Le CRIF en action
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Publié le 7 Mars 2008

Discours de Richard Prasquier, président du CRIF

Monsieur le Président de la République,


Nous sommes des hommes et des femmes de tradition. Il en est une à laquelle vous n'échapperez pas, c'est celle de l'histoire juive. Je pense devant cette salle comble que nous avons réunie vous et moi ce soir, à ce chinois auquel son ami juif disait avec un certain culot:
"Savez-vous que nos deux peuples font à eux seuls 20% de la population de la planète?...."
De fait, Monsieur le Président de la République, les Juifs ne sont pas très nombreux.
Mais les drames de notre histoire ont fait de nous des révélateurs de ce qui n'allait pas dans nos sociétés.
Aujourd'hui, les Juifs de France sont heureux de recevoir celui que le suffrage universel a désigné pour présider aux destinées de notre pays.
Ils sont confiants, car ils connaissent votre engagement absolu dans le combat contre l'antisémitisme. Cet engagement rejoint celui de vous toutes et vous tous, Mesdames et Messieurs les représentants de la majorité et de l'opposition.
Le CRIF a été fondé par des hommes qui vivaient dans l'angoisse des rafles, aux marges d'un pays qu'ils avaient vénéré mais dont le gouvernement, celui de Vichy, les avait trahis. Leurs conceptions du judaïsme étaient diverses.
Mais tous ressentaient le besoin de l'union.
Le CRIF porte encore ce message unitaire. Il représente l'ensemble des Juifs de France. Moi qui suis né ailleurs et ai vécu ma jeunesse avec une carte de réfugié, je suis fier de la règle républicaine qui nous a permis de vivre dans l'honneur et d’enrichir l'identité nationale de nos propres spécificités.
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Je suis un Juif séculier, mais je connais mon héritage. J'admire tous ceux qui bâtissent leur vie, en ouverture et réflexion, sur la base d'un engagement religieux.
Mais j'ai trop de respect pour ceux des Justes qui étaient des athées pour croire que les religions sont la seule barrière contre le mal. Elles peuvent être meurtrières quand elles prétendent imposer une vérité absolue.
L'homme ne détient qu'une vérité partielle, qui s'enrichit par les échanges entre individus. C'est le message de la tradition juive; c'est aussi le message des Lumières. Il passe difficilement dans un monde avide de certitudes, mais c'est peut-être le seul message universel.
Aux Juifs, la loi de séparation de 1905 a apporté la neutralité bienveillante qui a garanti l'égalité et inventé des solutions empiriques aux problèmes ponctuels. Bien sûr, la situation a changé et la bienveillance ne se décrète pas. Mais pour nous, cette loi fait partie du surmoi identitaire qui nous lie à la République. Je suis un partisan résolu de la laïcité, je ne suis pas un adepte de la religion laïque.
L'émancipation des Juifs de France, la première en Europe, qui nous a accordé l'égalité des droits, est fille de la Révolution. Les Juifs représentaient alors le seul élément d'altérité dans un pays uniformément chrétien.
Aujourd'hui la France est diverse. Rappelons que cette diversité est richesse, que l'étranger doit être respecté, que les discriminations dont les jeunes issus de l'immigration souffrent plus que nous, sont intolérables.
Nombreux sont les Juifs qui ont soutenu Martin Luther King. Ceux qui essaient d'opposer aujourd'hui les juifs et les noirs sont des falsificateurs misérables.
Nos rapports avec les musulmans ont une valeur de test exceptionnelle, car notre pays associe les plus fortes populations juive et musulmane d'Europe.
S'il y a encore souvent entre les aînés la chaleur des souvenirs communs, entre les jeunes, sur le terrain, les contacts sont plus difficiles- et d'autant plus nécessaires. C'est là que le dialogue doit se développer.
Dans le passé, notre tête à tête avec les chrétiens fut souvent tragique.
Comme les choses ont changé aujourd'hui!
Nos rapports avec le monde catholique sont exemplaires, dix ans après la déclaration des évêques de Drancy.
Le décès du Cardinal Lustiger a été l'occasion d'une cérémonie bouleversante, pleine de respect et sans syncrétisme: j'avais pour lui une véritable affection.
Nos relations avec les protestants fondées sur des ressemblances de destin et des souvenirs forts, doivent s'approfondir, nos relations avec les orthodoxes également.
La menace du terrorisme intégriste plane sur nous tous. Croyants ou incroyants, la lutte contre le racisme et l'antisémitisme est un devoir commun.
