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Publié le 10 décembre 2021 dans Libération
Depuis le mois de septembre, les coups de filet contre la mouvance d’ultradroite se multiplient. Une situation qui inquiète les autorités, mais qui n’est pas neuve : plusieurs fois cette année, le coordonnateur national du renseignement, Laurent Nuñez, a alerté sur la situation. En outre, les dossiers sont de nature assez différente et n’engagent pas tous une saisine du Parquet national antiterroriste (Pnat). D’où, parfois, une certaine confusion conduisant à affubler du vocable policier d’«ultradroite» toute affaire relevant de cette extrémité politique.
Ces dernières semaines, les services de sécurité ont justement ratissé tous azimuts, embrassant ainsi l’ensemble du spectre et des profils en présence. Un jour, c’est «Recolonisation France», un groupe dont les membres armés se préparaient en vue d’un affrontement communautaire. Un dossier qui est resté judiciarisé à Marseille, illustrant la volonté du Pnat de bien analyser ce qui relève ou non du terrorisme. Un autre jour, c’est un jardinier de Montauban qui appelait en ligne à commettre des attentats antisémites, ou encore deux néonazis dans l’Eure (dont un militaire) qui avaient accumulé une quantité effroyable d’armes. Plus tôt, en octobre, ce fut un jeune homme de 19 ans, victime de harcèlement scolaire mais imprégné de propagande raciste qui voulait «faire pire que Columbine», le massacre dans une école américaine. Il y a eu aussi l’enlèvement de la petite Mia et le coup d’Etat fantasque mais bel et bien préparé par un réseau gravitant autour de Rémy Daillet-Wiedemann, théoricien mêlant antisémitisme et conspirationnisme. Enfin, dernièrement, un apprenti chimiste alsacien qui fabriquait des bombes avec de l’uranium dans son garage et avait chez lui des cagoules du Ku Klux Klan.
Ces dernières années, des dossiers «précurseurs» avaient en quelque sorte consacré l’avènement de cette nouvelle menace. En 2017 et 2019, deux groupuscules, l’Organisation des armées sociales (OAS) et l’Action des forces opérationnelles (AFO), avaient été démantelés. Les premiers, emmenés par Logan Nisin (admirateur du terroriste d’extrême droite Brenton Tarrant, et condamné à neuf ans de prison ferme en octobre) voulaient terroriser les populations musulmanes françaises pour les pousser à «remigrer» dans «leurs pays d’origine». Ils voulaient cibler des mosquées et des kebabs. Les seconds, qui projetaient par exemple d’attaquer des femmes voilées, avaient notamment testé des grenades en forêt.
«Bruit de fond permanent»
Jamais dans l’histoire récente autant d’affaires de terrorisme ou en lien avec des projets violents d’extrême droite ne s’étaient succédé en si peu de temps. Imprégnés d’idéologie radicale, les suspects partagent l’idée commune d’être des «résistants», de se battre pour défendre leur pays ou leur race qui seraient menacés tantôt par la théorie du «grand remplacement» tantôt par un supposé effondrement à venir. Avec une constante : la survenue, dans un futur plus ou moins proche, d’une «guerre civile raciale» prophétisée notamment par l’idéologue d’extrême droite Guillaume Faye. Tous y croient, et s’abreuvent du déferlement de haine raciste en ligne, souvent d’une violence inouïe.
«Sur Internet, il y a un bruit de fond haineux permanent et des professionnels du genre qui excitent les gens», explique à Libération le général Jean-Philippe Reiland, patron de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH). Depuis peu, son service est également compétent sur les crimes de haine. Et il est mis à rude épreuve. Vidéos, textes et même des manuels ou manifestes fleurissent dans les recoins du Web, finalement pas si inaccessibles. «Des publications qui, en elles-mêmes, constituent un trouble à l’ordre public et peuvent déclencher l’action de nos services», explique le général Reiland. Qui s’alarme : «Quand on voit la haine qui s’accumule en ligne, on peut craindre des passages à l’acte violent un jour ou l’autre.»
«Il semblerait bien qu’il y ait une dynamique», confirme à Libération une source au sein de l’antiterrorisme. Ce qui frappe dans ces dossiers, détaille cette source, c’est le nombre des mis en cause : plus d’une cinquantaine de mis en examen, à ce stade, dans les affaires liées à l’ultradroite. Signe que si certains pseudos «loups solitaires» surgissent, l’essentiel des affaires concerne des réseaux constitués. Au total, dix dossiers terroristes d’ultradroite ont été ouverts depuis 2017 dont, selon nos informations, quatre pour cette seule année 2021. «Des profils communs se dégagent : des hommes, la trentaine, qui sont militaires ou anciens militaires ou ont un lien avec la sécurité. Beaucoup ont accès légalement aux armes, via notamment les clubs de tir ou la chasse», poursuit notre source. Qui liste des motivations «accélérationnistes, suprémacistes, néonazis et néofascistes».