Jean Pierre Allali

Membre du Bureau Exécutif du CRIF, Jean-Pierre Allali préside la Commission des Relations avec les Syndicats, les ONG et le Monde Associatif.

Lectures de Jean-Pierre Allali – Les habitués du temps suspendu, par Rebecca Benhamou

27 Mars 2024 | 75 vue(s)
Catégorie(s) :
Opinion

Le 23 juin dernier, l’Union des étudiants juifs de France a célébré son 70e anniversaire à l’Hôtel de Ville de Paris. Magie des réseaux sociaux, j’ai vécu à distance cette soirée avec enthousiasme et frustration. L’occasion pour moi de replonger dans mes années Uejf.

Comme chaque été, de nombreux juifs ont décidé de quitter la France pour s’installer en Israël. On parle de 8000 à 10 000 pour l’ensemble de l’année 2015. J’ai moi-même fait ce choix en 2013  et pourtant j’ai, plus que jamais, envie de parler de ceux qui restent. 

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Ce dernier détaille ici les multiples racines de l’antisémitisme, qui a explosé en France à partir de l’année 2000 et la première « intifada ». Et qui s’est fortement aggravé tout au long de l’année dernière. Marc Knobel évoque notamment l’origine idéologique – soulignée et étudiée par le philosophe et chercheur Pierre-André Tagguief – d’un antisémitisme qui découle d’un antisionisme extrême, lui-même alimenté depuis longtemps par les tenants de l’islamisme radical. Extrême gauche et extrême droite française en passant par « Dieudonné and Co » sont aussi, historiquement et actuellement, parmi les premiers diffuseurs de la haine antisémite en France. Description et analyse en huit points.

Partout en France, des crayons, des stylos et des feutres ont été brandis, les seules armes du courage et de la liberté contre d'autres armes qui tuent, qui souillent, qui meurtrissent à tout jamais.

Pages

Les habitués du temps suspendu, par Rebecca Benhamou (*)

 

Voici un ouvrage émouvant qui baigne tout entier dans la « Nostalgérie », la nostalgie de l’Algérie d’antan, celle où vivait une importante et dynamique communauté juive.

« Le temps suspendu », c’est un bistro parisien, tenu par Julien et situé dans le quartier de Port-Royal, où se retrouvent, pour partager un café ou une boisson, les « habitués ». Parmi eux, le vieux Salomon, 90 ans en 2013, horloger-rhabilleur à la retraite et la belle Lila, musicienne, férue de Bach, toujours accompagnée de son violoncelle. Tous deux sont originaires de La Radieuse et, au fil des pages, Salomon livre ses souvenirs du bon vieux temps à sa jeune admiratrice.

La Radieuse, l’auteure ne le dit pas, c’est Oran, la cité aux deux lions, celle où, dans les années cinquante, avant l’indépendance de l’Algérie, les Juifs étaient nombreux et les synagogues emplies de fidèles. De nos jours, plus aucun Juif n’habite La Radieuse. En 1972, le gouvernement algérien a confisqué les dix-sept lieux de culte hébraïque et la grande synagogue d’Oran est devenue la mosquée Abdellah Ben Salem, du nom – ironie de l’Histoire – d’un Juif de Médine, converti à l’islam et qui fut un compagnon de Mahomet.

Le héros de ce roman, Salomon Zimra, fils de David, reçut en cadeau de son père, à l’occasion de sa bar-mitsvah, en 1936, une ravissante montre à gousset qui avait appartenu à son grand-père, Élie. Dès lors, sa voie était toute tracée. Il serait horloger comme son père, David, qui, à l’époque de la Première Guerre mondiale, à laquelle il participa, était très proche de Youssef Benaidrene, un paysan musulman.

Et David épousa Émilie, qui, plus tard mourra tragiquement ainsi que son fils Isaac tandis que Youssef se maria avec Noûr. Les deux épouses tombèrent enceintes presqu’en même temps. Émilie donna le jour à Salomon et Noûr à Nahel. Hélas, elle ne survivra pas à son accouchement. Et c’est Émilie qui allaitera le bébé orphelin.

Élevés comme deux frères, Salomon et Nahel vont encore plus se rapprocher quand Youssef disparaîtra mystérieusement. David adoptera Nahel et le choiera parfois plus que Salomon, ce qui entraînera des jalousies.

Autour de Salomon et de Nahel, on retrouve Milo, Karcenty, Zouaoui dit Zouzou, Djerrah, Louison ou encore le père Lasserre. C’est le temps de la Seconde Guerre mondiale, de la bataille de Monte-Cassino en Italie, et de l’internement cauchemardesque dans un camp vichyste.

Après la guerre, cest une autre période qui commence avec les velléités d’indépendance de l’Algérie. Nahel, désormais policier, aide discrètement les indépendantistes. Les exactions de l’OAS font penser à celles du FLN.

Pour les Juifs, souvent victimes collatérales du conflit franco-algérien, il n’y a plus qu’une seule issue, l’exil.

Salomon, qui a épousé Sol, aura plusieurs enfants. Les Juifs de La Radieuse seront transformés, contre leur gré en « rapatriés ». Il était une fois des Juifs en Algérie. Ya benti !

Ce très beau roman fait partie de la présélection du prix Alexandra Leyris 2022-2023.

 

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Fayard, mars 2022, 360 pages, 20 €

 

 

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