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Un peu plus de 350 actes antisémites en 2007 suivant le ministère de l'Intérieur, 30% de moins qu'en 2006, mais 350 de trop, qui laissent un sentiment d'insécurité durable. Les agresseurs sont de plus en plus jeunes et les actes de plus en plus violents.
Je rends hommage à mon ami Roger Cukierman, qui a œuvré pour le renforcement de la coopération, actuellement exemplaire, des pouvoirs publics, Justice, Intérieur ou Education Nationale avec le CRIF et le service de protection de la communauté juive. Les communautés juives ont tissé des liens étroits avec les autorités préfectorales, municipales, départementales et régionales. Les poursuites sont plus systématiques, notre législation est plus stricte qu'ailleurs, même si les auteurs parviennent souvent à éviter la qualification antisémite qui aggrave la peine.
Et pourtant la situation est inquiétante...
Le discours antisémite s'est banalisé. Plus que toutes les formes de racisme, l'antisémitisme se prête aux clichés et aux constructions imaginaires. L'obsession de la conspiration, c'est la forme la plus répandue d'antisémitisme aujourd'hui. Internet en est une caisse de résonance. Nous appuyons la demande de la Commission Nationale consultative des Droits de l'Homme, où siège le CRIF, en faveur d'un observatoire du racisme et de l'antisémitisme sur Internet.
Ces clichés ont tué Ilan Halimi, et peut-être aussi Sébastien Sellam, le jeune « disc-jockey ». Leurs mères sont parmi nous ce soir .Ces stéréotypes ont servi aux nazis. Ils ne donnent pas prise au discours rationnel. Ils ne laissent pas place au remords. Vous en avez fait les frais, Monsieur le Président de la République, avant votre visite en Algérie. L'auteur n'a pas démissionné.
Vous avez dit de l'antisémitisme: "A force d'expliquer l'inexplicable, on finit par excuser l'inexcusable".
S'il ne faut pas trop expliquer, je crois qu'il faut déconstruire. Pas seulement appliquer la sociologie, mais la psychologie sociale, dès l'école, et j'en profite pour rendre hommage au travail effectué par M. Xavier Darcos. Agir à la racine des stéréotypes, démonter les mécanismes de croyance et d'emprise à l'intérieur des bandes. Pas uniquement à cause de l'antisémitisme, à cause des exigences de la vie en commun. Le Juif est un révélateur: mais d'autres, demain, pourraient le remplacer dans ce rôle de bouc émissaire qu'il remplit depuis si longtemps.
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Vous avez dit votre émotion à la visite du Mémorial des enfants de Yad Vashem à Jérusalem.
La Shoah est un questionnement tragique. Elle montre ce que l'homme est capable de faire et ce qu'il est capable de ne pas voir. Les Justes laissent des parcelles d'espoir, mais ne suffisent pas à nous bercer d'illusions.
La mémoire de la Shoah doit servir à chacun de conscience pour l'avenir.
C'est une mémoire pour les jeunes, comme l'avait souligné M. François Fillon dans son magnifique discours du Vel d'Hiv, une mémoire pour tous car nul n'est victime, ni coupable de génération en génération. La Shoah interpelle tous les hommes.
La Fondation pour la Mémoire de la Shoah, dont la création fut annoncée lors d'un dîner du CRIF a, ainsi que le Mémorial, une place essentielle dans ce travail d'éducation. Redisons notre admiration à Mme Simone Veil, sa Présidente d'Honneur. Grâce à la Fondation, nous offrirons ce soir une merveilleuse anthologie de la culture juive.
C'est avec son aide que s'ouvriront les Milles, au projet pédagogique novateur, auquel vous avez apporté le soutien de l'Etat.
N'oublions pas la Résistance. Tenez bon sur la lettre de Guy Môquet. Les critiques mêmes montrent comme sa lecture est utile.
1 500 000 Juifs ont combattu le nazisme ou œuvré dans la Résistance. La résistance juive est symbolisée par la révolte du ghetto de Varsovie, dont ce sera le 65e anniversaire. Varsovie, où le futur musée des Juifs de Pologne doit faire un travail d'histoire indispensable à la mémoire de l'Europe.
En France où je n'oublie pas les 23 000 dossiers traités par la commission d'indemnisation, le travail de mémoire n'a pas déchiré notre pays, il l'a renforcé. Il a établi qui étaient les coupables d'hier, et fait de nous les responsables pour demain.
