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Publié le 3 novembre dans France 3
Depuis plusieurs mois, les affiches à l'effigie d'Éric Zemmour se multiplient sur de nombreux murs et panneaux de toute la France. C'était notamment le cas le 25 octobre dernier à Châteauroux. Des militants du groupe de soutien de l'Indre au polémiste d'extrême-droite ont organisé une "une grande opération collage". Ils s'en sont vanté dès le lendemain sur Facebook, photos à l'appui. Impossible d'identifier les participants, des visages de Zemmour étant photoshoppés sur les visages.
Au même moment, la même photo était postée par un administrateur sur sa chaîne du réseau social Telegram. Les visages y sont toujours dissimulés, mais cette fois par un blason : dans un cercle rouge sur fond blanc, un crâne rouge est coiffé d'un béret de même couleur, marqué d'une croix bleue. Un logo qui "reprend les couleurs d’autres logos de groupes d’extrême-droite récents : Bastion social ou l’Alvarium (à Angers), analyse Marion Jacquet-Vaillant, docteure en sciences politiques à l'université Paris-II. Il est possible que ce ne soit qu’un effet de mimétisme… mais c’est intéressant de voir ces usages circuler entre ces groupuscules."
Car ce symbole est celui de "La Famille Gallicane", également le nom de la chaîne sur le réseau Telegram. Un groupuscule d'extrême-droite se définissant lui-même, selon sa charte, comme "communautariste". Il tend "vers la fraternité des mouvements qui tiennent à la France : royalistes, impérialistes, fascistes, droite libérale, identitaires, etc.", comme l'a révélé une enquête menée par StreetPress, informations vérifiées par France 3 en remontant la chaîne. Majoritairement composé d'hommes blancs, ce groupe se définit aussi par ses valeurs virilistes.
Le mot "gallicane" se réfère à "gallicus", soit "gaulois" en latin. "Dans ce sens, la "famille gallicane", ce serait donc simplement la "famille française", explique Marion Jacquet-Vaillant. Ce qui montre tout de suite, deux dimensions de leur militantisme : la dimension nationaliste ("française") et la dimension communautaire ("famille"), qui culminent dans le "communautarisez-vous" dont ils ont fait leur slogan."
Racisme, islamophobie, antisémitisme
Sur la chaîne Telegram en question, tout le monde peut venir voir les publications et s'exprimer en commentaires. Un espace émaillé de blagues racistes, comme un parallèle entre des élèves racisés et des "macaques". À d'autres moments, les messages sont encore moins équivoques. Ainsi, en dessous d'une capture d'écran d'une application d'entraînement au code de la route signalant "pas mal de gens sortant de la mosquée", le responsable de la chaîne Telegram écrit : "J'accélère et je fais un strike".
"J'accélère et je fais un strike" © Capture d'écran Telegram
À d'autres moments, certains membres de "La Famille Gallicane" participent à des entraînements. Les militants brandissent des armes à feu dans une forêt à la localisation inconnue. Plusieurs vidéos en attestant ont été postées par l'administrateur du groupe, déjà à l'origine de la mise en ligne des photos des colleurs d'affiches de Zemmour à Châteauroux. L'un des entraînements filmés laisse peu de place à l'interprétation.
On y voit un homme vêtu d'un pantalon militaire tirant au pistolet à poudre noire sur trois caricatures imprimées sur de grandes feuilles et accrochées sur des arbres. Ces dessins représentent trois profils stéréotypés et racistes : un homme aux cheveux crépus, sous lequel est marqué "nigga" (insulte raciste contre les noirs en anglais) ; un homme au nez crochu, kippa sur la tête et étoile de David sur le front ; et un homme à la longue barbe, un chèche orné d'un croissant et d'une étoile sur la tête.
Des caricatures raciste et antisémite criblées. © Capture d'écran Telegram
Une caricature islamophobe et le tireur filmé. © Capture d'écran Telegram
"Quelques membres pratiquent le tir par simple passion ou pour s'entraîner à chasser. En aucun cas nous souhaitons attaquer et tuer quelconque personnes", s'est défendu le tenant de la chaîne sur le réseau social Telegram, dans un texte publié ce 2 novembre en réaction à l'article de StreetPress.
Survivalisme et choc des civilisations
Le groupe unit en effet ses membres autour du survivalisme, une doctrine qui prône la préparation totale et l'autodéfense. Selon Marion Jacquet-Vaillant, "l’idée c’est de parer à une catastrophe qu’ils jugent imminente : on est vraiment dans l’univers du "choc des civilisations" et ils se préparent donc à réagir." Au programme : des introductions à la chasse et à la pêche, des stages en forêt et du tir par arme à feu. Le tout, donc, dans une ambiance communautariste, renforcée "aussi parce que les militants veulent faire survivre leur identité : il s’agit à la fois de se réunir pour faire vivre l’identité (française pour eux) en interne et s’organiser aussi pour la faire survivre si elle est attaquée", ajoute la chercheuse.
Une identité menacée, selon eux, par "le grand remplacement", une théorie sans fondement scientifique rendue célèbre par Renaud Camus en France assimilant l'immigration à de la colonisation. Elle a notamment inspiré le terroriste d'extrême-droite néo-zélandais Brenton Tarrant, auteur de deux attaques contre des mosquées de Christchurch ayant fait 51 morts en 2019.
"Ce mot-clé leur permet de faire référence à tout un univers de signification : dénoncer le grand remplacement, c’est à la fois critiquer l’immigration, mais aussi l’absence d'"assimilation" et donc la mort à venir de "leur" identité, de "leur" peuple français", estime Marion Jacquet-Vaillant. Pour elle, la théorie du grand remplacement est devenue un "référent commun aux groupes identitaires", qui leur "permet de s'inscrire dans le champ de l'extrême-droite tout en restant dans le flou idéologique".
Salut nazi
En réponse à un sondage publié sur cette chaîne Telegram, auquel 208 personnes ont répondu, 38% des membres se définissent comme nationalistes, 30% suprémacistes, 18% patriotes et 13% autres, avec la possibilité de préciser en commentaires. L'un se dit "monarchiste absolutiste et catholique", "juste un facho", balance un deuxième. Arborant un salut nazi en photo de profil, un autre utilisateur se contente de poster un gif "Race first" (en anglais, "la race prime") accompagné d'une croix gammée.
"Nous ne sommes pas responsables de chaque message ou faits et gestes de nos sympathisants", insiste le gestionnaire de la chaîne dans sa réponse à StreetPress. Il est à souligner qu'en tant qu'administrateur, il lui serait possible de supprimer ces messages, qui pourraient tomber sous le coup de la loi. À la date du 3 novembre, tous sont pourtant toujours visibles sur le fil, ou dans le groupe de discussion qui lui est affilié sur Telegram.
Contactée, la procureure de Châteauroux affirme ne pas avoir ouvert d'enquête à ce stade. Elle précise qu'aucune communication supplémentaire ne sera faite pour le moment, pour ne pas compromettre les investigations si une éventuelle enquête venait à être ouverte.
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