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Publié le 10 Décembre 2007

Bordeaux. Mon album Par Richard Zéboulon (*)

Richard Zéboulon est un touche-à-tout génial. Photographe de talent, cinéaste, écrivain, il est aussi un membre très actif de la communauté juive bordelaise. Ce « Tune » d’origine à qui l’on doit, notamment, deux savoureux recueils d’humour juif (1) et qui est l’auteur du film « Les derniers Juifs d’Alexandrie » récemment projeté au Centre Rachi dans le cadre de la campagne internationale de la JJAC (Justice for Jews from Arab Countries) est aussi un amoureux fou du terroir. Ses somptueux albums sur la Gironde, la Dordogne ou la Charente en témoignent. Il projette aujourd’hui les feux de son objectif passionné sur sa ville d’adoption, Bordeaux.


Car il n’y a pas, à Bordeaux, que les grands monuments connus et répertoriés que le touriste de passage retrouve sur les cartes postales. Pour découvrir des aspects plus originaux et plus étonnants de la belle cité aquitaine, il ne faut pas hésiter à visiter les ruelles méconnues et, surtout, à lever la tête. Comment, sinon, saisir ce médaillon aux ancres de marine, rue Fernand-Phillipart, ce dinosaure qui orne un balcon, rue du docteur Albert-Barraud ou cet Ouroboros, animal marin qui se mord la queue repéré rue des Faussets.
Les grandes religions ne sont pas en reste dans ce parcours initiatique, catholicisme, protestantisme, islam, bahaïsme, culte de Mithra et, plus qu’on ne le croirait, judaïsme.
Voici, par exemple, les fontaines Wallace offertes à la ville par Daniel Iffla dit Osiris, ce même Osiris, grand mécène, qui permit, dans les années trente la construction de la Grande Synagogue de Tunis où une rue porte toujours son nom. Voici encore, sur le fronton de l’hôtel particulier de Louis Francia construit en 1719, rue du Mirail, l’effigie de son fils, Louis-David Francia de Beaufleury, le front frappé d’une étoile de David. Place des Quinconces, sculptée par Domenico Félix Maggesi, la statue de Michel Equeym de Montaigne dans son costume de maire de Bordeaux. Plus loin, dans un jardin public, c’est François Mauriac sculpté par Ossip Zadkine en 1943. En admirant la statue de Marie-Rosalie Bonheur, due à Gaston Leroux (1910) qui se dresse sur la Terrasse du Jardin public, le passant sait-il que celle qu’on appelait Rosa Bonheur, peintre d’animaux et de scènes rustiques, native de Bordeaux, était juive ?
Au 58, cours Victor Hugo, une plaque rappelle que c’est là que naquit, le 21 mai 1841, Catulle Abraham Mendès, auteur hélas oublié de romans érotiques qui fut adopté par Simon Deutz, fils du Grand rabbin de France, Emmanuel Deutz. Catulle Mendès épousa Judith Gautier, fille de Théophile. Zéboulon nous apprend également que c’est lui qui présenta l’occultiste Eliphas Lévi à Victor Hugo.
Grande famille juive bordelaise, venue de Bragance au Portugal, la famille Raba nous a laissé une somptueuse demeure du XVIIIème siècle, l’Hôtel Raba où vivaient huit frères avec leur mère, Luisa Maria Bernarda Sara Henriques-Raba, née à Bragance, en 1712.
Sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, sculptée par Margarida Santos en 1994, voici la statue d’un Juste, Aristides de Sousa-Mendès do Amaral e Abranches, consul du Portugal à Bordeaux, qui pendant la Seconde Guerre mondiale, sauva la vie de milliers de réfugiés juifs.
Au 66, cours de la Martinique, un surprenant balcon en fer forgé s’orne d’une série de Maguen David du plus bel effet.
Construite en 1882, la belle synagogue de Bordeaux, est située rue du Grand rabbin Joseph Cohen, dont peu savent qu’il était natif de Tunisie. Une somptueuse mosaïque en forme de Maguen David en décore le vestibule. A l’étage des femmes, les bancs portent encore les noms d’anciennes occupantes, telles Madame Eugène Moch.
Le plus ancien cimetière juif de la ville, cours de la Marne, fut offert à la communauté par le mécène David Gradis qui l’acheta, le 18 novembre 1728, pour la somme de 6300 livres. Quant à celui situé cours de l’Yser, situé sur une ancienne pièce de vignoble, il fut acquis le 24 septembre 1764 par un certain Fastio. Quelques tombes de personnages juifs célèbres y subsistent : la famille Pereire, la dynastie des Gradis et celle des Raba ou encore Edouard Colonne. A l’entrée, en français et en hébreu, cette inscription : « Dieu fera revivre les morts ».
Au 142, cours Victor Hugo, le siège de la plus ancienne association « israélite » bordelaise, « La Bienfaisance »
A l’angle des rues Maucoudinat et des Bahutiers, un pan coupé d’immeuble s’orne de la représentation de la Samaritaine au puits de Jacob à Naplouse. Les églises et cathédrales de la ville ne sont pas en reste, par ailleurs, de symboles juifs. A l’église Saint-Paul, rue des Ayres, un bois sculpté doré porte, au centre d’un triangle, le tétragramme en lettres hébraïques. Sur le portail nord de la cathédrale Saint-André, l’un des évêques sculptés porte sur le dos de sa main, un étoile de David. Quant au portail méridional de la basilique Saint-Seurin, il exhibe comme à Strasbourg, une jeune fille juive aux yeux bandés par la queue d’un dragon enroulé autour de sa tête, « La Synagogue ».
Rue du Cloître, sur les colonnes de l’entrée d’une maison de la fin du XVIIIème siècle sont gravées d’énigmatiques lettres hébraïques que le professeur Paul Fenton analyse comme un message codé, peut-être maçonnique.
L’ouvrage s’achève sur une sélection de « Têtes de gondoles », car, nous dit Richard Zéboulon, « Bordeaux n’est pas qu’en pierre, c’est aussi Paul et Jacques et les autres… » Parmi eux, l’homme d’affaire bordelais, Michel Ohayon, Michel Slitinsky, le pourfendeur de Maurice Papon et le violoniste Samuel Nemtanu, fils de son père, Adrian et de sa mère, Judith, cousin de Sarah et de Déborah, tous les quatre également violonistes.
Un très bel album.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Cairn, Pau, 2007, 132 pages, grand format. 29 euros
(1) Petite anthologie de l’humour juif. Opus 1. Blagues. Editions Le Bord de l’Eau. 2005. Petite anthologie de l’humour juif. Opus 2. Citations. Editions Le Bord de l’Eau. 2006.