Président du Crif Bordeaux-Aquitaine
Discours prononcé à la cérémonie du 18 juillet par M. Albert Massiah, Président du Crif Bordeaux-Aquitaine, lors de la « Journée nationale à la mémoire des crimes racistes et antisémites commis par l’État français de Vichy et en hommage aux Justes de France. »
Madame la Directrice de cabinet représentant Madame la Préfète de la région Nouvelle Aquitaine, Préfète de la Gironde
Monsieur le Maire de bordeaux,
Mesdames, Messieurs les parlementaires
Mesdames, Messieurs les représentants des collectivités locales, départementales, régionales et des inter-communalités,
Mesdames Messieurs les représentants des autorités civiles, militaires et religieuses
Mesdames, Messieurs les Présidents d’associations
Cher(e)s amie(e)s
Une équipe d’archéologues travaillant en Israël a annoncé en mars dernier la découverte de nouveaux fragments de parchemins bibliques vieux de deux millénaires ; sur l’un de ces fragments on a pu déchiffrer ces mots : « Voici ce qu'il convient de faire : soyez honnêtes les uns avec les autres, rendez une justice franche et véritable, ne conspirez pas les uns envers les autres… ».
Découverts au fond d’une grotte dans le désert de Judée, écrits il y a plus de deux mille ans, ces mots invitaient déjà l’humanité à tout mettre en œuvre pour que règnent la justice et le respect de l’autre !
Ainsi, depuis la nuit des temps les écrits bibliques avaient déjà posé les fondements d’une société humaine qui soit guidée par la tolérance, la quête de la justice, le refus des dogmes !
Et depuis la nuit des temps nous voici en effet porteurs du même idéal ; notre souci de la justice, notre volonté de voir s’établir une société guérie du poison de la haine, de l’antisémitisme, voilà ce qui nous anime, il nous faut donc encore et toujours veiller, demeurer en alerte. Ici même, il y a un an, j’évoquais notre situation de veilleurs et la nécessité de demeurer attentifs face à ce qui se joue dans les plis de l’Histoire…
En ce jour de juillet chaque année la République nous convoque pour que chacun se souvienne de cette Nuit qui s’étendit sur le monde au siècle dernier, lorsque la barbarie des uns et la passivité des autres permirent l’extermination de quelque six millions de Juifs en Europe, lorsque cette horreur sans nom, cette catastrophe, la Shoah, vint noyer les consciences et fit vaciller notre raison.
Mais nous sommes aujourd’hui debout, rassemblés pour nous souvenir et pour travailler ensemble : demeurer en alerte c’est rappeler ici comme dans toutes les communes de France que ce jour de juillet permet à la Nation de témoigner sa reconnaissance à tous ceux qui ont su veiller, protéger, maintenir la lumière de l’humanité en sauvant des vies, ne dit-on pas d’ailleurs « qui sauve une vie, sauve l’humanité toute entière » citation commune au talmud et au Coran, ainsi nous célébrons tous ceux que l’on a honoré du beau nom de « Juste » « Justes parmi les nations » parce qu’ils ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et de celle de leur famille, des enfants, des familles entières, face à la mortelle menace du génocide.
Il est impossible de connaître le nombre exact des "Justes" de France (officiellement plus de 4 100) qui, durant toute l'Occupation, ont caché et sauvé des milliers de personnes.
En ce jour nous sommes appelés à les honorer, à célébrer leur courage, à rappeler ces exemples qui donnent du sens à nos vies.
Cette Journée nationale est aussi un moment marquant dans l’histoire de notre République puisqu’il s’agit de rappeler la responsabilité de l'État français dans les crimes commis sous l'Occupation.
Rappelons que c’est dans un discours qui fit date, prononcé le 16 juillet 1995, que le président de la République - à l’époque, Jacques Chirac- reconnut que "la folie criminelle de l'occupant avait été secondée par l’État français", et que "la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable".
Cette commémoration a été fixée au 16 juillet (ou au dimanche qui suit cette date), en rappel de la rafle du Vélodrome d'hiver à Paris le 16 juillet 1942. Ce jour-là, 13 152 juifs – hommes, femmes et enfants – sont arrêtés à leur domicile par des gendarmes et policiers français 4500, sous les ordres de Jean Leguay, adjoint et représentant en zone occupée de René Bousquet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur.
