Yonathan Arfi

Président du Crif, un militant juif et citoyen

Commémoration de la Rafle de Bordeaux - Discours du Président du Crif

12 Janvier 2023 | 131 vue(s)
Catégorie(s) :
France

Lors de la cérémonie nationale d'hommage commémorant le Vel d'Hiv, le Président du Crif s'est dit "choqué et révolté par les images indécentes des récalcitrant à la vaccination arborant l’étoile jaune et faisant des raccourcis honteux. C’est un outrage à la mémoire des victimes de la Shoah".

Discours de Marcel Dreyfuss,  Président d’honneur du Consistoire, représentant du Crif ARA - Dimanche 18/7/2021 au CHRD

Discours prononcé à la cérémonie du 18 juillet par M. Albert Massiah, Président du Crif Bordeaux-Aquitaine, lors de la « Journée nationale à la mémoire des crimes racistes et antisémites commis par l’État français de Vichy et en hommage aux Justes de France. »

Pages

Le 10 janvier 2023, Yonathan Arfi a participé à la cérémonie de commémoration de la rafle de la synagogue de Bordeaux du 10 janvier 1944. Il a prononcé un discours en présence notamment de Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et rescapé de la rafle.

 

Cher Boris Cyrulnik,

Monsieur le Président du conseil départemental,

Monsieur le Maire,

Mesdames et messieurs les représentants de la préfecture et du Conseil régional,

Monsieur le Président du conseil régional,

Monsieur le Rabbin,

Monsieur le Président du Consistoire de Bordeaux,

Monsieur le Président du Crif Bordeaux Aquitaine,

Mesdames et Messieurs,

Il n’y a pas une mais des Histoires de la Shoah en France.

Durant ces années noires, les rafles ont rythmé, ébranlé le quotidien du pays dans des contextes chaque fois différents. Chacune d’entre elles raconte ainsi l’histoire d’une portion de notre territoire et avec elle, des Juifs qui y vivaient.

Le Sud-Ouest n’a pas été épargné par ces arrestations groupées. L’une d’entre elles, en particulier, a marqué nos esprits par son ampleur et par son déroulement spectaculaire. C’est celle-ci que nous commémorons aujourd’hui.

Dernière opération massive menée en Aquitaine par les Allemands, la rafle de la synagogue de Bordeaux nous apprend qu’un drame n’est pas nécessairement synonyme d’accident. Au contraire, il peut être sciemment provoqué de la main de l’Homme.

Il n’est pas besoin d’aller chercher très loin pour le démontrer : les comptes-rendus rédigés par les autorités françaises, directement associées à l’exécution de l’opération, nous le prouvent sans équivoque. Si vous me le permettez, je souhaiterais évoquer en quelques mots le déroulé de cette sombre journée.

Le 10 janvier 1944, à 12h30, l’Intendant de police reçoit des instructions pour mettre en place une nouvelle action contre les Juifs. Tout est minutieusement orchestré. L’accord du gouvernement français est donné par téléphone dans la soirée. Il est 21h05 et la rafle peut débuter.

La suite est malheureusement connue de chacun d’entre nous.

Dans la nuit du 10 au 11 janvier, 228 juifs sont arrêtés partout en Gironde ; à Bordeaux, à Arcachon… mais aussi plus loin, à Pau ou Bayonne. Au même moment, d’autres rafles se déroulent ailleurs dans le département, et notamment à Libourne, où je me trouvais justement il y a quelques heures.

335 Français juifs seront emprisonnés ici-même. Première étape de leur périple funeste, cette synagogue fut sans doute le dernier lieu familier que ces Juifs devenus des captifs connurent avant leur déportation. Mais paradoxalement, cet endroit qui aurait dû être un sanctuaire, devenait pour eux celui de la peur, de l’incertitude et de l’angoisse.

Deux jours plus tard, le 12 janvier, 317 détenus sont transférés à Drancy. Ils rejoindront ensuite les convois en direction d’Auschwitz-Birkenau. Leurs noms s’ajoutent à la liste des 1 600 victimes juives qui ont été déportées depuis Bordeaux.

