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Publié le 31 Janvier 2008

Le jour où Théo Klein a invité le Président au dîner du CRIF

« Je suis né dans le chaudron, je m’y sens bien ; je n’en suis pas sorti, et je me suis toujours senti juif » a déclaré Théo Klein à la newsletter du CRIF.


L’ancien président du CRIF (1983-89) vient de publier « Une manière d’être juif », un livre de conversations avec Jean Bothorel. Il y raconte son parcours de vie et dévoile ses analyses sur le judaïsme, l’antisémitisme et Israël, qui feront hurler certains, et seront appréciés par d’autres. Sabine Roitman, l’ancienne directrice de la communication de Théo Klein, note à juste titre dans la dernière livraison de l’Arche : « Rarement, ces dernières années, une personnalité juive aura été aussi admirée pour ses prises de positions… et autant vilipendée pour d’autres, qui ne traduisaient pas le sentiment du noyau communautaire juif ».
À 88 ans, Théo Klein rappelle « J’ai étudié dans une école juive ; j’ai été un scout juif ; un résistant juif ; un étudiant juif et un dirigeant juif. J’ai toujours été dans la vie juive ».
Né à Paris le 25 juin 1920 dans le 10ème arrondissement de Paris, Théo Klein, petit-fils du grand rabbin du Haut-Rhin, fréquentait la « schul » de la rue Cadet. Il deviendra plus tard l’un des premiers élèves de l’école juive Maïmonide.
Membre des Eclaireurs et Eclaireuses Israélites de France, Théo Klein entre dans la clandestinité en 1942 et s’implique dans le sauvetage des enfants juifs.
Au sortir de la guerre, Théo Klein devient l’un des premiers présidents de l’Union des Etudiants Juifs de France. Il s’engage dans la vie professionnelle, qui l’amènera à ouvrir un grand cabinet d’avocats, dans lequel il a toujours son bureau, avenue des Champs-Élysées.
En 1967, le colonel Nasser menace Israël, la radio égyptienne diffuse des chansons qui parlent de jeter les juifs à la mer. Vingt-deux ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, les juifs du monde entier sont angoissés par la peur de perdre Israël. Le CRIF « moribond » est incapable de répondre à l’exigence des juifs de s’organiser.


Guy de Rothschild, préside alors le FSJU, l’organisation la plus structurée. Il demande à Théo Klein d’animer le comité de coordination des organisations juives, qui met en place, entre autres, la première manifestation pour l’Etat juif, devant l’ambassade d’Israël. À l’époque, l’opinion publique française est très largement pro-israélienne. Le comité de coordination accompagne la naissance de la prise de conscience politique des juifs de France. Il organise l’action de solidarité et les collectes de fond. Mais déjà, certains se méfient de Théo Klein : « J’ai toujours été considéré comme quelqu’un de dangereux. J’ai la double nationalité : française et israélienne, celle-là acquise dans les années 60, et je parle l’hébreu ». De plus, on lui reproche à l’époque d’être un militant de RAFI, le parti fondé par David Ben-Gourion avec Moshé Dayan et Shimon Peres en désaccord avec le MAPAI, le parti socialiste au pouvoir en Israël depuis 1948.
En 1969, Ady Steg est sollicité pour prendre la présidence du CRIF, « reconstitué » qui se substitue au comité de coordination. Le professeur de médecine n’accepte cette proposition qu’à condition d’avoir à ses côtés Jean-Paul Elkan, président du Consistoire de Paris et Théo Klein. Ils forment un triumvirat qui se réunit régulièrement au centre communautaire du boulevard Poissonnière avec Pierre Kauffmann, le directeur du CRIF, qui fait « l’essentiel du travail ».
Vice-président du CRIF, Théo Klein n’est pas vraiment satisfait de ce Conseil, qui se contente de publier un communiqué de temps à autre. Il démissionne en janvier 1974, quelques mois après la guerre de Kippour, au terme d’une assemblée générale de « pure folie communautaire ». Théo Klein est « révulsé » par les propos de deux responsables du CRIF, qui estiment qu’ « on est en 38 ». Théo Klein écrit à Ady Steg pour lui dire qu’il ne peut pas continuer après « ces propos aussi peu sérieux ».
Théo Klein prend du champ. Il préside le CDIM, qui devient en 1977, le CIDIM, le Centre d’Information et de documentation Israël et le Moyen-Orient, dont les deux directeurs sont pour le secteur documentation, Kurt Niedermayer et pour le secteur information, l’auteur de ces lignes.
En 1983, le CRIF fait la révolution. Il se dote de statuts qui stipulent que son président sera élu par l’assemblée générale pour un mandat de trois ans avec la possibilité d’un second mandat. Jusqu’alors, le président du CRIF était statutairement le président du Consistoire central ou une personnalité désignée par lui.
Alain de Rothschild vient de décéder. Jean-Paul Elkan, président du Consistoire central assure l’intérim. Malgré le conseil de celui-ci, Théo Klein décide de se présenter. Il désoriente, voire scandalise en publiant son programme dans Tribune juive du 17 décembre 1982. Sous le titre « le CRIF pour quoi faire ? », Théo Klein plaide pour que la communauté juive de France se dote d’ « une politique qui exprime pleinement sa solidarité avec Israël, son peuple et ceux que son système démocratique a mis à sa tête ». Il se prononce pour « une solidarité active, intelligente, qui doit se traduire par un dialogue permanent, ouvert, loyal et franc avec les Israéliens ». Théo Klein est présenté à l’élection présidentielle par l’ARJ, les anciens de la résistance juive, dont il a été le président.
Emeric Deutsch, décide de se présenter, lui aussi à la présidence du CRIF. Une dizaine de jours avant l’élection, Jean-Paul Elkan décide à son tour de briguer la présidence.
Lors de l’assemblée générale, Théo Klein arrive en tête avec trente-six voix. Un deuxième tour est nécessaire, puisque l’avocat n’a pas la majorité absolue. Emeric Deutsch se désiste en sa faveur. Les électeurs refusent de suivre Jean-Paul Elkan qui recommande que Théo Klein soit élu par acclamation. Désavoué, il quitte la réunion et c’est Ady Steg qui prend la présidence de séance. Théo Klein n’obtient toujours pas la majorité absolue. Il faudra un troisième tour, pour qu’il soit élu à la majorité relative. Un vice-président annonce : « C’est la fin du CRIF ».
Le lendemain, Théo Klein inspire un nouveau style en organisant une conférence de presse. Il déclare que « le CRIF n’est pas la succursale de l’ambassade d’Israël ». Mais il ajoute aussi : « Les Juifs français sont des citoyens français qui en tant que tels participent à toutes les élections et ont donc une influence directe sur la composition du Parlement et donc sur le gouvernement français. Mais les Juifs français ne participent pas aux élections israéliennes et ils n’ont donc pas la même position dans la vie politique du pays. Pour ceux que ces propos choqueraient, j’ajouterai que chaque juif français est à même grâce à la loi sur le Retour de devenir Israélien en s’installant en Israël et de participer alors immédiatement et pleinement à la vie politique de ce pays ».
Européen convaincu, Théo Klein fonde en 1986 le Congrès juif européen, dont il devient le premier président. Il y fait adhérer le CRIF, ce qui entraîne aussitôt le départ du Consistoire central. Mais il n’obtient pas pour autant un soutien enthousiaste pour mener à bien sa mission.
En 1985, Théo Klein décide d’agrandir la visibilité du CRIF en fondant le dîner du CRIF, qui va devenir le grand rendez-vous annuel entre la communauté juive et la République. Chaque année, à la veille de l’assemblée générale d’automne, sera organisé un dialogue avec le Premier ministre. Lors du premier dîner du CRIF, organisé par Jacqueline Keller, la directrice du CRIF et son assistante Maryvonne Azoulay, Théo Klein apostrophe Laurent Fabius, Premier ministre de François Mitterrand, qui a décidé de modifier le système électoral en vue des législatives de 1986 : « En introduisant la proportionnelle, vous allez légitimer le Front national ». Aux élections de mars 1986, le PS perd la majorité au profit du RPR et de l’UDF. Le FN fait son entrée à l’Assemblée nationale avec trente-quatre députés. C’est la première cohabitation.


