Jean-Pierre Allali
À gauche du lit, par Iman Bassalah (*)
Iman Bassalah est une écrivaine et professeure de lettres originaire de Tunisie. Le roman qu’elle nous propose raconte l’idylle hautement improbable, voire impossible, entre deux êtres que tout ou presque sépare. Et pourtant !
Elle, Farrah El Oued, native de Djerba, est la veuve d’un pianiste Italien catholique, Giuseppe Ricci, mort d’une overdose et la mère d’une fillette, Zita qui a été baptisée « pour faire plaisir à sa grand-mère Vicenza ». Musulmane, Farrah, qui n’a pas lu le Coran, est assez éloignée de toute pratique religieuse. « Je ne rejette pas ma part d’Arabe, j’en suis fière, au contraire…Je n’ai jamais préparé un seul couscous de ma vie, ni même un seul plat, si j’y réfléchis bien, parce que je n’avais pas envie de ressembler à une « fatma », comme ils disaient dans les bistrots. Enseignante, elle est professeure au lycée Nelson-Mandela
Lui, Albert Mage est blanc, bourgeois, peut-être d’origine juive à travers un aïeul, Jacob Auriac, orientaliste réputé. Marié plusieurs fois, « serial épouseur », il a une nombreuse descendance. Avocat réputé, il s’est spécialisé dans la défense des terroristes, notamment islamistes. Non sans un certain succès. Il milite également pour le retour en France d’enfants de djihadistes. Il a le double de l’âge de Farrah, très précisément trente-cinq ans de plus qu’elle. Et, pour assombrir le tableau, il a été victime d’un accident vasculaire qui a immobilisé son bras droit. Dès lors, il dort à gauche du lit « conjugal » pour pouvoir caresser sa dulcinée avec son bras valide. D’où le titre de l’ouvrage.
Nombre d’affaires qui ont récemment défrayé la chronique sont évoquées : les crimes de Mohammed Merah à Toulouse, la décapitation de Samuel Paty, les menaces proférées contre la jeune Mila ou encore le cas George Floyd.
On croise plusieurs personnages juifs dans ce roman : un cardiologue, originaire de Djerba, le pharmacien Kabla, des élèves comme Ari, Annie Goldmann et Gisèle Halimi et on évoque Tel Aviv, la ville qui ne dort jamais, la « Bulle », « Ha-Buah », en hébreu et le conflit israélo-palestinien. Et, quand le couple invite des amis à dîner, on prend bien soin de ne pas froisser ceux qui sont juifs en proposant des nourritures interdites.
Un développement intéressant concerne les Noirs de Djerba qui vivent dans la région de Midoun, un sujet que Farrah a choisi de développer devant ses élèves. « Le racisme des Arabes contre les Noirs, je l’ai découvert plus tard… Des aberrations existent encore aujourd’hui : l’état civil djerbien mentionne, sur les documents des Noirs de l’île, « esclave affranchi ». Les cimetières sont aussi séparés, à deux pas des mosquées qui prônent l’égalité pour tous. Les mariages mixtes inexistants… »
Habibi et Habiba, histoire d’une vie. Histoire d’un amour fou. Histoire d’un combat pour parvenir à persuader le monde que les Arabes ne sont pas tous des terroristes en puissance. Très sympathique.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Anne Carrière. Septembre 2021. 368 pages.19,90 €.