Ancien Président du CRIF
Vendredi 14 mai 1948, 16 heures. Dans une salle du Musée de Tel Aviv, David Ben Gourion lit ce qu’on appellera Meguilat Haatsmaout, la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël. Dans quelques heures, il sera le premier chef de gouvernement d’un État juif indépendant depuis Hyrcan II, dernier et médiocre Roi hasmonéen de Judée, il y a 2 000 ans. Le lendemain, 15 mai, un Shabbat, le Haut Commissaire britannique en Palestine, le général Alan Cunnigham, embarquera vers l’Angleterre. Ben Gourion n’ira pas le saluer. Le mandat britannique s’achève dans l’acrimonie réciproque.
Pourtant, quand le premier Haut Commissaire, Sir Herbert Samuel, Juif et sioniste, avait débarqué à Jaffa le 1er juillet 1920, les Juifs présents pleuraient de joie. Quelques semaines plus tard dans la synagogue de Rabbi Yehuda le Hassid, dans la vieille ville de Jérusalem, il avait été appelé (« Yaamod hanasi haelyon ») pour lire au Shabbat qui suit Tisha Beav la Haftara de consolation Nachamu qui assure de la pérennité de la promesse divine…
Mais Herbert Samuel avait déçu. Croyant acheter le soutien du clan hostile al-Husseini, il avait fait nommer grand mufti de Jérusalem le jeune Hadj Amine. Celui-ci, après avoir multiplié à al-Aqsa, à Beyrouth, à Bagdad et à Berlin les appels au meurtre des Juifs, continuait, ce 14 mai 1948 depuis l’Egypte où la diplomatie française l’avait obligeamment transféré, d’empoisonner le monde musulman de sa rhétorique de haine.
Depuis le Livre Blanc, avec l’extraordinaire indifférence au martyre des Juifs que montre le gouvernement travailliste qui a remplacé Churchill une fois la guerre terminée, l’Angleterre est devenue un ennemi du sionisme. Ben Gourion sait que dès le lendemain les troupes jordaniennes commandées par des officiers anglais vont attaquer Jérusalem, et que des soldats de six pays arabes vont déferler sur la Palestine. Dès le 15 mai, Tel Aviv subit une attaque aérienne égyptienne et deux semaines plus tard la Légion arabe conquiert la vieille ville de Jérusalem.
La gouvernance de Ben Gourion se terminera-t-elle de façon aussi déplorable que celle de Hyrcan II ? Rares sont alors ceux qui pensent que les Juifs tiendront, mais Ben Gourion sait que la situation s’améliore, que l’on n’en est plus aux 100 morts juifs hebdomadaires des mois précédents, avec les attaques, favorisées par la mansuétude britannique, des troupes de Fawzi al-Qawuqji dans le Nord et de Abd al-Kader al-Husseini sur la route de Jérusalem. Celle-ci se libère peu à peu, l’offensive de la Hagana gagne du terrain en Galilée et les armes commencent à arriver de Tchécoslovaquie, grâce au blanc-seing de Staline.
Car, aussi incroyable que cela paraisse, le seul des « Grands » du Conseil de Sécurité qui soutienne vraiment la création d’un État juif, c’est l’URSS, qui y voit l’occasion de pénétrer un Moyen-Orient chasse gardée des Anglo Saxons. Raison pour laquelle le Département d’État américain, dans la Guerre Froide qui a officiellement commencé en mars 1947 avec la doctrine Truman, ne veut pas froisser l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran riches de leur pétrole ou l’Egypte où passe le canal de Suez.
Quant au Quai d’Orsay, à l’école de l’islamologue judéophobe Louis Massignon, il voit la France comme le protecteur historique des Lieux Saints et le centre d’une Union française de vingt millions de Musulmans qu’un soutien envers les Juifs risquerait de pousser à la révolte. Le ministre des Affaires étrangères, Georges Bidault, est sensible à cette argumentation.
Mais les sionistes ont aussi des amis en France, souvent mais pas uniquement issus de la résistance socialiste et disciples de Léon Blum. Avec le soutien des autorités locales sont parties des bateaux d’immigrants clandestins dont le plus célèbre, en juillet 1947, fut l’Exodus. Son arrivée à Haïfa après son arraisonnement violent, le débarquement des morts et des blessés sous les yeux effarés des représentants de l’UNSCOP qui enquêtaient sur la situation en Palestine, la détermination farouche des 4 500 passagers, tous rescapés de la Shoah et envoyés dans des camps en Allemagne ont marqué les consciences.
De France aussi est parti un an plus tard, chargé d’armes en direction de l’Irgoun, l’Altalena, auquel Ben Gourion fit livrer un assaut sanglant : il ne devait pas exister de factions en dehors de la nouvelle armée israélienne, qui venait de prendre le nom de Tsahal.
La France, qui avait failli s’abstenir en novembre 1947 lors de la résolution de l’Assemblée générale, sera en pointe sur l’internationalisation de Jérusalem que refusent les Juifs comme les musulmans. Elle ne reconnaîtra Israël de facto qu’en janvier 1949 et de jure quelques mois plus tard.
Les États Unis, en revanche, qui avaient tant hésité à voter en faveur du plan de partage ne prendront que onze minutes après le discours de Ben Gourion pour reconnaître l’État d’Israël : le Président Truman est passé outre aux recommandations attentistes de son Département d’État.
Le texte de la Déclaration d’Indépendance n’a jamais reçu la sanction d’un vote populaire, mais il est une vraie Déclaration des principes de l’État d’Israël et son importance n’a fait que croître dans la période agitée par laquelle passe le pays aujourd’hui.
Il faut souligner son élévation d’esprit et son caractère consensuel, alors que l’éventail des signataires allait des rabbins orthodoxes aux communistes athées (Meir Vilner). Sa préparation s’était faite en plusieurs étapes et certaines formulations proviennent d’un vote longuement discuté.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, il en a été ainsi pour le nom donné au nouvel État : on pouvait hésiter entre Sion, Judée, Herzlie, voire garder le nom de Palestine, le plus courant, mais le plus ambigu…
Vous avez deviné, j’en suis sûr : le choix (à la majorité, pas à l’unanimité…) s’est porté sur le nom d’Israël…
Richard Prasquier, Président d'honneur du Crif
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