Cette abomination va durer deux jours, sur la base de listes préalablement établies par la préfecture de police parisienne. Quelque 8160 personnes, dont 4 115 enfants et dont seuls 6 en sont revenus, sont rassemblées au Vélodrome d'Hiver, dans les pires conditions car rien n'est prévu pour les accueillir, avant d'être transférées dans les camps d’internement du Loiret ; les autres sont directement emmenées à Drancy et déportées vers les camps d’extermination au cours de l'été. Souvenons-nous que sur les quelque 300 000 juifs vivant alors en France, près de 75 000 Français juifs, dont quelque 11000 enfants ont été déportés durant la Seconde Guerre mondiale.
Ces commémorations d’un passé terrible sont là pour nous rappeler que si nos consciences demeurent en état de veille, nous pouvons et nous devons repérer les ferments de la haine avant qu’ils ne se répandent dans les esprits. La passivité, l’incrédulité, l’hypocrisie, voilà les ennemis, et ces dernières années ne nous ont pas épargnés.
Aujourd’hui souvenons-nous du Dr Sarah Halimi, victime de la haine antisémite, sauvagement frappée et jetée par le balcon de son logement - il y a maintenant plus de trois ans - par un assassin déclaré en avril dernier « irresponsable » de ses actes ; A bordeaux et en Aquitaine comme dans tout notre pays les Juifs de France et avec eux le Crif et de nombreux collectifs citoyens se sont mobilisés à pour réclamer justice pour le Dr Sarah HALIMI ; Et nous attendons que le projet de loi annoncé en avril par le gouvernement puisse enfin repréciser comme il se doit la notion de responsabilité pénale.
Souvenons-nous de Mireille Knoll, torturée, frappée de onze coups de couteau et brûlée par deux hommes qui seront jugés en cour d’assises à Paris, à partir du 25 octobre prochain, pour crime antisémite.
Souvenons-nous de ce jeune professeur, Samuel Paty, assassiné sauvagement près de son lycée le 16 octobre 2020 par un tueur islamiste.
Souvenons-nous encore d’Ilan Halimi, lui-aussi assassiné parce que juif, âgé d’à peine 23 ans, qui a subi en 2006 quinze jours de tortures avant de succomber sous les coups d’un véritable gang antisémite ;
Souvenons-nous aussi de Myriam Monsenego, 7 ans, Gabriel, 4 ans, Arieh, 5 ans, et de Jonathan Sandler, 30 ans, abattus de sang-froid à Toulouse dans la cour de leur école un matin de mars 2012,
Souvenons-nous des clients et employés de l’Hyper cacher parisien attaqué en janvier 2015 durant cette vague d’attentats islamistes qui a pétrifié notre pays et qui continue de frapper chez nous et chez nos voisins…
Il n’est jamais facile de secouer les consciences et ceux qui assument cette mission sont bien souvent taxés d’alarmistes.
Mais nous devons hélas relancer l’alerte : le Conseil représentatif des institutions juives de France est dans son rôle de guetteur lorsque l’on voit comme aujourd’hui revenir vers nous la vague porteuse d’une haine que l’on croyait en reflux, quand on voit comme aujourd’hui courir sur les réseaux sociaux d’internet des propos portant à des millions d’exemplaires le rejet de celui qui ne pense pas comme vous, le harcèlement qui isole, qui rend fou, l’appel au meurtre, les insultes racistes et antisémites !
La numérisation des médias a permis en quelques années de diffuser en instantané dans le monde entier le poison de l’antisémitisme le plus virulent, porté par l’antisionisme, le radicalisme islamiste, le racisme ordinaire : voilà où nous en sommes et les pouvoirs publics se trouvent soudain confrontés à ce phénomène aussi dangereux qu’imprévisible pour notre démocratie.
