En septembre 1939, lorsque la Guerre éclate, Charles Pollak a onze ans. Jusqu’ici, la vie s’écoule tranquille, entouré de son père, Eugène dit Apou, modeste tailleur juif d’origine hongroise spécialisé dans le gilet, sa mère Mindel alias Anyouka, son frère et ses sœurs
Pour Charles, la vie, c’est les copains du quartier, les bandes dessinées, de Mandrake à Bibi Fricotin en passant par Félix le Chat, , le cinéma au Gaumont-Palace, les tablettes de chocolat Menier, les bonbons de la boulangère et les livraisons occasionnelles à Monsieur Rosenfeld, maître-tailleur ayant, lui, pignon sur rue dans les beaux quartiers. Au fur et à mesure de la promotion professionnelle du tailleur, la famille passe de Belleville à Montmartre
Chez les Pollak, on parle yiddish, on respecte la religion et Charles est tenu de ne jamais se séparer de son béret. Le samedi, toute la famille se retrouve à la shule de la rue Doudeauville. Charles est inscrit à Lucien-de-Hirsch, avenue Secrétan.
Lorsque les bruits de bottes se font menaçants, les élèves de l’école juive, par prudence, sont transférés à Villers-sur-Mer. Puis, la Normandie devenant incertaine, c’est Dinard avant un retour risqué à Paris.
L’étoile jaune, les cartes d’identité estampillées « Juif », les affiches « Lissac n’est pas Isaac », l’atmosphère, dans Paris occupé devient délétère. La famille, peu à peu, rejoint Feuquières un bourg de 1700 âmes en baie de Somme.
Et là, l’incroyable va se produire. Logée à quelques mètres de la Kommandantur, côtoyant au quotidien, officiers et soldats allemands, la famille Pollak, grâce à la complicité et à la discrétion du maire et de ses administrés, grâce aussi à de faux papiers, va se faire passer pour une bonne famille catholique hongroise. On a peine à croire à ces récits hallucinants de Juifs hongrois cohabitant avec une garnison allemande au point de conserver dans un tiroir la photo du Feldwebel Max en tenue d’apparat. Ce qui n’empêche pas Madame Pollak, à l’occasion, de marmonner, en hongrois, à l’intention de ses hôtes et clients forcés, quelques injures bien ciblées. « Tu n’es pas mauvais, toi, et je regrette de te dire ça, mais si tous les nazis de la terre pouvaient rôtir dans leur propre graisse et laisser le monde de paix !… ». Ou Charles de jouer L’Hatikva au piano devant un soldat allemand croyant apprécier une version de La Moldau de Smetana. Quand au ménage de Pessah, on le fait passer pour un grand nettoyage de printemps.
Cette « Goy attitude » ne va pas sans compromissions. La famille participe aux messes tout en évitant de recevoir l’hostie (« On resta immobiles devant nos prie-Dieu, en priant pour que personne ne remarque qu’on n’était pas allés avaler le plâtre ou la viande séchée… », à la procession de Pentecôte, à la distribution d’images pieuses. La frontière entre la religion d’origine et la religion simulée s’estompe. « J’ai aussi fait une prière en silence, mais impossible de me rappeler dans quelle religion c’était ».
Il faudra attendre la Libération pour retrouver la mamelachen, le yiddish, par le biais d’un jeune soldat juif canadien.
« On se serrait tous les cinq, et on savait. On savait que maintenant on était sauvés, vraiment sauvés. Que c’était fini. On pouvait redevenir des Juifs, et le dire.
Un livre alerte et original.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Médium. L’Ecole des Loisirs. Mai 2007. 266 pages. 9,80 euros