeur.
Sinon, si l’Iran tire profit de ses mesures, en dépit de son traitement des travailleurs et des citoyens, qu’est-ce qui l’inciterait à changer son comportement ? »