Tribune
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Publié le 26 Février 2008

Les attentats suicides ne sont pas suicidaires

Le malheur du monde est suffisamment grand pour que ceux qui le commentent ne se trompent pas de mots afin de pouvoir en dire la réalité. Comment peut-on continuer à qualifier de « suicide » ces attentats commis par hommes-bombes qui se font sauter pour tuer le plus grand nombre? Il n’y a pas l’ombre d’un désespoir suicidaire dans ces gestes mais au contraire une exaltation morbide, une jubilation sensée ouvrir les voies du paradis dans le fait de donner la mort en y perdant la vie. Or qu’est ce qu’évoque le mot « suicide » sinon le passage à l’acte de celui qui par désespoir ne supporte plus sa vie et préfère la quitter en se donnant la mort. Le suicidé attire la compassion de son entourage, il attire la sympathie culpabilisée de ceux qui n’ont su que faire pour l’aider à vivre. Tout ce registre d’attitudes et de sentiments fonctionne dans un monde qui cherche à protéger la vie et ne propose pas le salut par la mort d’autrui. Si le mot « civilisation » a un sens c’est bien ce qui distingue le choix de la vie du choix de la mort. « Nous chérissons la mort autant que les américains aiment la vie » semble constituer la matrice philosophique des Hezbollah, Hamas et autres GIA. La mise en pratique de ce principe abominable fascine cet Occident avide de gore autant que d’humanitaire. Réduits à n’être qu’un spectacle télévisuel de plus, ces massacres banalisent l’horreur qui ne trouve d’autres dénomination, dans nos catégories culturelles, que celle d’ « attentats suicides ».


La « bombe humaine » ne constitue pas seulement une arme de destruction. Nommée « attentat suicide » en Occident, elle peut susciter de la compassion pour son auteur dans une lecture sommaire du geste. La stratégie apocalyptique présente un double avantage : elle terrorise autant qu’elle culpabilise. Elle engendre chez ceux qu’elle vise un doute déstabilisateur. Quel désespoir peut conduire à de tels actes ? Elle transforme la victime en coupable. Elle amène les victimes à s’interroger sur la raison de la haine dont elles sont l’objet. Comment un sacrifice de soi, peut-il être accompli sans de bonnes raisons de le faire ? La victime vient à considérer que la bombe humaine pourrait être autre chose que le geste apocalyptique d’un terroriste fanatisé. « Si ces gens font le sacrifice de leur vie, peut être ont-ils de bonnes raisons de nous haïr ? » Or il n’y a aucune pertinence pour cette interrogation. Quand le journal télévisé commente en ces termes l’attentat de Dimona : « il a fait trois victimes, dont deux kamikazes » ce propos met sur le même plan l’assassin et sa victime. Bien sur, où avais je la tête, dans le cas d’Israël, les terroristes sont des « activistes »…
La bombe humaine est le moyen et la fin. Elle est emblématique de la vision du monde de l’islamisme. L’apocalypse fait partie de son projet. Le registre psychologique du tueur est radicalement différent de celui qu’il va tuer. Il n’y a ni désespoir, ni pitié, ni douleur pour celui qui va se faire exploser mais bien plutôt une jubilation mortifère ouvrant les portes du paradis. Sur quels ressorts psychiques (ressentiment, refoulement, détournement pulsionnel) s’appuient les projets totalitaires ? Pourquoi séduisent-ils ? Comme le fascisme avant lui et comme le nazisme ou le communisme, le totalitarisme, ici islamiste, propose une vision globale du monde. Hors d’elle et quel qu’en soit le prix, point de salut. La religion a déjà en son temps, en Europe, fait la preuve de son talent à brûler vif au nom de la foi, à couper des têtes ou à torturer au nom de la Sainte Inquisition. L’idéologie révolutionnaire a agi de même pour construire l’homme nouveau. De Saint Just en Béria, de la prison du Temple à la Loubianka, la Terreur sans dieu ressemblait fort dans ses méthodes à celle qui invoquait dieu dans ses jugements. Avec l’islamisme, c’est un aboutissement encore plus féroce qui s’annonce : hormis la décapitation ou la lapidation des apostats, des homosexuels, des femmes infidèles, des juifs et des croisés, dieu ajoute le sacrifice de ses enfants pour arriver à ses fins. Pendant la guerre Iran Irak des milliers d’enfants iraniens furent envoyés sur les lignes de front pour faire exploser les mines irakiennes qui freinaient les offensives. Tous portaient autour du cou une petite clef en plastique sensée leur ouvrir les portes du paradis. La bombe humaine participe de la même logique.
Le matin du 11 septembre 2001, 19 hommes connaissaient le jour de leur mort programmée. Aucun d'eux n'a manifesté l'ombre d'une hésitation, d'une défaillance comportementale. Leurs sacs contenaient des cutters car “il te faut aiguiser le couteau et ne pas faire souffrir l'animal que tu abats”. Cette consigne hallucinante faisait partie de la "feuille de route", trouvée en cinq exemplaires, appartenant aux terroristes. Elle révèle leur conditionnement psychologique et leur isolement sectaire du monde. “Ne croyez pas que ceux qui sont tués pour l'amour de Dieu sont morts. Ils sont vivants… Sache que les jardins et les femmes du paradis t'attendent dans toute leur beauté. Elles sont parées de leurs plus beaux atours… Si Dieu décide que certains d'entre vous doivent se livrer au carnage, vous dédierez ce carnage à vos pères… Fais le serment de mourir et renouvelle ton intention. Rase ton corps et passe-le à l'eau de Cologne. Douche-toi…. Quand l'affrontement commencera crie "Allah Akbar", car ces mots saisissent d'effroi le cœur de ceux qui ne croient pas”.
Nommer ces gestes abominables des « suicides » c’est entrer dans le jeu du terrorisme, c’est lui trouver des alibis. Le sens de « la dignité humaine », la « certaine place de l’homme dans l’univers » vus par Mahmoud Ahmadinejad doivent d’urgence être dénoncés, au nom de l’idée de civilisation. Cette version du jihad qui conditionne et fabrique, souvent à partir d’adolescents, d’enfants, de femmes ou de malades mentaux, des futures bombes humaines, relève de la notion de crime contre l’humanité.
Jacques Tarnero