Lors du troisième dîner du CRIF, le 7 novembre 1987, Théo Klein annonce dans son discours, devant le Premier ministre Jacques Chirac que l’invité du dîner de 1988 sera… le président de la République, François Mitterrand. « En l’invitant, nous voudrions rendre hommage à celui qui après trente-cinq ans d’une incroyable abstention, sera venu, le premier, au nom de la France, parler à la Knesset, à Jérusalem, au cœur même du peuple d’Israël ».
François Mitterrand ne viendra pas l’année suivante, année de sa réélection. « Il nous a fait savoir qu’il pensait que ce n’était pas sa place », indique Théo Klein à la newsletter du CRIF.
Théo Klein est l’invité personnel de François Mitterrand lors de son premier voyage en tant que président de la République en URSS en juin 1984. Le chef d’Etat soulèvera la question des juifs d’URSS à Kremlin.
En février 1986, la communauté juive de Belgique apprend qu’une douzaine de carmélites se sont installées sur le site du camp d’Auschwitz pour ouvrir un couvent. « Elles allaient christianiser » la Shoah, constate Théo Klein, qui prend l’initiative de négociations avec l’Eglise. Il est soutenu par le grand rabbin de France. Le 22 février 1987, une déclaration commune est signée. Elle stipule qu’ « Auschwitz demeurera éternellement le lieu symbolique de la Shoah », et l’Eglise dont les cardinaux Albert Decourtray et Jean-Marie Lustiger sont les principaux négociateurs, s’engage à transférer le couvent hors de l’enceinte du camp d’Auschwitz. Ce qui ne se fera pas tout de suite.
La présidence de Théo Klein est aussi marquée par l’invitation faite par François Mitterrand à Yasser Arafat, de se rendre à Paris en mai 1989. Théo Klein est chahuté lors de la manifestation organisée par des organisations juives à Paris et ne parvient pas à terminer son discours. Peu de temps avant la fin de son deuxième mandat, il publie : « Deux vérités en face », un livre écrit avec Hamadi Essid, le représentant à Paris de la ligue arabe.
Quand il évoque « ses années du CRIF », de 1983 à 1989, Théo Klein déclare : « J’ai été un président qui me suis comporté comme un chef d’entreprise, bien sur sous le contrôle des instances ». Avec malice, il ajoute : « J’ai pris une part de liberté et de responsabilité dans ce cadre ».
L’histoire retiendra que Théo Klein, premier président élu du CRIF, l’a fait changer d’époque. Il en a fait une organisation incontournable dans la vie politique, plus visible dans les médias et plus forte dans la communauté. Comme le notait Sabine Roitman, « Théo Klein a laissé une empreinte indélébile au CRIF, au fonctionnement duquel il a donné un caractère fortement présidentiel traçant ainsi un chemin repris ensuite par tous ses successeurs ».
HAIM MUSICANT