Jean-Pierre Allali
La plus secrète mémoire des hommes, par Mohamed Mbougar Sarr (*)
Une fois n’est pas coutume : le prix Goncourt 2021 a été attribué à un écrivain africain. Né en 1990 au Sénégal, Mohamed Mbougar Sarr vit désormais en France. Dans son roman, il raconte comment, en 2018, un jeune écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye, après avoir découvert un étonnant ouvrage paru en 1938, Le Labyrinthe de l’inhumain, part à la recherche de son mystérieux auteur T.C. Elimane, qui fut, un temps, qualifié de « Rimbaud nègre ». Le Labyrinthe de l’inhumain, un livre qui, nous dit l’auteur, « tenait de la cathédrale et de l’arène ». Un livre qui nous raconte qu’ « À l’origine, il y avait une prophétie et il y avait un Roi ; et la prophétie dit au Roi que la terre lui donnerait le pouvoir absolu mais réclamerait en échange, les cendres des vieillards, ce que le Roi accepta ; il se mit aussitôt à brûler les aînés de son royaume, avant de disperser leurs restes autour de son palais où, bientôt, poussa une forêt, qu’on appela le « labyrinthe de l’inhumain ».
Dirigées par Charles Ellenstein et Thérèse Jacob, les Éditions Gemini ont publié Le Labyrinthe de l’inhumain. Dès lors, en hommage, Elimane Madag Diouf est devenu T.C. Elimane, T comme Thérèse et C comme Charles. Charles et Thérèse forment un couple de Juifs assimilés : « De toutes manières, Ellenstein n’est pas vraiment juif. Il n’a pas de pratique cultuelle. Son intérêt pour la Torah ou le Talmud est limité, et d’ordre strictement intellectuel. Comme Thérèse, son identité juive ne l’obsède pas, son imaginaire ne l’habite pas, il ne la revendique pas et n’y songe presque jamais, bien que le climat antisémite des dernières années l’ait attristé et même indigné ».
La critique s’empare du sujet mais, après les louanges, le doute survient et on parle de plus en plus de plagiat, de pillage littéraire, de mystification. Curieusement, au fil des ans, les auteurs d’articles malintentionnés connaîtront une fin brutale. Elimane serait-il un assassin?
Né en 1915, Elimane, c’est le fils de Mossane. Quant à son père, c’était en principe Cheikh Ousseynou Koumakh. En principe, car un doute subsiste. Mossane, en effet, à l’époque de la naissance d’Elimane, aimait deux frères, Ousseynou et Assane. Et quand Ousseynou partira pour la France métropolitaine afin de défendre le pays en bon tirailleur sénégalais, son jeune frère le remplacera rapidement auprès de Mossane !
Elimane passera la Guerre en France, à Paris puis dans un village des Alpes où il rejoindra la Résistance. Pendant trois ans, il voyagera en Allemagne, au Danemark, en Suède, en Suisse, en Autriche, en Italie avant de rejoindre l’Argentine en 1949. Il chercha à se rendre en Bolivie pour y retrouver Josef Engelmann, un ancien SS qui aurait arrêté et torturé son ami Charles Ellenstein avant de l’envoyer au camp de Compiègne d’où il fut ensuite déporté à Mauthausen.
En 1986, Elimane a regagné le Sénégal où il mourra à l’âge de 102 ans.
Colonialisme, attrait de la France par de nombreux Sénégalais, conflits de civilisations, amour, érotisme….La langue de Sarr est particulièrement belle, recherchée même, avec des phrases parfois étonnamment longues. On se perd ici et là dans certaines digressions mais l’ensemble est tout à fait digne de la récompense obtenue. À découvrir.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Philippe Rey-Jimsaan. Août 2021. 462 pages. 22 €.