Lu dans la presse
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Publié le 5 Novembre 2021

France - Un apéro avec Julia et Frankie Wallach : "Avec ma grand-mère, ancienne déportée, j’ai trouvé ma muse"

C’est l’heure du thé. Julia Wallach, 96 ans, reçoit chez elle, à Paris, en compagnie de sa petite-fille. Frankie Wallach a fait de cette rescapée de la Shoah la vedette de « Trop d’amour », long-métrage entre documentaire et fiction.

Publié le 30 octobre dans Le Monde

Avez-vous déjà rêvé qu’un instant vécu avec un proche soit gravé pour toujours, rêvé d’appuyer sur un bouton qui arrête le temps avec un grand-parent, dont vous savez qu’il ne sera pas éternel ? Frankie Wallach, comédienne, a pris une caméra pour relever le défi de garder sa grand-mère, rescapée des camps, pour l’éternité. En 2019, la jeune femme a 25 ans. Elle est fascinée par une personnalité qu’elle filme souvent sur ses réseaux sociaux : celle que tous appellent « mamie Julia », âgée de 94 ans et témoin de la Shoah. Sa petite-fille rêve de faire d’elle une star de cinéma. Avec Trop d’amour, sorti deux ans plus tard sur Canal+ (en octobre 2021), Frankie Wallach est devenue réalisatrice, et Julia Wallach immortelle.

Il est 16 h 30, la nonagénaire nous ouvre la porte de son appartement parisien. Nous avons rendez-vous pour un apéro à l’heure des poules. Nous sommes à l’endroit où le film a été tourné, et à l’endroit où, le 24 avril 1943, Julia a été arrêtée pour être ensuite déportée à Auschwitz-Birkenau. Elle avait 18 ans, elle en a désormais 96 et vit toujours ici. « Ça ira quand même, si on boit du thé plutôt que du vin ? », s’inquiète la petite-fille.

L’appartement est tapissé d’une douce moquette, l’ambiance est feutrée. Les murs sont couverts de photos des petits-enfants de Julia. « Tu n’irais pas remettre du rouge à lèvres, mamie ? », interroge Frankie, qui s’affaire à dégager l’espace pour la photographe. Julia revient avec quatre options de couleurs, on l’aide à choisir, le bordeaux l’emporte. Les deux femmes commencent à poser pour le cliché. « Tu sais ce qu’on va faire là, mamie ? C’est “Un apéro avec…”, pour Le Monde. »

« On le tourne quand le film ? »

La petite fille contextualise, car parfois Julia s’y perd. Elle garde en mémoire des souvenirs époustouflants de précision, mais confie n’avoir jamais pris conscience de ce que le tournage du film, dont elle est la star, avait commencé. « On tournait chez elle avec 30 personnes dans ce salon, mais bon… », souffle Frankie, tendrement ironique. La grand-mère renchérit : « A la fin de la journée je disais : “Mais dis donc, on le tourne quand le film ?” Et elle de me répondre : “Mais mamie, tu l’as tourné !” » Elles rient en chœur, le quiproquo a ponctué le tournage : « On évitait les “Silence, ça tourne !” pour que ce soit plus naturel pour elle, précise Frankie. Dans une scène, mon personnage rentre de discothèque au petit matin, mon maquillage a coulé. Elle me voit et s’exclame : “Mais il faut que tu ailles te recoiffer pour ta scène ! Tu ne peux pas jouer comme ça !” » Le matin de cette prise-là, devant la caméra, Julia se confie sur un terrible moment vécu à Birkenau : une femme a accouché dans le baraquement où elle se trouvait. Au premier cri du nourrisson clandestin, un SS débarque, violente les femmes qui tentent de l’empêcher de passer. Il attrape le petit et le tue sous les yeux de la jeune Julia. Voilà pourquoi, quand on lui demande si elle croit en Dieu, Julia répond : « Non. »

« Je me suis dit que j’avais trouvé ma muse », explique Frankie Wallach

Que sa petite-fille ait choisi « l’histoire de la grand-mère déportée » pour le film n’étonne pas Julia – « c’est son dada », plaisante-t-elle. Les deux femmes sont très liées, souvent leurs mains se rejoignent entre les tasses de thé. Quand Frankie avait 8 ans, elles ont initié un rituel : elles allaient manger au restaurant le mercredi midi, elles prenaient des frites, puis du vacherin au dessert, pied de nez aux consignes parentales sur la nourriture grasse. Quand Frankie a grandi, elles sont passées aux apéros. Un souvenir en entraînant un autre, Julia s’embarque dans un récit familial avant d’être interrompue par Frankie : « Mais mamie, c’est notre vie privée ça, on ne va pas la raconter dans les journaux ! » Et la grand-mère de rouspéter : « Ah bon ? D’accord. Je confonds tout, moi. »

Frankie reprend le fil : gamine, elle a bien vu qu’elle avait une grand-mère pas comme les autres. Du genre qui ne vieillissait pas, qui envoyait des textos depuis son iPhone, s’achetait un ordinateur portable, racontait (parfois avec humour) des souvenirs de la Shoah. Déconcertante. Une mamie moderne et drôle avec une histoire extraordinaire, qu’elle s’est mise à filmer sur Instagram. Puis qu’elle a immortalisée, dans un petit épisode baptisé Kneidler, en train de concocter sa recette de boulettes, dans le cadre du Grandmas Project, une initiative collaborative de websérie où des petits-enfants filment leurs aïeux en cuisine.

A l’époque de sa sortie, ce court-métrage fait son effet. Les deux femmes sont invitées à le présenter en Israël. « Là, je me suis dit qu’il fallait que j’aille plus loin avec elle, que j’avais trouvé ma muse », se souvient Frankie. « Elle a dit quoi ? », nous interroge Julia. « Que j’avais trouvé ma muse, mamie ! », répète sa petite-fille, quelques décibels au-dessus. « Comme elle exagère », rit la vieille dame, gênée.

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