L’antisémitisme est à présent en ligne, la diffusion de la haine est collective, nous voyons une société s’habituer à la dénonciation radicale, nous voyons des citoyens résignés, se disant peu concernés par la vie de la Cité, ne réagissant plus aux appels aux meurtres lancés pour un oui ou pour un non… Nous en avons sous les yeux un brûlant témoignage, avec l’affreuse affaire de cette jeune lycéenne, Mila, qui à l’âge de 16 ans s’est retrouvée menacée de mort pour avoir écrit sur les réseaux sociaux son rejet radical de la religion musulmane ; or la loi d’une République laïque n’interdit pas la critique et le rejet d’une religion. Onze des harceleurs de la jeune fille viennent d’être condamnés à des peines de prison avec sursis ; Mila, elle, vit aujourd’hui sous protection policière.
Sur ce sujet nous sommes nombreux à connaître le travail de l’historien Marc Knobel, qui vient de publier une étude mettant en lumière ce qu’est aujourd’hui la « cyberhaine », la haine sur internet et la progression fulgurante de l’antisémitisme sur les réseaux numériques ; son constat, nourri de faits et de chiffres vérifiés est implacable et ne peut nous laisser sans réaction. Le Crif est mobilisé pour dénoncer aux côté d’autres associations de lutte contre la racisme et l’antisémitisme ce que les réseaux colportent chaque jour impunément, pour réclamer la vigilance des pouvoirs publics et pour obtenir des opérateurs qu’ils soient en mesure de déconnecter les sites et les forums criminels. Les grands médias numériques semblent trop souvent impuissants, mais nous ne sommes pas sans espoir, à preuve le jugement que vient de rendre la justice française le 6 juillet, pour contraindre le réseau Twitter à renforcer réellement sa surveillance des propos antisémites et racistes déversés en ligne sans aucun contrôle.
Les moyens de répondre à ce danger critique existent, la justice a donc devant elle des textes pouvant répondre à la menace, le procès de « l’affaire Mila » en est un exemple. Nous avons appris au fil de notre longue histoire que le moindre petit renoncement agit comme le fait une faille minuscule dans la muraille d’un barrage ; la moindre inattention, la paresse intellectuelle, l’insouciance… sont autant de voies ouvertes par lesquelles peut se déverser le flot mortel de la bêtise, de la violence ordinaire.
Nos démocraties semblent fatiguées d’elles-mêmes, mais elles ont les moyens de redresser le cours de leur destin : à nous d’y travailler ensemble.
La machine judiciaire est une réponse, mais nous la savons parfois démunie !
Et c’est avec l’arme première de l’éducation, de l’information et de la sensibilisation que nous pouvons et devons répondre aux menaces, car nous savons bien quels effets durables et solides peuvent produire dans l’enfance l’apprentissage de la discipline collective, l’expérience de la responsabilité individuelle, la nécessité du respect de l’autre pour vivre ensemble sans sombrer sous l’empire de la loi de la jungle.
Notre culture millénaire, qu’il nous faut sans cesse revivifier, nous offre le point d’appui idéal pour faire passer le double message de la vigilance et de la tolérance, afin de demeurer confiants, curieux d’un avenir collectif à imaginer, inlassablement attelés à l’action pour donner du sens à notre société.
La Déclaration solennelle publiée en février 2021 par l’Eglise catholique de France pour une lutte commune contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme, participe de ce combat et l’archevêque de Bordeaux Mgr Jean-Paul James s’en est fait l’écho en mai dernier lors d’une rencontre avec les responsables du Crif Bordeaux-Aquitaine et de la communauté juive.
Ce fut pour nous un renfort affirmé, car de cette union nait la force qu’il va nous falloir pour faire face au retour insidieux d’un antisémitisme accouplé à l’antisionisme le plus virulent, à cette installation dans les esprits d’un mensonge devenant par sa répétition une sorte de vérité par défaut.
Voilà ce qui doit nous mobiliser en tant qu’associations, à nous de rassembler nos énergies, en tant qu’éducateurs, en tant que garants des valeurs que nous portons, pour lesquelles ceux qui vinrent avant nous se sont battus, ont souffert et n’ont pas abdiqué !
Notre conviction est là, avec le Crif aux côtés des institutions et des associations qui la composent engagées dans « ce grand œuvre », vers davantage de lumière pour tous.
Albert Massiah, Président du Crif Bordeaux-Aquitaine