La France a réussi car les historiens ont orienté et les hommes politiques ont accepté de suivre. Là où les hommes politiques orientent et les historiens suivent, la mémoire est mensonge, et les conflits s'enveniment.
La mémoire, c'était aussi... pour que..... "Plus jamais ça". Ca ....a encore eu lieu, au Rwanda par exemple. La Shoah reste unique ; les amalgames sont insupportables. Mais on massacre à grande échelle dans le monde d'aujourd'hui, au Darfour et ailleurs. Les associations humanitaires font leur admirable travail: mais l'impuissance de l'ONU et l'hypocrisie des Etats complices nous révoltent....
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Vous avez prouvé votre amitié pour Israël, même quand cela semblait nuire à vos intérêts électoraux immédiats. Vous l'avez proclamée dans des pays où ces mots ne se prononçaient pas. La communauté juive de France vous remercie.
Vous savez les contraintes de sécurité d'Israël. Depuis sept mois le Hamas est au pouvoir à Gaza, et plus de 700 missiles ont été tirés sur Israël, semant quotidiennement l'angoisse.
Le CRIF soutient Annapolis et un Etat palestinien pacifique, sorti du cycle de pauvreté et d'endoctrinement à la haine. Nous espérons que l'argent de la Conférence des donateurs de Paris aidera à développer une économie tournée vers la paix
La France accueillera en mars le Président Peres en visite d'Etat, nous croyons savoir que vous irez bientôt en Israël.
L'image de la France en Israël s'est complètement transformée. Le Centre culturel à Tel Aviv et le lycée franco-israélien viennent d'ouvrir. Avec la Fondation France Israël, les amis français de l'Université de Tel Aviv et l'Ambassade de France, nous organiserons un colloque sur les relations entre la France et Israël.
Le maire de Haifa, M. Yona Yahav, qui est ici, a reçu du Président du Sénat la Légion d'Honneur cet après-midi. Haifa, lourdement frappée par les roquettes pendant la guerre du Liban, est le symbole de la coexistence entre Juifs et Arabes.
Israël fête son soixantième anniversaire. Extraordinaire aventure humaine, magnifique réussite économique et scientifique, expérience démocratique unique dans la région....
Mais c'est le seul Etat membre de l'ONU menacé de destruction. Le rejet de l'existence d'Israël comme Etat juif ne provient pas seulement des organisations terroristes, mais implicitement de tous ceux qui refusent à Israël les mêmes prérogatives qu'aux autres Etats.
Israël a été fondé comme Etat juif, avec Jérusalem comme capitale immémoriale. C'est l'Etat du peuple juif. Qu'on ne se leurre pas, le retour des réfugiés palestiniens, ce serait la fin de l'Etat d'Israël. Or, peu d'Etats de la planète ont une telle légitimité historique. Dans cet Etat, les Arabes israéliens ont tous les droits de la citoyenneté.
Un cadre politique ne suffira pas à la paix. Il faut apaiser les mémoires, lutter contre les fanatismes et éduquer à l'entente: objectif de longue haleine, c'est le chemin des hommes de bonne volonté.
La paix avec les Palestiniens n'apaisera pas par enchantement les menaces du terrorisme international! La révolution islamique en Iran et la création d'Al Qaida n'ont aucun lien avec le conflit israélo-palestinien. Mais elles augmentent les obstacles à une solution pacifique....
Je vous ai rencontré avec les familles des otages israéliens. Je n'oublie pas votre chaleur pour les parents en détresse.
Mais aucune nouvelle pour Regev et Goldwasser, enlevés par le Hezbollah. Nasrallah s'est même vanté de posséder des fragments de corps d'Israéliens. Gilad Shalit, enlevé par le Hamas, est français comme Ingrid Bettancourt; de lui deux messages, un fragile espoir....
Ces garçons ont été enlevés en Israël, il y a 600 jours. Le silence sur leur sort est inhumain. Monsieur le Président de la République, nous savons votre détermination: ne les abandonnez pas.
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La France, depuis votre entrée en fonction a été d'une extrême clarté sur le nucléaire iranien. Cette fermeté est une attitude de paix, la seule qui vaille, la paix dans la lucidité et non pas l'illusion de paix par la démission.
L'Iran suit un programme d'enrichissement d'uranium à un niveau qui ne s'explique que par des objectifs militaires. Telle est la simple réalité, malgré les ambiguïtés des rapports et le quitus de M. ElBaradei, qui se complaît dans l'aveuglement.
La bombe aux mains de l'Iran, c'est la nucléarisation rapide des Etats de la région, et un risque pour l'Europe située dans le rayon d'action des lanceurs iraniens.
