Le président du CRIF a suivi le voyage du Pape en Israël, qui fait des déclarations remarquables, mais a raté la visite au mémorial de Yad Vashem car « il ne veut pas prendre à bras le corps l’histoire et ses horreurs ».
Richard Prasquier, quel est le bilan que vous faites du voyage du Pape en Israël? Pensez-vous comme le rabbin David Rosen, qui a fait la comparaison avec le pèlerinage de Jean-Paul II, que la "deuxième fois, ce n'est jamais aussi bien" ?
La visite de Jean Paul II avait été perçue comme un événement inouï, véritablement transformateur au regard de l'histoire. La deuxième visite d'un Pape ne pouvait plus avoir ce caractère d'extraordinaire nouveauté. De plus, la visite de Jean Paul II survenait après plusieurs gestes forts vis-à-vis du monde juif, alors que celle de Benoit XVI a lieu après plusieurs affaires qui ont crée des tensions et de l'incompréhension. En outre, lorsque Jean Paul II est venu, le climat politique dans la région, restait encore relativement optimiste: c'était en mars 2000, avant l'Intifada et le 11 septembre.
C'est loin d'être le cas aujourd'hui, et personne n'imagine que la visite du Pape, qui ne l'oublions pas est avant tout un pèlerinage sur les pas de Jésus, puisse changer quoi que ce soit.
Enfin, les personnalités des deux Papes sont si différentes.......
Vous avez entendu le discours du Pape à Yad Vashem. A t--il répondu à vos attentes?
Non. Apres le discours décevant de Birkenau, il y a trois ans, Benoit XVI a échoué une deuxième fois. J'espérais qu’il prononcerait enfin le grand discours, non pas de repentance - elle a déjà été exprimée - mais de réflexion, non seulement spirituelle, mais historique et éthique sur ce trou noir de la condition humaine qu'a été la Shoah.
Au lieu de cela, nous avons eu un discours sur l'étymologie de Yad Vashem, la signification du nom d'une personne et le rappel des bienfaits divins.
Je pense que Benoit XVI ne veut pas prendre à bras le corps le temps, l'histoire et ses horreurs pour rester dans une dimension purement spirituelle, mais de ce fait désincarnée. Je note que d'autres responsables religieux, y compris dans le judaïsme, ont cette même réserve vis-à-vis de la Shoah.
Cela dit, il y a dans les autres discours du Pape, beaucoup d'éléments remarquables, qui témoignent des liens entre l'Eglise catholique et le judaïsme (discours du Mont Nébo en Jordanie), de la gravité de l'antisémitisme dans le monde (discours de l'aéroport Ben Gourion) et du caractère inacceptable du dévoiement du religieux pour des objectifs politiques en instrumentalisant la violence (Amman).
Nous attendons les discours suivants : Bethleem, Nazareth..
Pensez-vous que le Shass a eu raison de boycotter la visite du Pape?
Cette réaction est pour moi incompréhensible. Comment voulez-vous dialoguer, s'il n'y a pas un minimum d'ouverture, ou même de politesse? Il y a toujours le moyen d'exprimer ses désaccords dans un cadre non humiliant.
D'une façon générale, comment a été perçu le voyage du Pape par l'opinion publique israélienne?
Sans enthousiasme particulier. Les affaires de la béatification de Pie XII et de Williamson sont passées par là. Plusieurs survivants ont refusé l'invitation de Yad Vashem de participer à la cérémonie. Et le reste de la société israélienne se sent assez peu concerné.
Après ce voyage, pensez-vous que le dialogue judéo-catholique sort renforcé?
D'abord, ce voyage n'est nullement terminé.
La journée d'aujourd’hui, mercredi 13 mai , est particulièrement importante et délicate : elle est sous le contrôle de l'autorité palestinienne. La journée de demain en Galilée devra être suivie avec soin. Le bilan sera fait ensuite.
Aujourd'hui le dialogue doit surtout se renforcer au niveau local. Au niveau du Vatican, il y a bien entendu la défense de Nostra Aetate, la lutte contre le négationnisme et la lumière sur l'action de Pie XII pendant et après la guerre. Ce dernier sujet n'a pas été traité, comme on pouvait s'y attendre au cours de la visite du Pape.
Le "trialogue" avec les musulmans a pris un coup très dur avec le discours inattendu et extrêmement violent du cheikh Al Tamimi au cours de la réunion interreligieuse de Notre Dame, lundi 11 mai. Cet homme était considéré par certains comme modéré, alors qu'il avait déclaré dans le passé qu'un musulman vendant sa terre a un juif méritait la mort. Il est -était?- le correspondant musulman dans les instances interreligieuses, ce qui montre la limite de celles-ci lorsque la situation est difficile.