Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Le billet de Richard Prasquier - À propos d'un refus de réponse

31 Août 2023 | 244 vue(s)
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Actualité
 
"La culture est ce qui a fait de l'homme autre chose qu'un accident de l'univers", déclarait André Malraux. C'est pour toutes ses vertus que la culture est grande et qu'elle reste et doit rester un rempart contre l'obscurantisme, le racisme, l'antisémitisme et l'homophobie. De chaque création artistique doit jaillir une lumière. C'est à cela que doit aspirer chacun de ceux qui ont le bonheur de pouvoir créer ou d'interpréter une oeuvre. 

 

"Le terrorisme et l'antisémitisme ont marqué cette année passée"

L’Amitié judéo-chrétienne de France - dont plusieurs militants du Crif sont membres du Comité Directeur - a tenu dimanche 29 janvier son Conseil national, l’occasion pour nous de donner quelques nouvelles du front du dialogue.

Je me suis exprimé sur les enjeux de l'élection présidentielle pour la communauté juive française.

Un livre de Victoria Klem

Suite au vote le 16 décembre 2016 du conseil municipal de Clermont-Ferrand au vœu présenté par les groupes communistes, Front de gauche et Europe écologie, vœu relatif au boycott des produits israéliens fabriqués dans « les territoires palestiniens occupés », le Maire de Clermont-Ferrand a fait paraître dans le journal local la Montagne un communiqué. La présidente du CRIF Auvergne-Rhône- Alpes lui répond…

Au lendemain des déclarations du ministre israélien de la défense, lundi 26 décembre, qualifiant la conférence de paix sur le Proche-Orient qui doit se tenir prochainement à Paris de nouveau « procès Dreyfus », le Crif a condamné des propos « maladroits ».

 
 
 

J'ai répondu aux questions d'Olivier Lerner dimanche 4 décembre lors de notre Convention Nationale

Halte à la discrimination d'Israel, le CRIF proteste suite à la décision d'étiqueter les produits israeliens. 

Suite à l'annonce de l'adoption de la directive de l'E.U sur l'étiquetage des produits israéliens le Crif a réagit à travers un communiqué, j'ai voulu dénoncer la décision française et l'obessession israelienne.

J'ai répondu aux questions de Sputnik news.

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Dimanche matin, en lisant les journaux accumulés pendant les vacances, je lisais un article sur un incident survenu dans un bus à Tel Aviv. Une dame de 88 ans, dont on apprendra que c’est une survivante de la Shoah, demande au conducteur si elle est dans la bonne file. Silence… Son mari pose la même question et le conducteur lui répond. ‒ Pourquoi n’avez-vous pas répondu à mon épouse ? ‒ Je ne parle pas aux femmes…

À peine une heure après cette lecture, j’étais à la synagogue pour une Bat Mitzva. La jeune fille a consacré son allocution à une autre survivante de la Shoah, Simone Veil…

Les images se sont télescopées : j’ai imaginé Madame Veil dans ce bus de Tel Aviv. Il était clair que le conducteur aurait passé un très mauvais quart d’heure et j’aurais adoré assister à cette avoinée…

 

Cette anecdote est-elle significative ? Je crois que oui. On ne parle plus ici des clivages internes à une société israélienne dont les différents groupes ont du mal à communiquer. Ce conducteur de bus est engagé dans une extrémisation existentielle.

Ne pas parler aux femmes… J’ai pensé aux moines du Mont Athos qui dans les monastères de leur éperon rocheux de Chalcidique interdisent depuis mille ans toute présence féminine, humaine ou animale. J’ai pensé à ces frustrés enfermés dans leurs réseaux sociaux délirants qui attribuent leurs échecs aux femmes, rêvent de les supprimer et qui parfois passent à l’acte.