Mesdames et Messieurs,

Le récit que je viens de faire n’a pas uniquement vocation à nous remémorer un événement que nous connaissons tous. La rafle de 10 janvier 1944 est une leçon d’Histoire à elle seule. Raconter cette rafle, c’est mettre la lumière sur ses particularités pour mieux saisir les messages qu’elle a à nous transmettre. Trois d’entre elles méritent d’être rappelées.

La première, c’est la manière dont cette rafle a été organisée. Celle-ci nous donne une preuve irréfutable du manège qui s’est joué, en coulisses, tout au long de la guerre, entre les autorités occupantes et occupées. C’est la démonstration d’une collaboration active mortifère que certains continuent pourtant à vouloir nier. Les ordres donnés par les Allemands ont été scrupuleusement exécutés par les Français quand ils n’étaient pas de leur propre initiative.

La deuxième particularité de cette rafle, tient symbole du lieu dans lequel elle s’est déroulée. Faire d’une synagogue l’antichambre d’un camp d’extermination était alors impensable. Cette synagogue est en soit un édifice emblématique, dont l’existence-même suffit à raconter le passé riche et foisonnant de la communauté juive bordelaise, son lien inextricable avec l’Histoire de France mais aussi d’Europe. À travers cet événement et à travers ce lieu, c’est donc tout un pan de l’histoire des Juifs de France qui ressurgit et qui nous est raconté.

Enfin, puisqu’il n’y a pas d’Histoire collective sans destin individuel, je voudrais évoquer une troisième spécificité de cette rafle, qui repose sur l’histoire épique d’un seul individu. C’est l’évasion réussie d’un petit garçon de 6 ans, qui est parvenu à échapper au destin funeste qui lui était promis. Un miracle qui nous rappelle que la réalité a parfois la force de dépasser la fiction. Cet enfant, c’est Monsieur Cyrulnik, qui est parmi nous aujourd’hui.

« Un coup du sort est une blessure qui s’inscrit dans notre histoire, ce n’est pas un destin », nous a-t-il appris en nous éclairant de ses nombreux enseignements sur la notion de résilience.

Et quelle plus belle illustration de cette idée que de nous retrouver réunis ensemble dans cette synagogue ? Elle qui, après avoir été saccagée, détruite, profanée, a pu retrouver sa splendeur d’autrefois, en continuant à accueillir une communauté pleine de projets et d’initiatives.

Pourtant, Mesdames et Messieurs, notre vigilance doit être maintenue à son plus haut degré, car l’antisémitisme est encore bien présent en France aujourd’hui.

Alors que nous nous apprêtions hier à commémorer les 8 ans de l’attentat de l’Hyper Cacher, nous découvrions avec stupeur cette photo circulant sur les réseaux sociaux, sur laquelle un homme se paraît d’un maillot floqué du nom de Mohammed Merah. Qui aurait imaginé cela ?

Car, pour tenter de tromper notre vigilance, l’antisémitisme se renouvelle sans cesse en se parant des habits de notre temps. Tantôt islamiste, complotiste, antisioniste, négationniste, d’extrême-droite, d’extrême-gauche… ses visages se multiplient indéfiniment.

Il se niche en marge de manifestations, s’infiltre dans les slogans conspirationnistes de certains mouvements, se propage en ligne, sur les réseaux sociaux, où l’esprit de modération s’est considérablement délité dernièrement. Il s’invite désormais au sein de nos institutions républicaines, dans le travail parlementaire, encouragé par une poussée électorale inédite des extrêmes… 

C’est donc au présent que doivent nous interroger la mémoire de la Shoah et la mémoire de ces rafles.

L’année dernière, 589 actes antisémites ont ainsi été recensés.

Face à cela, ensemble, refusons le défaitisme. Dans la tradition juive comme dans l’esprit républicain, il est toujours possible, par l’action collective, de transformer le monde.

C’est, je crois aussi, la leçon que la Shoah nous lègue. C’est notre responsabilité collective.

 

Yonathan Arfi

Président du Crif