Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - Hanoucca ne se limite pas à une fiole d’huile

22 Décembre 2022 | 167 vue(s)
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Opinion

À l’heure de la réconciliation Jérusalem-Ankara, retour sur l’histoire des Juifs de Turquie.

Patricia Sitruk est membre du Comité directeur du Crif

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Le calendrier hébraïque commémore trois sauvetages collectifs. À Pessah, des travailleurs esclaves sont libérés de la servitude, à Pourim, les Juifs sont sauvés de l’extermination, à Hanoucca ils redeviennent une nation indépendante. Pourim a lieu en  diaspora et Hanoucca sur la terre d’Israel.

Le dreidel, la toupie de Hanoucca des enfants ashkenazes, a une lettre gravée sur quatre faces : Noun, Gimel, Hé, Shin: acrostiche de « nes gadol haya sham », « un grand miracle a eu lieu là-bas ». Là-bas, pour le Juif de Pologne, c’était Jérusalem. Sur les dreidels israéliens  le « Shin »  est remplacé par un « Pé » « nes gadol haya po»: « un grand miracle a eu lieu ici ». On ne peut  pas exprimer le sionisme de façon plus synthétique.

Chacun connait l’histoire de la petite fiole d’huile portant le sceau du grand prêtre garantissant sa pureté, qui a suffi à illuminer les branches du candélabre pendant les huit jours d’inauguration (c’est le sens du mot Hanoucca) de l’autel purifié du Temple de Jérusalem. Ce miracle est mentionné  dans un traité du Talmud mais est absent des livres des Macchabées. Ces livres, d’ailleurs, ne font pas partie de la Bible juive, le Tanach, et nous ne les connaissons que par leur version grecque, qui fait partie du canon catholique, la Bible des Septante. Sans elle, nous connaitrions le nom du prêtre Matathias l’Hasmonéen, parce qu’il apparait dans le Talmud, mais peut-être pas celui de ses cinq fils et notamment de Yehouda Maccabi, l’illustre chef militaire de la révolte.

Entre le début de la révolte jusqu’à la prise de Jérusalem par Pompée avec laquelle commence le protectorat romain, en 67 avant l’ère chrétienne, 100 ans se sont déroulés. Mais l’indépendance par rapport aux Séleucides n’a été effective que trente ans après Hanoucca. Les Hasmonéens sont restés assez peu de temps au pouvoir. À leur apogée, ils ont reconstitué les territoires que la Bible attribue à Salomon et n’ont pas hésité d’imposer la circoncision aux populations conquises.

Nous avons sur les Hasmonéens des informations historiques que nous n’avons pas à propos de l’Éxode, de Salomon ou de Pourim, mais les récits dont nous disposons sont tendancieux: l’auteur du premier livre des Macchabées vit dans l’entourage royal et son livre est une commande du pouvoir. Flavius Josèphe, dans les Antiquités grecques, puise aussi son information dans une autre source, qui est elle hostile aux Hasmonéens, l’historien du roi Hérode, l’homme qui a assassiné les derniers membres de la famille. Il en résulte des contradictions dans ses commentaires, d’autant qu’il doit être prudent parlant du sectarisme religieux des Hasmonéens car dans l’entourage de Titus les zélotes, les « kanaim » n’ont pas bonne presse. Quant aux pharisiens à qui on doit le Talmud, ils gardent la mémoire des persécutions du roi hasmonéen Alexandre Jannée. 

Les Hasmonéens se sont aussi proclamés grands prêtres et la rupture de la dualité entre pouvoir religieux et pouvoir politique a aussi peut-être par ailleurs déterminé le terme de Prêtre impie qu’on retrouve dans les écrits de la Mer Morte. 

Les fils de Mathatias  s’étaient soulevés contre les décisions du roi séleucide Antiochos Epiphane qui a cherché à éradiquer par la force les particularismes juifs que ses prédécesseurs avaient soigneusement ménagés jusque-là. Mais il est une personnalité pathologique. L’hellénisme  pouvait s’accommoder de la croyance en un Dieu unique, un de plus dans le panthéon polythéiste. C’est l’attirance des Juifs dans les villes pour le mode de vie grec avec ses gymnases où les hommes se montraient nus et où la circoncision était honteuse, qui faisait courir un risque diffus d’assimilation. 

les rois Hasmonéens, venus au pouvoir à la suite d’une révolte identitaire, se sont beaucoup hellénisés, tout en préservant un cadre religieux qui a servi de matrice au judaisme du futur. Ce faisant, ils ont non seulement provoqué des critiques pour leur violence, mais aussi  pour leur hypocrisie. Cela étant, les premiers Hasmonéens ont une grande lucidité géopolitique en misant sur l’alliance avec Rome, la puissance montante de la Méditerranée, qui venait d’infliger de lourdes défaites aux Séleucides et à leurs alliés Macédoniens.

Il faut  aussi éviter les anachronismes dans l’autre sens. Les fils de Matathias ont lutté pour la liberté des Juifs à exercer leur religion, mais ils ne sont pas des héros de la liberté religieuse. Ils sont les fiers descendants de Pinehas, petit-fils de Aaron, dont l’exemple titille bien des fondamentalistes d’aujourd’hui et dont la paracha qui porte son nom nous indique qu’il n’était pas un homme particulièrement tolérant…

Hanoucca, fête des lumières, s’est chargée au cours des siècles de significations multiples. Ce fut la fête de la victoire contre les oppresseurs, la fête des zélotes nationalistes;  après la destruction du Temple par les Romains elle s’est transformée en symbole de la confiance dans les miracles divins, puis dans les temps modernes elle a porté une sorte d’aspiration à la fraternité par la lumière qui unit les hommes. C’est devenu une fête de la famille et un succédané juif de Noël. Et la volonté de mettre en avant un judaisme visible par le monde, tel que le promeut notamment le Habad, a contribué à rendre les lumières de Hanoucca connues dans le monde non-juif. Mais la création de l’Etat d’Israel lui a redonné sa signification primitive: la fête  de l’indépendance nationale. 

Et c’est pourquoi je suis ému à l’idée que cette année la plus grande Hanoukia d’Europe a été allumée sur la place Maidan de Kiev, en plein black out. Le grand rabbin de la ville, Moshe Azman, a rappelé que l’histoire de Hanoucca contenait des leçons précieuses pour le présent et le maire, Valeri Klitshko, a signalé à l’usage des trolls poutinophiles qui traitent les Ukrainiens de nazis, qu’il n’était pas habituel pour des nazis d’allumer la première bougie de Hanoucca. 

Quant au rabbin de Kharkiv, tout près du front, il a apporté à sa façon sa pierre au combat du peuple ukrainien pour sa liberté, «contre les missiles balistiques, a-t-il dit, nous envoyons les missiles cabalistiques…. »