Mais ce n’est évidemment pas cela. Le plus vraisemblable est que ce chauffeur ne hait pas les femmes, ou comme on le disait dans le passé de certains antisémites, ne les déteste pas plus qu’il n’est raisonnable, mais qu’il est obsédé par l’impureté. Or c’est bien connu, la femme, et entre autres la voix des femmes est vecteur d’impureté et de tentation. On connaît les codes de la Niddah qui lui imposent de rester à l’écart de son mari dans la période des règles et on connaît aussi la tentation de l’extension de ces interdictions à tout homme envers toute femme. À 88 ans, il est peu probable que la dame soit encore réglée et qu’elle puisse susciter de la concupiscence, mais il faut se méfier car Sarah avait deux ans de plus quand elle a enfanté Isaac. On n’est jamais trop prudent…

Est-ce ce raisonnement passablement dément qui a été suivi ? Le conducteur de bus ne serait alors pas seul dans son délire. Dans certains groupes la tendance n’est pas à l’assouplissement.

 

Vous me permettrez une anecdote personnelle. Après la guerre, ma grand-mère a épousé le rabbin Rubinstein de la rue Pavée, synagogue qui était, et qui est toujours, l’exemple d’une stricte orthodoxie. Je me souviens du discours que le rabbin a prononcé sans la moindre gêne, en yiddish, dans la salle de réception au soir de ma Bar Mitzva, devant un public d’hommes et de femmes attablés s’apprêtant bientôt à danser devant lui en parfaite mixité. Récemment j’ai reçu un livre retraçant sa biographie, écrit avec beaucoup de soin par un de ses disciples de Bnei Brak : il contient de nombreuses photos. Des hommes et des hommes ; pas une seule photo de femme…

 

Quoi qu’on pense de la place à donner aux femmes dans l’office religieux, il y a une différence énorme entre ne pas vouloir que les femmes portent des tefillin et ne pas accepter de parler à une femme. Il n’y a pas égalité dans les cours rabbiniques orthodoxes entre le témoignage d’un homme et le témoignage d’une femme. Mais des autorités aussi indiscutées que le Rav Soloveitchik ne voyaient pas d’inconvénient à ce que les femmes étudient la Gémara. Pour étudier ensemble, il faut se parler.

 

Le moine du Mont Athos vit à l’abri de sa montagne et de ses côtes inabordables. Dans beaucoup de traditions religieuses, il y a des reclus et des ermites, qui s’obligent à une ascèse très rigoureuse. C’est leur chemin. Mais ils n’interférent pas dans la vie de la cité et ne deviennent pas conducteurs d’autobus.

 

En Israël, les tentatives de reléguer les femmes dans l’espace public, notamment dans les transports, sont devenues fréquentes. Les canons de tsniout, c’est-à-dire de pudeur, sont d’autant plus des carcans que rien n’est exigé des hommes pour lutter contre leurs pulsions dangereuses. C’est exactement la logique de l’abaya dont on parle tant ces jours-ci. La comparaison avec les mollahs iraniens n’est malheureusement pas fortuite. Heureusement, il s’agit en Israël de minuscules minorités et elles n’ont pas ‒ pas encore, diront les pessimistes ‒ le pouvoir, mais elles mêlent leur voix au chapitre et influent sur l’évolution des mentalités.

Israël a été créé par des jeunes hommes et des jeunes femmes qui ont défriché les terres dans des kibboutzim où régnait une mixité de rôles dont on n’avait pas l’idée jusque-là. Ne pas parler aux femmes, c’est aussi refuser cette glorieuse histoire.

 

Mais au fond, ce conducteur d’autobus est-il vraiment un obsessionnel religieux ? Et s’il ne faisait que profiter de l’esprit du temps, de ce bouleversement des paradigmes qui suffoque actuellement Israël, pour laisser libre cours à des fantasmes jusque-là refoulés ? Un homme, ça s’empêche, écrivait Camus. Précisément, dans les moments sombres de l’histoire, une grande partie du mal provient d’individus qui trouvent l’occasion de ne plus s’empêcher.

On pourrait alors parler ici d’un machisme d’atmosphère…

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

 

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