Ahmadinedjad a menacé à plusieurs reprises de détruire Israël. Faut-il rappeler qu'il a convoqué une conférence négationniste? Qu'il n'y a aucun contentieux entre Israël et l'Iran et que les relations entre persans et juifs ont presque toujours été excellentes?
Les dirigeants iraniens utilisent la haine contre Israël comme prétexte pour cimenter en Islam une alliance sous influence chiite. Ils financent et arment le Hezbollah et le Hamas. La fourniture de bombes sales à ces organisations aurait des conséquences apocalyptiques.
Les sanctions économiques strictes paraissent efficaces. Lorsque les firmes prétendent qu'elles doivent commercer avec l'Iran, je pense à la phrase de
Lénine: "Les capitalistes nous vendront même la corde avec laquelle nous allons les pendre"......
La France a passé plusieurs contrats nucléaires civils qui suscitent des inquiétudes. Je ne doute pas que des précautions de sécurité ....exceptionnelles..... seront prises pour éviter le détournement de filière et la fuite de résidus radio-actifs pour alimenter un terrorisme d'un genre nouveau.
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En 2009 se tiendra une conférence sur le racisme et la xénophobie, sur le format de celle de Durban en 2001 qui s'était déshonorée par ses manifestations antisémites
Le nouveau Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU, qui remplace l'ancien Comité, s'est déjà distingué: il n'a pratiquement émis de motion que contre Israël.
Dans le groupe qui prépare la conférence, le jeu est mené par les valeureux défenseurs des droits de l'homme que sont l'Iran, Cuba et la Libye qui assure la présidence. Nous savons donc que ce qui sortira de ce colloque sera une reprise de 2001.
De qui se moque-t-on? Laisserons--nous des dictateurs nous imposer leur vision des Droits de l'Homme, sous prétexte que l'ONU a des majorités automatiques? A quoi bon clamer alors des valeurs que nous ne savons pas défendre?
Les diplomates avant Durban s'étaient opposés à la politique de la chaise vide: ils n'ont rien évité. La France va bientôt présider l'Union Européenne. Si les perspectives ne changent pas, les Etats européens ne peuvent pas rester dans ce Conseil et se prêter à cette nouvelle mascarade.
Je rêve au jour où Ayaan Hirsi Ali et Taslima Nasreen, recevront un prix des Droits de l'Homme de l'ONU et où elles iront le chercher sans gardes du corps.
Monsieur le Président de la République, j'étais dans votre bureau le matin de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien: j'ai admiré votre énergie. Mais quand le responsable de ce crime et d'autres, est venu pontifier en France pendant sa visite, j'ai été choqué. Je ne suis pas naïf. Je sais que les mots sont faciles et que l'action politique a ses contraintes.
Mais à fréquenter l'infréquentable ne risque-t-on pas de concilier l'inconciliable?
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Vous attachez une importance particulière à l'Union pour la Méditerranée, la communauté juive est particulièrement sensible à ce beau projet.
Les Juifs ont vécu en Afrique du Nord 1000 ans avant la conquête arabe. Les pays qui revendiquent de la France la repentance au nom de la mémoire seraient bien inspirés de ne pas effacer toute mémoire de la présence juive.
Certains voudraient engager cette union sans inclure Israël: nous savons que pour vous c'est inacceptable. Nous avons vu avec la francophonie, où on espérait que l'admission d'Israël aurait lieu plus tard, que plus tard se prolonge sans fin, lorsque les blocages systématiques se déclenchent.


Dans l'avion vers Washington, je vous ai entendu décrire avec des mots simples et respectueux votre rencontre difficile avec les marins pêcheurs du Guilvinec. J'ai senti la difficulté de votre charge et votre volonté de prendre à bras le corps ce pays qui est le nôtre, la France.
La France de Condorcet et de l'Abbé Grégoire, de Hugo et de Péguy, de Dreyfus et de Zola, de Jean Moulin et de Pierre Brossolette, de Félix Eboué et de Missak Manouchian, du père Benoit et du pasteur Trocmé, de Léon Blum et de René Cassin, du général de Gaulle et de Pierre Mendès France, cette France qui transcende les origines et les croyances religieuses, qui exalte la liberté, le courage et l'ouverture à autrui: c'est le vrai trésor dont nous avons tous la garde, vous en premier lieu, Monsieur le Président de la République, et la communauté juive à l'unisson de la nation.
Merci

Photo : © 2008 Erez Lichtfeld