Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier – Chaim Weizmann

19 Décembre 2024 | 22 vue(s)
Catégorie(s) :
Israël
Portrait de Marc Lévy
Blog du Crif - Une leçon de vie
|
17 Février 2021
Catégorie : Israël, Opinion

Par un enchaînement de hasards, notre bloggueuse Sophie, plus habituée aux sujets de cyber-sécurité et de contre-terrorisme, s'est retrouvée les mains dans la pâte (à pizza). Et ça lui a donné quelques idées plutôt gourmandes... Elle les partage avec vous cet été à travers ces chroniques culinaires ! 

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L’Institut Weizmann est l’un des cinq ou dix plus importants centres de recherche du monde. Son fondateur, Chaim Weizmann, est né il y a 150 ans ; son nom est honoré dans chaque ville d’Israël, mais son image pâtit de la comparaison avec celle de Herzl, Ben Gourion ou Jabotinsky. C’était un homme de science et pas un homme des foules, un homme de diplomatie et pas un homme de combat, mais son rôle dans l’histoire d’Israël est énorme, alors qu’on le cantonne souvent à celui de Premier Président de l’État, une fonction qu’il a exercée pendant quatre ans, jusqu’à sa mort, et dont il regrettait qu’elle ne fût que cérémonielle.

De 1897, où il manqua le premier congrès sioniste à 1952, il a vu son pays d’utopie devenir un État et les fermes d’agrumes de la mochava (village) de Rehovot se transformer en un centre de recherches prestigieux. Dans ces deux évolutions il a joué un rôle clef.

Il est né dans une famille modeste d’un village de Biélorussie, dans une génération marquée par les pogroms. Contrairement à d’autres, comme son contemporain Lev Davidovitch Bronstein, devenu Trotski, qui rejetèrent leur judaïsme pour prôner une révolution socialiste, Weizmann assuma son héritage et s’enthousiasma pour une solution nationale, désormais incarnée par Theodor Herzl, un Juif occidental, ignorant des traditions religieuses mais conscient de la généralisation de l’antisémitisme.

Ayant étudié la chimie en Allemagne et en Suisse, Weizmann obtient un poste à l’Université de Manchester, au centre de l’Empire britannique. Il perfectionna une technique de fermentation bactérienne qui permet de produire de l’acétone. Il avait appris les bases de cette technique dans un laboratoire parisien pastorien. Clin d’œil de l’histoire quand on pense au rôle que la fermentation bactérienne a joué dans l’œuvre de Pasteur et au partenariat actuel entre l’institut Pasteur et l’institut Weizmann.

En tout cas, alors que la fabrication chimique d’acétone était chère et laborieuse, les bactéries du procédé Weizmann la synthétisaient potentiellement en grande quantité à partir de simple amidon végétal.

Or, dans la fabrication de la cordite, l’explosif propulseur de l’armée anglaise, l’acétone est indispensable pour solubiliser la nitrocellulose qui stabilise la nitroglycérine.

La consommation d’obus lors de la guerre des tranchées entraîna en 1915 une crise de production et la nomination d’un homme spontanément favorable au sionisme, Lloyd Georges, comme ministre des munitions. Weizmann, dont le procédé tombait à point pour pallier au manque d’acétone, travailla en collaboration étroite avec le Premier Lord de l’Amirauté, Winston Churchill.

Par ses talents scientifiques, il devint ainsi un contributeur essentiel à l’effort de guerre mais par ses talents diplomatiques un interlocuteur respecté du gouvernement britannique en lutte contre les Turcs au Moyen-Orient.

Arthur Balfour avait en 1906 rencontré à Manchester, Weizmann qui l’avait impressionné en lui expliquant qu’un foyer en Ouganda (proposition britannique à l’exécutif sioniste) était inacceptable pour les Juifs parce que Jérusalem était au centre de leur identité.

En 1917, Lloyd George, alors Premier Ministre et Balfour ministre des Affaires étrangères, agréent à la demande de Weizmann de soutien au sionisme : c’est la déclaration Balfour du 2 novembre suivant laquelle « le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif ».
Un mois plus tard, les troupes britanniques entrent à Jérusalem. En 1920, la Conférence de San Remo intègre la Déclaration Balfour dans le mandat britannique et ses dispositions sont entérinées par la SDN en 1922. Le mouvement sioniste est dès lors un véritable acteur politique et Weizmann en devient le représentant.
Devant cet extraordinaire succès l’homme, prudent et pragmatique, écrit : « Un État ne peut pas être créé par décret, l’État juif deviendra une réalité par les Juifs qui y viendront et le construiront ».

Paradoxalement, le succès  même du yichouv palestinien est un des facteurs du retrait relatif de Weizmann, un bourgeois proche des grands de ce monde, au profit des travailleurs du pays dont David Ben Gourion, président de l’Agence juive depuis 1929, devient l’incarnation. Jabotinsky avait, lui, quitté depuis 1923 l’exécutif sioniste et accusait son ancien ami Weizmann de naïveté sur les relations avec le monde arabe.

Weizmann reste Président de l’Organisation sioniste mondiale en dehors des années 1931 à 1935 où il doit laisser ce poste à Nahum Sokolow. 1930 est l’année où le premier Livre Blanc, du nom de Lord Passfield, manifeste le revirement de l’attitude britannique, un an après la révolte arabe et les massacres de Juifs à Hébron. Weizmann est considéré comme trop favorable aux Anglais et les critiques vont s’aggraver après le Livre blanc de 1939 qui, malgré la gravité de la situation pour les Juifs en Europe, restreint l’immigration à 75 000 personnes sur cinq ans (et en fait l’interdit pour les années suivantes). Weizmann ne parviendra pas à en obtenir l’abrogation par son ami Churchill, et celui-ci, après la guerre, laissera la place à une administration travailliste particulièrement hostile aux sionistes.

Weizmann, bien que souffrant d’un glaucome, fut aux Nations Unies l’avocat efficace d’Israël avant le vote sur le plan de partage du 29 novembre 1947. Il retourne aux États-Unis pour assurer le soutien américain au jeune pays, ce qui n’allait pas de soi. C’est là qu’il se trouve le  jour de la déclaration d’indépendance d’Israël et Ben Gourion lui écrit qu’il sera, tout naturellement, le premier Président du jeune État. Il le deviendra officiellement après son élection par la Knesset en février 1949. À sa mort, le poste sera proposé à son ami Albert Einstein, qui le refusera, plaidant l’incompétence…

Pendant la guerre, le fils et un neveu de Chaim Weizmann s’étaient engagés dans la RAF. Son fils, Michael, disparut au combat, son neveu, Ezer, façonna l’armée de l’air israélienne et devint le 7e président du pays.

L’apport de Chaim Weizmann à Israël ne se limite pas à l’histoire. Président de l’État, il continue de vivre dans son Institut où sa maison, payée sur les revenus de ses propres brevets, construite par le célèbre architecte Erich Mendelsohn, servait depuis 1936 de résidence officielle du mouvement sioniste. C’est là qu’il est enterré.

Fondé en 1934 sous l’égide et la participation scientifique personnelle de Chaim Weizmann, et sous le nom de Daniel Sieff Research Institute, l’Institut Weizmann est une magnifique réussite, un centre de recherche pluridisciplinaire et d’interaction des savoirs dont les conférences à l’occasion de son 90e anniversaire ont permis au public d’effleurer la richesse.
C’est l’autre immense victoire pour l’enfant pauvre du shtetl du fond de la Biélorussie, porté toute sa vie par son idéal sioniste et par la conviction qu’une science d’excellence en était un élément indispensable.

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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